Archives de catégorie : Formule de rimes

Connais-tu la raison pour laquelle je t’aime? — 1861 (5)

Léon Cladel Poésies

5

Connais-tu  la raison pour laquelle je t’aime?
C’est ton amour savante et ton charme érudit,
C’est dans la Volupté ton élégant système…
C’est ta caresse artiste enfin qui m’engourdit.

Nulle pour varier le monotone thème
Du plaisir n’est pareille à toi, je te l’ai dit;
Tes pleurs tombent sur moi comme l’eau d’un baptème,
Tes pleurs que le calcul appelle, ange maudit!

Rythmique, enlace-moi, nonchalante et rythmique;
En ton moelleux dandysme exempt de passion,
Mesure le regard, l’haleine balsamique,

La parole, le geste et l’ondulation:
Voluptueuse avec préméditation,
Tu parais délirante étant mathématique!

Q8 – T21

Le lac dort sous le ciel en fête: — 1861 (4)

Edmond Arnould Sonnets et poèmes

Le lac dort sous le ciel en fête:
Ni brise, ni flôt murmurant;
Pas même le nuage errant
Qui fait songer à la tempête.

D’où vient qu’une ombre se reflète,
Noire, dans l’azur transparent?
Chasseur rapace et dévorant,
Un oiseau vole sur ma tête.

Ainsi le malheur, fin vautour,
Sans qu’aucun bruit nous le révèle,
Sur nous plane, aux feux d’un beau jour:

Mais longtemps avant de le voir,
Dans nos coeurs, tranquille miroir,
Nous voyons l’ombre de son aile.

Q15 – T25  – octo Les tercets, cdc eed, violent la règle d’alternance

Grondez sur ma tête, orchestres des airs; — 1861 (3)

Edmond ArnouldSonnets et poèmes

Grondez sur ma tête, orchestres des airs;
Faites frissonner rameaux et feuillages;
Tirez des accords profonds et sauvages
Des sombres sapins et des chênes verts;

Répétez pour moi, dans les bois déserts,
Ces rumeurs, ces cris, ces chants, ces langages,
Que vous murmuriez en ces premiers âges
Où vous parliez seuls au vieil univers;

Où l’on n’entendait passer dans les plaines
Ni l’accent plaintif des douleurs humaines,
Ni le cri joyeux des jeunes amours;

Où nul n’écoutait votre voix puissante,
Excepté celui dont la main savante
Travaillait dans l’ombre à l’oeuvre des jours!

Q15 – T15 – tara

M. SchuréEtude sur les sonnets d’Edmond Arnould – Le sonnet a été de tout temps le péché poétique des savants et des philosophes. Le vrai poète choisit d’instinct la forme qui répond le mieux à son sentiment et en marque pour ainsi dire la cadence. L’érudit, s’il essaie d’être poète, se plait à mouler sa pensée dans une forme arrêtée, à en ciseler les contours avec un soin jaloux. Le sonnet se prète merveilleusement à l’archaïsme, au trait d’esprit, à l’aphorisme philosophique. Peut-être faut-il regretter qu’Edmond Arnould ait confié ses sentiments les plus forts, ses pensées les plus riches à cette forme d’une élégance recherchée. Il eût été plus libre, plus naturel, plus inspiré, en un mot, en n’adoptant aucun cadre. Nous aurions, des luttes de sa vie intime, une plus frappante image, s’il avait rendu, par la variété des rythmes et des combinaisons prosodiques, le ton primitif de chacune de ses émotions. Mais si je ne me trompe, la forme du sonnet, qu’il semble avoir adoptée une fois pour toutes, tient à la nature particulière de sa pensée et de son activité poétique …. pour un tel poète, le sonnet était un cadre heureux. Car, dans sa forme étroite, dans son rythme contenu, dans son harmonie pleine, il sait exprimer énergiquement une pensée simple et forte. La lutte que dans ce travail le poète soutenait contre la forme, n’était au fond que la lutte de sa pensée avec elle-même. En l’exprimant brièvement et fortement, il en devenait maître et prenait acte de conviction.

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique — 1861 (2)

Henri Murger Les nuits d’hiver

Sonnet
Au lecteur

Ami lecteur, qui viens d’entrer dans la boutique
Où l’on vend ce volume, et qui l’as acheté
Sans marchander d’un sou, malgré son prix modique,
Sois béni, bon lecteur, dans ta postérité!

Que ton épouse reste économe et pudique;
Que le fruit de son sein soit ton portrait flatté
Sans retouche; – et, pareille à la matrone antique,
Qu’elle marque son linge et fasse bien le thé!

Que ton cellier soit plein du vin de la comète!
Qu’on ne t’emprunte pas d’argent, – et qu’on t’en prête!
Que le brelan te suive autour des tapis verts;

Et qu’un jour sur ta tombe, en marbre de Carrare,
Un burin d’or inscrive – hic jacet – l’homme rare
Qui payait d’un écu trois cents pages de vers!

Q8 – T15

La rue assourdissante autour de moi hurlait. — 1861 (1)

Charles Baudelaire Les Fleurs du mal (2ème ed.)

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse,
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair … puis la nuit! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement  renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais!

Q63 – T23

Que sera-ce à la fin si déjà rougissant — 1860 (2)

J.E. Guy L’écrin d’un amateur

Sonnet sur l’amour

Que sera-ce à la fin si déjà rougissant
A ce titre anodin rempli d’hypocrisie,
Je vois sur votre front la teinte cramoisie
Qu’enfante la pudeur, ce beau fruit d’un beau sang?

Allez puiser ailleurs de plus noble ambroisie
Dans la coupe d’argent d’un esprit mieux pensant,
O belle dame! car, en y réfléchissant,
Il faut, pour m’approuver, se nommer Aspasie …

Et maintenant, messieurs, que nous sommes ici
Entre hommes, ou du moins à peu près, Dieu merci!!
Je dois, pour mes neveux, être un auguste ancêtre,

Puisque, sans nul besoin du moindre remorqueur,
J’ai, tout en rêvassant du côté de Bicêtre
Su trouver que l’amour est le sperme du coeur!

Q16 – T14

Sous le rideau de pourpre et son reflet vermeil, — 1860 (1)

Amédée Pommier Sonnets sur le salon de 1850

Le lever Eugène Delacroix

Sous le rideau de pourpre et son reflet vermeil,
Du lit encourtiné tu délaisses la plume,
Car il est déjà tard et ta vitre s’allume
Aux rayons scintillants que darde le soleil.

Eh quoi! tu n’es pas même en ce simple appareil
Dont parle Jean Racine! Est-ce donc la coutume
Qu’on fasse sa toilette en si léger costume
Et qu’on se mire nue au moment du réveil?

Il est bizarre, au moins, conviens-en, jeune fille,
D’être sans voile ainsi jusques à la cheville
C’est un habillement un peu … décolleté.

Pour toi, tu vas peignant ta blonde chevelure,
Et c’est là ton souci! Que faut-il en conclure?
Qu’apparemment on est au plus fort de l’été.

Q15 – T15

Quand sous votre corps nu craque un soyeux coussin, — 1859 (1)

Mallarmé Entre quatre murs

Sonnet
A.R.

Quand sous votre corps nu craque un soyeux coussin,
Fumer dans l’ambre et l’or un tabac qu’on arrose
De parfums espagnols: voir voltiger l’essaim
Des houris à l’oeil noir, dont l’enivrante pose

Vous fait rêver au ciel; renverser sur le sein
De celle qui, rieuse, entre vos bras repose
Un verre de Xérès, et dans le frais bassin
Mouiller en folâtrant ses tresses d’eau de rose,

C’est l’Eden! – pense Hassan: et je lui fais écho!
Mais le Ciel, c’est pour moi comme à mon vieux Shakspeare
Un sonnet! – où l’esprit jouit d’être au martyre

Comme en son fin corset le sein de Camargo!
– Quoi! J’ai tant bavardé! plus qu’un vers pour te dire
Mon voeu: « Pour moi commande un sonnet à ta lyre. »

Q8 – T29

Il est des jours où la muse rebelle, — 1858 (5)

Auguste Lestourgie Près du clocher

A Chéri Vergne

Il est des jours où la muse rebelle,
Comme un oiseau las de fendre les airs,
N’a plus d’amour pour les tendres concerts,
Se tait, se pose, et n’ouvre plus son aile !

Il est des jours où la flamme immortelle
Paraît éteinte ; où, semblable aux déserts,
Le cœur n’est plus qu’un stérile univers,
Sans fleur, sans vie, où nul feu n’étincelle !

Mais quand on jette à ce cœur désolé
Un nom, un seul – soudain s’est envolé
L’oiseau chanteur qui sommeillait dans l’âme !

La flamme vive a paru – tout fleuri,
Vivant, peuplé, le désert a souri! –
Ce nom puissant c’est un doux nom de femme !

Q15  T15  déca

Qui, moi? faire un sonnet? J’en ai si peu l’envie! — 1858 (4)

M.Modelon Brises d’automne

Un sonnet

Qui, moi? faire un sonnet? J’en ai si peu l’envie!
Puis, un sonnet sur quoi? sur ce qu’il me plaira?
Fort bien! essayons! Puis, advienne que pourra
Du sonnet, le premier que je fais de ma vie!

Qu’en dites-vous, ami? Vous riez, je parie,
De me voir me creuser pour une rime en ie,
Que doit suivre bientôt une autre rime en ra.
Encore un hémistiche! et puis la chose ira.

Je croyais terminer cette leçon d’escrime;
Mais il me reste encor deux tercets à trouver.
Laissez-moi! je m’en vais un instant y rêver…

Malgré ce bon Boileau, j’eus toujours peu d’estime
Pour ce genre bizarre et ses quatorze vers;
C’est peut-être, entre nous, que les fruits sont trop verts.

Q13 – T30 s sur s