Archives de catégorie : Formule de rimes

Dans mon coeur indolent, prompt à se dessécher, — 1871 (3)

Joséphin Soulary Oeuvres poétiques

Là-bas

Dans mon coeur indolent, prompt à se dessécher,
Le souvenir d’hier laisse une trace à peine:
Mais de ses bords lointains l’enfance me ramène
Un souvenir dont rien ne peut me détacher.

Paysage naïf, que j’aime à t’ébaucher!
Rends-moi ma soeur de lait, la brune Madeleine,
Et tous nos biens à deux, boutons d’or dans la plaine,
Nids chanteurs dans les bois, feux au coin du rocher:

Et son beau taureau blanc, et Néra ma génisse,
Fiers lutins qui souvent, trompant notre oeil novice,
S’égaraient par les blés qu’avait dorés Juillet;

Et ce calme enivrant des blondes nuits sans voiles
Quand, sa main dans ma main, nous rêvions aux étoiles,
Sur le seuil de la ferme où l’âtre pétillait.

Q15 – T15

Je n’ai d’ami qu’un chien. Je ne sais pour quels torts, — 1871 (2)

Joséphin Soulary

Un Ami

Je n’ai d’ami qu’un chien. Je ne sais pour quels torts,
De ma main, certain jour, il reçut l’étrivière.
Ce chien me repêcha, le soir, dans la rivière;
Il n’en fut pas plus vain, – moi, j’eus bien des remords.

Nous ne faisons, depuis, qu’un âme dans deux corps.
Lorsqu’on m’emportera sur la triste civière,
Je veux que mon ami me suive au cimetière,
Le front bas, comme il sied au cortège des morts.

On comblera ma fosse. Alors, ô pauvre bête,
Las de flairer le sol, de mes pieds à ma tête,
Seul au monde, et tout fou de n’y comprendre rien,

Tu japperas trois fois; – je répondrai peut-être.
Mais si rien ne répond, hélas! c’est que ton maître
Est bien mort! couche-toi pour mourir, mon bon chien!

Q15 – T15

Je n’entrerai pas là, – dit la folle en riant, – — 1871 (1)

Josephin SoularyOeuvres poétiques


Le sonnet

Je n’entrerai pas là, – dit la folle en riant, –
Je vais faire éclater cette robe trop juste!
Puis elle enfle son sien, tord sa hanche robuste,
Et prête à contre-sens un bras luxuriant.

J’aime ces doux combats, et je suis patient.
Dans l’étroit vêtement, vrai corset de Procuste,
Là, serrant un atour, ici le déliant,
J’ai fait passer enfin tête, épaules, et buste.

Avec art maintenant dessinons sous ces plis
La forme bondissante et les contours polis.
Voyez! la robe flotte, et la beauté s’accuse –

Est-elle bien ou mal en ces simples dehors?
Rien de moins dans le coeur, rien de plus sur le corps,
Ainsi me plaît la femme, ainsi je veux la Muse.

Q14 – T15  s sur s

Est-ce cultiver l’art que bâtir avec peine — 1870 (9)

P.Garreau in Académie Belles-Lettres La Rochelle

Le sonnet

Est-ce cultiver l’art que bâtir avec peine
Un sonnet où la muse a pour tout horizon
Quatorze pas, les murs étroits d’une prison ?
Est-ce le cultiver que de forcer la veine

A fournir quatre fois, d’abord, la rime pleine,
En huit vers attelés d’une étrange façon ?
Si c’est là de la rime, est-ce de la raison ?
Ah ! ne confondons pas la règle avec la chaîne !

Qui nous délivrera du factive dans l’art,
Des tours de passe-passe, et des femmes à fard,
Des adroits qui voudraient remplacer le poète ?

Quand j’ai fait un sonnet, je me sens au niveau
D’un bateleur expert ou d’un habile athlète …
Mais c’est là trahir l’art et le culte du beau !

Q15  T14 – ba,v –  s sur s

On leur fait des sonnets, passables quelquefois; — 1870 (8)

Victor Hugo

Jolies femmes
Sonnet pour album

On leur fait des sonnets, passables quelquefois;
On baise cette main qu’elles daignent vous tendre;
On les suit à l’église, on les admire au bois;
On redevient Damis, on redevient Clitandre;

Le bal est leur triomphe, et l’on brigue leur choix;
On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre,
Tout en dansant, parmi les luths et les hautbois,
Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre:

– La force est tout; la guerre est sainte; l’échafaud
Est bon; il ne faut pas trop de lumière; il faut
Bâtir plus de prisons et bâtir moins d’écoles;

Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts. –
Et ces colombes-là vous disent des paroles
A faire remuer d’horreur les os des morts.

Q8 – T14

Je chevauche à travers la nuit; ma sueur coule. — 1870 (7)

Paul Delair Les nuits et les réveils


En retard

Je chevauche à travers la nuit; ma sueur coule.
Un vent lugubre tord les bras de la forêt;
Voici que dans le ciel ruisselant apparaît
Une tour à créneaux qui se lézarde et croule.

Les serviteurs portant des flambeaux, qu’on dirait
Tous âgés de mille ans, me reçoivent en foule;
Et sous les hauts plafonds ténébreux leur voix roule:
 » N’êtes vous pas celui qu’on attend. Il est prêt. »

Sous le dais noir tressaille un grand vieillard farouche.
Sa fille est immobile et chaste dans sa couche,
Et j’ai beau la chauffer de baisers: elle dort.

 » Pourquoi ne puis-je pas ressusciter mon ange,
O vieillard? » Il répond avec un rire étrange:
 » Comment le pourriez-vous, puisque vous êtes mort?  »

Q16 – T15

J’ai le ressouvenir des choses disparues — 1870 (6)

Paul Delair Les nuits et les réveils

Identité

J’ai le ressouvenir des choses disparues
Et de temps très-anciens pour jamais éclipsés:
Balcons à trèfles noirs qui rêvent sur les rues,
Vitraux d’or, fins pignons dans le ciel élancés;

Chants de cloches tombant aux foules accourues,
Vieux piliers méditants, longs cintres surbaissés,
Douces odeurs d’encens dans les ombres accrues; –
Je vois, je sens, je vis, je reste en ces passés.

La tristesse du soir, de décembre les brumes,
Me rappellent les jours de songe et d’amertume
Où dans l’obscurité mon âme s’exhala;

J’ai vécu: mais que sert, ô Seigneur, de renaître?
Me voici tous les soirs pensif à la fenêtre,
Avec les mêmes pleurs aux yeux qu’en ce temps-là!

Q8 – T15

Qui nous tient? de quel rire et de quelle ironie — 1870 (5)

Paul Delair Les nuits et les réveils

Questions

Qui nous tient? de quel rire et de quelle ironie
Sommes-nous les bouffons sans le savoir? Qui donc
Fit l’homme, et pour loger l’espérance infinie
Courba la voûte étroite et basse de son front?

Qui fait couler le fiel pour la vertu bannie?
Qui coupe, indifférent, la branche avec le tronc?
Qui rit au crime, et met sur sa tête impunie
La marque au nom de qui ses enfants règneront?

Qui suscite la peste et luit sur les batailles?
Qui ne baîllonne pas les gueules de la mer?
Qui maudit la semence et frustre les entrailles?

Et comme un sablier, dans le néant amer,
Qui nous vide? Et quand tout sera nu sur la terre,
Qui donc, pour s’amuser, pèsera la poussière?

Q8 – T23

Un visage un peu long, d’une pâleur ambrée, — 1870 (4)

Charles Legrand Le théâtre en sonnets

XI – Favart

Un visage un peu long, d’une pâleur ambrée,
Des cheveux insolents, un front pur, de grands yeux,
Sous la paupière lourde embrasés, – lèvre ombrée
De dédain, col flexible et sein tumultueux.

Ta voix fuyant d’abord monotone et flexible,
Pour jaillir en éclats, et mordre bien au coeur;
Un corps semblant de marbre et, quand l’éclair arrive,
Se tordant plein d’amour, s’écrasant de douleur.

Ah! que la haine est belle à se ruer farouche!
Ah! que l’amour est doux à couler de ta bouche!
Quelle fierté! quel feu! quel désordre, quel art!

La passion, c’est toi – toi la vie et la flamme!
Et ce cri, malgré nous, à te voir, part de l’âme
Bien rugi, par les dieux! O lionne, ô Favart!

Q59 – T15

O chair lactée, ô cheveux d’or, — 1870 (3)

Charles Legrand

VII – Pierson

O chair lactée, ô cheveux d’or,
O front d’ivoire, ô rire rose,
Glauque regard qui, frais, repose,
O sein de neige au doux essor!

C’est Vénus de la lame éclose,
C’est Eve étincelant au jour,
La fraîcheur, le parfum, la rose,
C’est le printemps et c’est l’amour.

Donc, comment voulez-vous madame,
Quand vous prenez les yeux et l’âme
Et nous perdez de désirs fous,

Qu’on puisse votre jeu décrire?
Est-ce qu’on entend? On admire.
Que ne vous enlaidissez-vous!

Q17 – T15 – octo