Archives de catégorie : Formule de rimes

Je connais, à la Croix du ciel, un humble abri. — 1872 (47)

Amiel Journal

Sonnet

Je connais, à la Croix du ciel, un humble abri.
Autour de lui, le mal rugit ou se lamente,
Mais du monde à ses pieds expire la tourmente
Et la maison de paix dans l’orage a souri.

Dans la maison de paix l’atmosphère est clémente,
L’âpre hiver s’y transforme en printemps attendri,
Qu’on y porte une peine on en revient guéri
Un rayon la protège et la maintient charmante.

Douce maison de paix, le talisman vainqueur
Qui te fait trompher de ce monde moqueur
Quel est-il ? la gaîté, le pardon, la tendresse ?

Le goût pur ? le devoir & sa noble rigueur ?
La foi qui sait prier ? la pitié qui s’empresse ?
C’est tout cela fondu dans un trèfle de cœur.

Q16  T14

Il est mort le poète aux rimes enflammées, — 1872 (46)

Alfred Gabrié in Dominique Fernandez : Ramon (2009)

Sonnet (poème manuscrit sur la mort de Théophile Gautier)

Il est mort le poète aux rimes enflammées,
Le chantre d’Albertus, ouvrier glorieux,
Qui de son style d’or cisela les Camées,
Et sur l’art pur posa son pied victorieux.

Amoureux de la forme, il chante les Almées,
Les rêves de la chair, doux et mystérieux ;
Les chauds enivrements, les passions calmées,
Et dans tout il posa son regard curieux.

Son vers, tout parfumé de parfum poétique,
Fait revivre en nos cœurs le culte de l’Antique,
Seul Dieu qu’il adorât plus que les chastes Soeurs ;

Mais hélas ! lui, poète ennemi du squelette,
Sous notre loi moderne a dû courber la tête,
Et livrer son cadavre aux sombres fossoyeurs!

Q8  T15

Ses yeux sont meurtriers. Sa bouche mignonnette — 1872 (45)

La ligue des poètes

La femme belle

Ses yeux sont meurtriers. Sa bouche mignonnette
Montre à demi ses dents blanches dans un souris,
Et laisse à chaque coin une double fossette,
Petit piège de chair où tous les cœurs sont pris.

Près d’elle, ô Mahomet !, pâlissent tes houris !
Il semble, jouissant de sa beauté parfaite,
Qu’elle ne veuille rien de plus, et s’inquiète
Seulement de payer la louange en mépris.

Qui pourrait espérer, d’une lèvre amoureuse,
Presser, vivifier cette gorge neigeuse,
Ces deux rouges boutons, deux fraises dans du lait ?

Qui saurait obtenir, bras souples et novices,
De vos enlacements les nerveuses prémices ? …
Qui ? – Quelque vieux richard, épuisé, sot et laid.

Hégésippe Cler

Q10  T15

Sous sa peau jaune et sèche on voit saillir les os. — 1872 (44)

La ligue des poètes

La femme maigre

Sous sa peau jaune et sèche on voit saillir les os.
On compte sans effort les côtes, les vertèbres,
Qui dessinent en creux sa poitrine et son dos.
Pitoyables reliefs, revêtements funèbres !

Les bras sont des bâtons ; les jambes, des fuseaux.
Les appas, ignorés dans de justes ténèbres,
Plats, recroquevillés, adorent à huis clos,
Mais, hélas ! de trop loin, le feu, comme les Guèbres.

Bondissant au seul nom d’amour, de volupté,
Son cœur mendie en vain : nul n’a de charité
Pour ce vieil amadou qui quête une étincelle.

Enfin, dans la prière ardente et les romans,
Ayant trompé sa soif, aiguisé ses tourments,
Pauvre lampe sans huile, elle meurt demoiselle.

Hégésippe Cler

Q8  T15

Colosse féminin, citadelle charnue, — 1872 (43)

La ligue des poètes

La femme grasse

Colosse féminin, citadelle charnue,
Elle traîne en soufflant son corps pharamineux.
Rien qu’à lever un doigt, elle rougit et sue.
Oter, mettre ses bas, travail vertigineux !

Pour contenie sa taille, où la graisse remue,
Il n’est pas de lacets, de cordons ni de nœuds.
Spectacle plein d’horreur ! On voit, quand elle est nue,
Trembloter vaguement ses seins gélatineux.

Elle est femme, pourtant. Colombe poétique,
Il faut à ses baisers quelque jeune homme étique,
Depuis que son mari, vaillant jouteur, n’est plus.

Hélas ! un accident le ravit à sa flamme.
Sur sa couche, une nuit, rêvant, la pauvre dame
Se retourna si mal qu’elle s’assit dessus !

Hégésippe Cler

Q8  T15

UN SONNET ! vous voulez m’inspirer cette audace, — 1872 (42)

La ligue des poètes

Au ligueur qui désire que je lui tourne un sonnet au lieu d’un acrostiche

UN SONNET ! vous voulez m’inspirer cette audace,
A moi, plein de frayeur pour ses difficultés !
Car je dois m’accrocher, pour grimper au Parnasse,
Même par l’acrostiche, à ses aspérités.

Mais toujours je retombe au fond de la vallée,
Et reprends mon élan sans le moindre succès ;
Arriver au sommet, ô gloire signalée ! ..
De rares favoris y trouvent leur accès.

Il faut avoir comme eux des trésors d’harmonie,
Des accents inspirés, perles de poésie ;
A ce prix, Apollon leur donne ses faveurs.

Sans ces dons, jour et nuit, hélas ! ma pauvre muse,
Sisyphe ou Danaïde, et sue et souffle et s’use,
Pour atteindre à mi-côte, en stériles labeurs.
Louis Monneret

Q59  T15  s sur s

Comme eux, faut-il entrer en lice — 1872 (41)

–                La Ligue des poètes

Comme eux, faut-il entrer en lice
Avec un sabre de carton ?
Pour moi ce serait un supplice,
Car j’ai de la barbe au menton.


Mais, s’il faut boire à ce calice,
Moi, vieux disciple de Caton,
Je veux, pour punir leur malice,
Armer mon bras d’un gros bâton.


Guerre aux ennemis de la LIGUE !
Sachons opposer une digue
Aux erreurs dont ils sont imbus,


Pour ne pas tomber dans leur trappe,
Amis, il est temps que l’on frappe
Sur l’ignorance et ses abus !

Le Vicomte C. de Roussillon

Q8  T15  bouts-rimés   octo

Allons, frères, debout ! prouvons par cette lice — 1872 (40)

–                La Ligue des poètes

Allons, frères, debout ! prouvons par cette lice
Que nous ne sommes pas des êtres de carton,
Qu’on peut, de mauvais vers, éviter le supplice
Au lecteur, sans avoir de la barbe au menton.


Pourtant, de la critique, acceptons le calice ;
Qu’elle atteigne chacun, Epicure ou Caton.
Qu’elle tienne surtout, mais sans fiel ni malice,
Tous les auteurs malsains courbés sous son bâton !


En avant ! levons-nous, fiers enfants de la LIGUE !
Par nos vers chaleureux, opposons une digue
Aux préjugés dont tant d’aveuglés sont imbus.


O préjugé ! caveau dont l’étouffante trappe,
En tombant sur l’esprit, d’impuissance le frappe !
De force et de sottise inconcevable abus !

Eugénie Marchant

Q8  T15  bout-rimés

Je suis prêt à jeter la plume et le CRAYON, — 1872 (38)

Alfred de Larze Choix d’improvisations

La géométrie

Je suis prêt à jeter la plume et le CRAYON,
Plus interdit, hélas! qu’un âne sous la SANGLE,
J’aimerais mieux tresser des mèches de LAMPION
Qu’improviser ici sur le Cercle et sur l’ANGLE!

Car, malgré l’incidence et la REFLEXION,
Je me perds au milieu d’un triangle RECTANGLE
En appelant du Ciel quelque petit RAYON
Un problème m’étouffe et la corde m’étrangle!

Grands Dieux! Faire en rimant l’éloge du CARRE!
Je suis prêt à crier plutôt: « Miserere! »
Quel sujet effrayant pour ma tremblante muse!

Quand bien même j’aurais Apollon pour parrain,
Pourrais-je vous trouver quelque joli Refrain
Sur la circonférence et sur l’HYPOTHENUSE?

Q8 – T15 – Sonnet improvisé sur mots-rimes imposés

Dans la fraîche vapeur qui bleuit la ramure — 1872 (37)

Cabaner

A la Dame des lys

Dans la fraîche vapeur qui bleuit la ramure
Des saules éloignés, quand se lève le jour,
Viens assainir ton corps chaud d’une nuit d’amour,
Et le purifier des feux de ma luxure.

Et pardonne, être pur, dont la fierté n’endure
Qu’à peine, par bonté, l’inévitable cour
De mille adorateurs, si sur le pur contour
De tes seins froids, ma lèvre a laissé sa souillure.

Ange que ma caresse aurait dû courroucer,
Je jure, en mon remords, de ne plus offenser
La neige de tes chairs que jalousent les cygnes.

Désormais, sans désirs, mes regards sauront voir
Leurs tons, éclatants comme un beau matin, leurs lignes,
Mélancoliquement calmes comme un beau soir.

Q15 – T23 – dédié à Théodore de Banville