Archives de catégorie : Formule de rimes

De ses cris Prométhée emplissait le Caucase; — 1879 (8)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Prométhée et le vautour

De ses cris Prométhée emplissait le Caucase;
Et l’éternel vautour, à sa proie acharné,
Plongeant son bec vorace ainsi que dans un vase,
Buvait le sang au flanc du pâle condamné.

Le roc entier tremblait de son faîte à sa base
Sous l’effort convulsif du Titan enchaîné …
Quand tout à coup l’oiseau que la fureur embrase
Releva vers le ciel son long cou décharné.

Et le vautour cria d’une voix lamentable:
– Entendrai-je toujours cet être insupportable
Eternellement geindre et poser en martyr?

Pense-t-il, ici-bas, être seul à souffrir?
Et croît-il que ce soit un grand sujet de joie
De ne manger depuis six mille ans que du foie?

Gabriel Monavon

Q8 – T13

A minuit, je m’éveille, et, la tête obsédée — 1879 (7)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Epithalame

A minuit, je m’éveille, et, la tête obsédée
Par les traits de l’enfant que j’épouse demain,
Je crayonne à tâtons quelque adorable idée,
Sur le premier papier que rencontre ma main.

Les rimes du bonheur pleuvaient comme une ondée!
J’en étais à ces mots: ‘ couronné par l’hymen,
L’amour est …’. Le sommeil me surprend en chemin,
Et la phrase expira, dans un rêve scandée.

Le jour enfin parait. Honte à l’amant qui dort!
Vite, achevons. Que vois-je? – O méprise risible!
J’avais écrit mes vers sur un billet de mort.

L’hémistiche, engagé dans le texte terrible,
Alignait, d’un seul trait, ces six mots alarmants:
 » L’amour est … décédé muni des sacrements« .

Joséphin Soulary

Q9 – T23

Rien n’est plus ennuyeux que ces villes banales — 1879 (5)

Albert GlatignyOeuvres

Rien n’est plus ennuyeux que ces villes banales
Débitant du soleil à faux poids, ou des eaux
Qui doivent éclairer nos muscles et nos os,
Pays d’albums usés, stations hivernales.

Des princes vagabonds illustrent leurs annales;
Les hôteliers hargneux combinent des réseaux,
Et l’on voit fuir au loin la joie et les oiseaux
Devant de laids bourgeois livrés aux saturnales.

Mais qu’un jour le hasard, généreux quelquefois,
Fasse se rencontrer dans ces hôtelleries
Deux amoureux de vers et de rimes fleuries,

Tout s’égaye aussitôt: on voit germer des bois
Sur le trottoir fangeux, et les Muses fidèles
Font taire les bruits épars à grands coups d’ailes.

Q15 – T30

La route est gaie. On est descendu. Les chevaux — 1879 (4)

Albert GlatignyOeuvres

Halte de comédiens

La route est gaie. On est descendu. Les chevaux
Soufflent devant l’auberge. On voit sur la voiture
Des objets singuliers jetés à l’aventure:
Des loques, une pique avec de vieux chapeaux.

Une femme, en riant, écoute les propos
Amoureux d’un grand drôle à la maigre structure;
Le père noble boit et le conducteur jure;
Le village s’émeut de ces profils nouveaux.

En route! et l’on repart. L’un sur l’impériale
Laisse pendre une jambe exagérée. Au loin
Le soleil luit, et l’air est plein d’odeurs de foin.

Destin rêve, à demi couché sur une malle,
Et le Roman Comique au coin de la forêt
Tourne un chemin rapide et creux, et disparaît.

Q15 – T30

Eh bien, oui! j’aime un plat canaille — 1879 (3)

Albert GlatignyOeuvres

Sonnets spartiates, II

Eh bien, oui! j’aime un plat canaille
Bien mieux que ces combinaisons
Qu’un chef alambique et travaille
Ainsi qu’Enili ses poisons,

Sur le banc de bois où me raille
Le merle chantant aux buissons,
Le cabaret et sa muraille
Que charbonnent les polissons.

Là, je vois des vins populaires
Où Suresnes met ses colères
Et qui font le nez bourgeonné,

Et, pour irriter la fringale,
Cyniquement je me régale
D’un plat de hareng mariné.

Q8 – T15 – octo

La table étincelait. Un tas de bonnes choses — 1879 (2)

Albert GlatignyOeuvres

Sonnets spartiates, I

La table étincelait. Un tas de bonnes choses
Chargeait la noble nappe. On y voyait des mets
Etiquetés de noms savants, chers aux gourmets.
Les crûs fameux brillaient, transparents, blancs et roses.

Sous un prétexte aucun, mes yeux n’avaient jamais
Touché même de loin à ces plats grandioses,
Et cependant mon front, voilé d’ombres moroses,
Montrait que ce n’était point là ce que j’aimais.

« Tu te voudrais sans doute au fond de tes gargotes,
Dans un bouillon Duval, près d’une portion
De lapin contestable ou de boeuf aux carottes,

Misérable! » me dit tout haut l’amphitryon.
Tout tremblant du courroux qu’il ne faisait paraître.
Et moi, je répondis tranquillement: « Peut-être! ».

Q15 – T23

Les homards affamés hurlaient dans leur prison; — 1879 (1)

Albert GlatignyOeuvres

Monselet dévoré par les homards

Les homards affamés hurlaient dans leur prison;
Leurs yeux inquiétants avaient des lueurs fauves,
Leurs compagnes au fond des humides alcôves
Semblaient fuir le soleil sanglant à l’horizon.

Les huîtres tressaillaient, en proie au noir frisson;
Les scorpions de mer s’accrochaient aux rocs chauves,
Et toi, Foi qui toujours nous gardes et nous sauves,
Tu te heurtais le front à la sombre cloison. `

Quand Monselet tomba dans l’abîme, les masques
Des monstres de la mer devinrent effrayants,
Et l’on vit s’allumer des regards flamboyants.

Mais la clémence sied aux homards monégasques,
Et ces martyrs que guette un cuisinier cruel
Venaient lécher les pieds du nouveau Daniel.

Q15 – T15

C’est le premier de l’an, mignonne — 1878 (9)

? in Revue de la Société littéraire de l’Ain

Caprice de jeune fille

C’est le premier de l’an, mignonne
Je suis prêt à combler tes vœux.
A tes désirs je m’abandonne,
Quand je saurai ce que tu veux.

Que faudra-t-il que je te donne ?
Veux-tu quelques chiffons soyeux?
A des journaux vraiment joyeux
Préfères-tu que je t’abonne ?

Veux-tu des livres, mon trésor ?
J’en ai de tout chamarrés d’or
Choisis dans ma bibliothèque.

Veux-tu poser pour nos portraits ?
-Non, dit la fille; je voudrais
Voir guillotiner un évêque.

Q9  T15  octo

Une rousse qui m’aime et s’appelle Honorine, — 1878 (8)

P(aul) Darasse Laeta & moesta

Honorine

Une rousse qui m’aime et s’appelle Honorine,
Excusez son prénom – m’a dit : Tu fais des vers,
Que n’en fais-tu pour moi ? Bien sûr, je t’abomine,
Si je n’ai pas de toi un sonnet, gros pervers !

Eh bien, si je croyais qu’elle tînt sa parole,
Pour m’en débarrasser je refuserais net
Et la prendrais au mot ; mais je sais que la folle
M’adorerait quand même, oui, monsieur, sans sonnet.

Car c’est un vrai caniche, un lierre ; elle est fidèle
Au point que je voudrais, comme un rare modèle,
Qu’on la fît empailler ou mettre en un bocal !

Tiens, mais je m’aperçois qu sans y prendre garde,
Voilà mon sonnet fait ! Parbleu, je le lui garde ;
Elle se fâchera, mais ça m’est bien égal !

Q59  T15  s sur s