Archives de catégorie : Formule de rimes

Alexandre le Grand, il parlait comme un livre — 1958 (9)

Raymond Queneau Sonnets

L’alexandrinisme des origines à nos jours

Alexandre le Grand, il parlait comme un livre
Avec Aristote comme maître cela n’a rien d’étonnant
On lui reproche d’avoir été – une fois – ivre
C’est bien la peine de gagner tant de batailles pour être à la fin condamné moralement

Arrivé au bout du monde ses soldats ne voulurent plus le suivre
Pourtant après les Indes il y avait la Chine le Japon et le Nouveau Continent
Seulement ils ne savaient pas la géographie peut-être même manquaient-ils de vivres
La plupart d’entre eux rentrèrent à pied et quelques-uns par le golfe d’Oman

Tout ça ne me dit pas pourquoi l’alexandrin
De la langue française est le plus bel écrin
Il nourrit le sonnet comme la perle l’huître

Ni pour quelles raisons le roi macédonien
Donna son nom illustre à douze comédiens
Graves comme au Français, sérieux comme des pitres

Q8 – T6 – m.irr

« Après vous » « Après moi » L’échange volatile — 1958 (8)

Raymond Queneau Sonnets

Voilà que j’assiste à un grand dîner officiel

« Après vous » « Après moi » L’échange volatile
De ces mots survolant les côtes de rastron
Me semble en vérité de plus en plus futile
Depuis que j’ai gâté de sauce mon plastron

Pour aller au banquet des rois du mirliton
Je m’étais habillé non sans un certain style
On mangea de l’orange avec du caneton
Et des petits gâteaux de chez Lefèvre-Utile

Les yeux écarquillés je somnolais pantois
Il y eut un discours et puis deux et puis trois
En moi-même admirant ma conduite exemplaire

Mais en baissant les yeux épouvanté je vois
La tache que j’avais plaqué avec mes doigts
Sur ma chemise blanche effort vestimentaire

Q11 – T6

Il y avait une fois un vers de douze pieds — 1958 (7)

Raymond Queneau Sonnets

Invraisemblables sornettes de sodomites convertis

Il y avait une fois un vers de douze pieds
Qui se sentait trop seul cherchait un acolyte
Il n’alla pas plus loin que le bout de son nez
Et trouva le copain qu’il voulait tout de suite

Ils firent connaissance et tous deux étonnés
Qu’ils eussent en commun la rime sodomite
Contents un peu jaloux ils s’étaient accordés
Pour juger la rencontre un peu hermaphrodite

Le temps passa De deux ne devenant pas trois
Une astuce leur vint: la rime féminine
Puis d’autres: la césure et l’hiatus bien sournois

Il n’y eut plus de borne à tout ce feu grégeois
Multipliant sans fin prouesses comme exploits
Ils firent du sonnet la suprême combine

Q8 – T16 – s sur s

Si j’osais je dirais ce que je n’ose dire — 1958 (6)

Raymond Queneau Sonnets

Qui cause? qui dose? qui ose?

Si j’osais je dirais ce que je n’ose dire
Mais non je n’ose pas je ne suis pas osé
Dire n’est pas mon fort et fors que de le dire
Je cacherai toujours ce que je n’oserai

Oser ce n’est pas rien ce n’est pas peu de dire
Mais rien ce n’est pas peu et peu se réduirait
A ce rien si osé que je n’ose produire
Et que ne cacherait un qui le produirait

Mais ce n’est pas tout ça Au boulot si je l’ose
Mais comment oserai-je une si courte pause
Séparant le tercet d’avecque le quatrain

D’ailleurs je dois l’avouer je ne sais pas qui cause
Je ne sais pas qui parle et je ne sais qui ose
A l’infini poème apporter une fin

Q8 – T15

Acriborde acromate et marneuse la vague — 1958 (5)

Raymond Queneau Sonnets

Acriborde acromate et marneuse la vague
au bois des écumés brouillés de mille cleurs
pulsereuse choisit un destin coquillague
sur le sable ou les nrous nretiennent les nracleurs

Si des monstres errants emportés par l’orague
crentaient avec leurs crons le crepâs des sancleurs
alors tant et si bien mult et moult c’est une ague
qui pendrait sa trapouille au cou de l’étrancleur

Où va la miraison qui flottait en bombaste
où va la mifolie au creux des cruses d’asthe
où vont tous les ocieux sur le chemin des mers

on ne sait ce qui court en poignant sur la piste
on ne sait ce qui crie en poussant le tempiste
dans le ciel où l’apur cherche un benith amer
on ne sait pas?

Q8 – T15 + x – 4s: v.15 – 15v

La Nation débordait de cent torrents grossie — 1958 (1)

Henri BassisSonnets pour la République


La Mer

La Nation débordait de cent torrents grossie
Toutes les rues charriaient ce soir d’étranges fleuves
Une coulée d’azur trouant les jours d’épreuves
Comme si l’Avenir faisait une éclaircie

Des hommes avançaient en bleu les mains noircies
Et des femmes portant parfois des robes neuves
Des gavroches sifflaient Paris faisait ses preuves
La République était vivante Dieu merci

Chantant grondant riant oubliant sa fatigue
Tout un peuple océan battait contre ses digues
Moi j’écoutais sans fin ce géant respirer

Je sais qu’un Mai toujours démentira Brumaire
Une vague me prit et j’entrai dans la mer
Où lente mûrissait une énorme marée.

Q15 – T15

Est-il vrai qu’en ces lieux l’enchanteur ait passé, — 1957 (6)

Léon Lafoscade & Louis-Ferdinand Flutre Fantaisie brugeoise

Le lac d’amour

Est-il vrai qu’en ces lieux l’enchanteur ait passé,
Que le roseau des bords dissimule une ondine
Capable de verser à celui qui chemine
Un charme sous lequel il demeure insensé ?

Quel couple cependant resterait enlacé
Quand le prestigieux mirage le fascine ?
La plus prompte à céder se fait soudain béguine
Le plus entreprenant s’arrête ambarrassé.

Car Sainte Elizabeth prend en sa sauvegarde
Quiconque sur la berge à ses pieds se hasarde.
Dans les reflets du ciel où tremble un long clocher,

Le cygne se balance en rythme liturgique ;
Vigne et saule pleureur s’affligent du péché,
Et tout amour devient communion mystique

Q15  T14 – banv

La rime est un carcan : je n’en fais pas mystère, — 1957 (5)

Florilège des Sonnets d’Arvers rénovés et signés des lauréats du Concours de la Muse d’Oc

(Georges Poucet)
L’énigme d’art vert

La rime est un carcan : je n’en fais pas mystère,
Un supplice plus dur, dans ce genre, est conçu,
Car le sonnet d’Arvers (j’eus préféré me taire)
Je dois le pasticher, ne l’ayant jamais su.

Mais, pourtant, ce problème est-il inaperçu ?
Non, près des Jeux Floraux, on n’est pas solitaire ,
Et plus d’un cavalier aura mis pied à terre :
Descendant de Pégase, il sera bien reçu.

Il lui faudra choisir le sévère ou le tendre ,
S’inspirer de son mieux, s’il veut se faire entendre,
Qu’on puisse en l’écoutant le suivre pas à pas,

En restant, à la rime, entièrement fidèle,
Gagnant le dernier vers encor tout rempli d’elle,
Il dira : c’est fini ! mais ne finira pas.

Q10  T15  arv  s sur s

Tes yeux m’ont révélé leur secret sans mystère, — 1957 (4)

Florilège des Sonnets d’Arvers rénovés et signés des lauréats du Concours de la Muse d’Oc

(madame Calliot-Bonnat)

Tes yeux m’ont révélé leur secret sans mystère,
Et ce cruel amour en ton âme conçu.
Le mal est sans espoir ! continue à le taire,
Mais je préfèrerais n’avoir jamais rien su.

Tu passais, près de moi, souvent, inaperçu
Dans la foule, partout, je restais solitaire …
Je ferai, jusqu’au bout, mon chemin sur la terre,
Ne demandant plus rien, ayant assez reçu.

Grâce à Dieu, quelquefois, je suis douce et très tendre
Mais je vais mon chemin, ne voulant pas entendre
Ce murmure d’amour élevé sur mes pas.

L’agréable devoir auquel je suis fidèle,
M’empêche de frémir au sonnet tout plein d’ELLE.
Eternel  ton amour ? Non, je ne le crois pas.

Q10  T15  arv

Fluide aux éléments flous bouillonnant sous l’orage, — 1957 (3)

Pierre Boulle in Le poids d’un sonnet


Le pithécanthrope

Fluide aux éléments flous bouillonnant sous l’orage,
la mer anéantit sans haine et sans amour
cette goutte de pluie alanguie en l’air lourd
qui tombe, en chuchotant sa chanson, du nuage.

Le gouffre, sans reflet de ce fatal naufrage,
au destin de l’atome éternellement sourd,
détruit l’être, et dissout le fragile contour
en la simple Unité de sa splendeur sauvage.

Plus réel que de l’air la frêle passagère,
tu laissas un débris de ton humanité:
c’est ce crâne blanchi qui rit dans la poussière.

Mais ton âme, un soupir de la Divinité,
comme la goutte d’eau dans sa chute éphémère,
s’est dissoute, Univers, en ton immensité.

Q15 – T20