Archives de catégorie : Formule de rimes

Des convives repus la fatigue s’empare … — 1868 (24)

Eugène Vermersch Sonnets culinaires in  L’Eclipse

Le macaroni

Des convives repus la fatigue s’empare …
Servez alors ce plat riche et mélodieux
Qui nous vient d’Italie et qui lui vint des dieux
De la divinité c’est le don le plus rare.

De graisse de chapon ne soyez point avare
Prodiguez les rognons de coq, les savoureux
Champignons et la truffe aux pouvoirs amoureux,
Demandez à Bontoux comment ils se préparent.

Que des lèvres d’argent de la cuiller qui sort
Brusquement du ragoût, des stalactites d’or
Tombent ; vous connaitrez à quel point sont futiles

Les splendides objets de notre vanité,
Que notre estomac seul veut être respecté
Et que les paradis sont choses inutiles.

Q15  T15

Le siècle est aux chevaux – on est d’humeur morose, — 1868 (23)

Delphis  de la Cour Poésies et sonnets couronnés en 1867

Le siècle est aux chevaux – on est d’humeur morose,
On pense que l’esprit est d’un mince rapport,
On ne parle jamais que de turf et de sport ;
On aime mieux sentir le cheval que la rose.

Le siècle est à l’argent, le siècle est à la prose,
La Bourse est un écueil que l’on prend pour un port,
L’amour se traite en prime et l’honneur en report ;
Le bruit de l’or, hélas ! fait taire toute chose.

Le poète n’est rien, c’est un type effacé.
La prose rit bien haut du style cadencé ;
Le chant du rossignol est sifflé par les merles.

Le poète n’est rien, dis-tu, siècle insensé !
Par lui le diamant est dans l’or enchassé,
Il enfile les mots, mais ces mots sont des perles !

Q15 – T15

O Greuse ! la Critique, ardente au paradoxe, — 1868 (22)

in L’Artiste

L’idéal de Greuze

O Greuse ! la Critique, ardente au paradoxe,
Condamnent la Pensée en tes tableaux charmants ;
Mais avec Diderot, ton critique orthodoxe,
Tu réponds aux railleurs : l’Art aime les romans.

Depuis les hauts sommets de Zeuxis et d’Apelle,
Jusques au chevalet des artistes flamands,
L’Art a toujours pensé, parce que l’Art rappelle
Dieu sculptant et peignant mondes et firmaments.

O peintre romancier, j’aime ton odyssée.
Quand tu cueilles les fleurs de la virginité,
Avec tant d’innoncence et tant de volupté !

J’aime mieux l’Idéal de ta Cruche cassée,
Qu’un chaudron de Chardin, chef-d’œuvre sans pensée :
C’est dans l’âme qu’il faut chercher la Vérité.

Q59  T27

Pourquoi toujours Weber, Haydn, Mozart, Pergolèse, — 1868 (21)

Arsène Houssaye in L’Artiste

Sonnet

Pourquoi toujours Weber, Haydn, Mozart, Pergolèse,
L’Allemagne au ciel gris, l’Italie au ciel bleu ?
Notre soleil est pur, notre gloire est à l’aise :
Aux maîtres étrangers nous avons dit adieu !

Salut à ta beauté, noble Ecole française,
Musique de Thomas, d’Hérold, de Boïeldieu !
Tu naquis peu de temps après la Marseillaise,
Méhul est ton prophète, Auber, ton jeune dieu !

Et pendant que Paris bat des mains sous les lustres,
On voit venir Gounod, chef des jeunes illustres :
Il fait chanter Ulysse, et Faust, et Roméo.

Juliette ou Gretchen lui sourit des balustres !
Bissé par Roqueplan*, applaudi par Théo,
Et, pour suprême amour, chanté par Carvalho** !

Q8  T8 Trois ans plus tard, de l’Allemagne qu’est-ce que nous aurions entendu ! le sonnet, ‘lit de Procuste’ n’a pas trouvé de place pour les deux syllabes de ‘Berlioz’ (admettons que Bizet était trop jeune)

* sans doute Nestor Roqueplan, auteur de Coulisses de l’Opéra

** Caroline-Miolan Carvalho, chanteuse (‘Marie’, dans le Faust de Gounod soi-même)

Les rythmes d’or et les voix pures — 1868 (20)

Antoine Cros in Catulle Mendés : La maison de la vieille (ed. Jean-Jacques Lefrère …)

A Madame Nina de Callias

Les rythmes d’or et les voix pures
Du claveçin obéissant
Sortent en suaves mesures
Sous vos doigts au charme puissant.

Oh ! l’émoi que chacun ressent ! –
Les éloges se font murmures.
Pareils au bruit, dans les ramures,
Du vent d’automne caressant.

Vous groupez les être qu’on aime
Comme les chants d’un beau poëme.
Vous répandez autour de vous

Une sympathique atmosphère
Où votre jeu savant sait faire
Vibrer l’esprit superbe et doux

Paris, 30 VIIbre 1868

Q10  T15 – octo

Le tréteau qu’un orchestre emphatique secoue — 1868 (19)

Coll.sonnets et eaux fortes

Verlaine

Le pitre

Le tréteau qu’un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui parade – non sans un visible dédain
Des badauds s’enrhumant devant lui dans la boue.

La courbe de ses reins et le fard de sa joue
Excellent. Il pérore et se tait tout soudain,
Reçoit des coups de pied au derrière, badin
Baise au cou sa commère énorme et fait la roue.

Il accueille à merveille et rend bien les soufflets;
Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets
Tournant jusqu’à l’abus valent que l’on s’arrête.

Mais ce qu’il sied vraiment d’exalter, c’est surtout
Cette perruque d’où se dresse, sur sa tête ,
Preste, une queue avec un papillon au bout.

Q15 – T14- banv – 

Comme il vient de porter sa pauvre femme en terre, — 1868 (18)

Coll.sonnets et eaux fortes

Joséphin Soulary

Une grande douleur

Comme il vient de porter sa pauvre femme en terre,
Et qu’on est d’humeur triste un jour d’enterrement,
Au prochain cabaret il entre sans mystère;
Sur les choses du coeur c’est là son sentiment.

Il se prouve en buvant que la vie est sévère,
Et, vu que tout bonheur ne dure qu’un moment,
Il regarde finir mélancoliquement
Le tabac dans sa pipe et le vin dans son verre.

Deux voisins, ses amis, sont là-bas, chuchotant
Qu’il ne survivra pas à la défunte, en tant
Qu’elle était au travail aussi brave que quatre.

Et lui songe, les yeux d’une larme rougis,
Qu’il va rentrer, ce soir, ivre-mort au logis,
Bien chagrin de n’y plus trouver personne à battre.

Q9 – T15

Par un ciel étoilé sur ce beau pont des Arts, — 1868 (17)

Coll.sonnets et eaux fortes

Sainte-Beuve

Le pont des Arts

Par un ciel étoilé sur ce beau pont des Arts,
Revenant tard et seul de la cité qui gronde,
J’ai mille fois rêvé que l’Eden en ce monde
Serait de mener là mon ange aux doux regards;

De fuir boue et passants, les cris, le vice épars,
De lui montrer le ciel, la lune éclairant l’onde,
Les constellations dans leur courbe profonde
Planant sur ce vain bruit des hommes et des chars.

J’ai rêvé lui donner un bouquet au passage;
A la rampe accoudé ne voir que son visage,
Ou l’asseoir sur ces bancs d’un mol éclat blanchis;

Et quand son âme est pleine et sa voix oppressée,
L’entendre désirer de gagner le logis,
Suspendant à mon bras sa marche un peu lassée.

Q15 – T14 – banv

Voyez, sous une nuit triste, qui fond en eau, — 1868 (16)

Coll. Sonnets et Eaux-Fortes

Louis-Xavier de Ricard

Théroigne de Méricourt

Voyez, sous une nuit triste, qui fond en eau,
L’assaut tumultueux des femmes en guenilles,
Sombre, hurlant des cris de faim, s’entasse aux grilles.
Tranquille, au loin, le parc est noir comme un  tombeau.

Etonnés de ce peuple, autrefois vil troupeau,
Et que les lourds canons aient quitté les bastilles,
Pour obéir aux mains qui tenaient les aiguilles,
Les gardes sont rangés devant le vieux château.

Et voici que, pareille à l’étoile sanglante
Que les flots de la mer sinistre et violente
Font jaillir dans le ciel orageux de la nuit,

Sur un cheval cabré, parmi la foule, éclate
Farouche, et brandissant un sabre nu, qui luit,
La belle Liégeoise, amazone écarlate!

Q15 – T14 – banv

De même qu’au soleil l’horrible essaim des mouches — 1868 (15)

coll. sonnets et eaux-fortes

Leconte de Lisle

Le combat homérique

De même qu’au soleil l’horrible essaim des mouches
Des taureaux égorgés couvre les cuirs velus,
Un tourbillon guerrier de peuples chevelus
Hors des nefs s’épaissit, plein de clameurs farouches.

Tout roule et se confond, souffle rauque des bouches,
Bruit des coups, les vivants et ceux qui ne sont plus,
Chars vides, étalons cabrés, flux et reflux
Des boucliers d’airain hérissés d’éclairs louches.

Les reptiles tordus au front, les yeux ardents,
L’aboyeuse Gorgô vole et grince des dents
Par la plaine où le sang exhale ses buées.

Zeus, sur le pavé d’or, se lève, furieux,
Et voici que la troupe héroïque des dieux
Bondit dans le combat, du faîte des nuées.

Q15 – T15