Archives de catégorie : Formule de rimes

Notre vie est semblable aux monts de Pyrénées ; — 1850 (5)

Armand de Flaux Nuits d’été

Sonnet

Notre vie est semblable aux monts de Pyrénées ;
Aux pieds naissent des fleurs dans toutes les saisons,
Et du haut des glaciers les neiges entraînées,
Coulent plus mollement sur des lits de gazons.

Des forêts de sapins sur leurs flancs inclinées,
A jamais, du soleil leur cachent les rayons,
Et, dans l’azur des cieux, leurs têtes couronnées
Sont éternellement couvertes de glaçons.

Ces gazons et ces fleurs n’est-ce pas la jeunesse ?
Ces forêts, d’un aspect plus grave et plus obscur
Dont l’oeil est attristé, n’est-ce pas l’âge mûr ?

Ces sommets dévastés, n’est-ce pas la vieillesse ?
Puis cette immensité des pics au firmament
N’est-ce pas de la mort le vide et le néant ?

Q8  T30

Toi, dont la vie errante est de charmes remplie, — 1850 (4)

Paul-Eugène Bache Les oranaises

La plume

Toi, dont la vie errante est de charmes remplie,
Plume, faisceau léger d’un duvet blanc et pur,
Dont le tube flexible au moindre vent se plie
Plissant tes fils d’argent de doux reflets d’azur.

Burin que l’oiseau porte en son aile assouplie,
Qui puises son éclat dans un liquide obscur,
Qui façonnes les mots en musique accomplie,
Dont le bec meurtrit mieux que le fer le plus dur ;

Toi, qui nages dans l’or, toi qui rases la terre.
Toi, qui vivant d’amour, de gloire ou de mystère,
Gémis en t’envolant comme un baiser d’adieu ;

Pourquoi n’écris-tu pas, quand de nos mains tu tombes,
Sur la page d’airain qu’on ferme sur nos tombes,
Au lieu d’un nom glacé, ce mot sublime : DIEU !

Q8  T15

Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage, — 1850 (3)

Alfred de Musset Poésies nouvelles

Sonnet au lecteur

Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage,
Je te disais bonjour à la première page.
Mon livre, cette fois, se ferme moins gaiement;
En vérité, ce siècle est un mauvais moment.

Tout s’en va, les plaisirs et les moeurs d’un autre âge,
Les rois, les dieux vaincus, le hasard triomphant,
Rosalinde et Suzon qui me trouvent trop sage,
Lamartine vieilli qui me traite en enfant.

La politique, hélas! voilà notre misère.
Mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire.
Etre rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non.

Je veux, quand on m’a lu, qu’on puisse me relire.
Si deux noms, par hasard, s’embrouillent sur ma lyre,
Ce ne sera jamais que Ninette ou Ninon.

Q2 – T15

J’ai perdu ma force et ma vie, — 1850 (2)

Alfred de Musset Poésies nouvelles

Tristesse

J’ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j’ai connu la Vérité
J’ai cru que c’était une amie;
Quand je l’ai comprise et sentie,
J’en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d’elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré.

Q16 – T15 – octo

Si quelqu’un venait dire avec un front sévère: — 1850 (1)

Alphonse Le FlaguaisOeuvres poétiques complètes

Chateaubriand

Si quelqu’un venait dire avec un front sévère:
– Tout homme dans le siècle ou s’égare ou faiblit.
Toute vertu s’éteint, tout nom brillant pâlit;
Il n’est pas un mortel digne qu’on le révère!

D’audacieux acteurs la scène se remplit:
Un peu de renommée est leur triste chimère.
Chacun veut respirer un encens éphémère,
Et pour un faux honneur tout homme s’avilit!

– Je répondrais:  » Voyez ce sage qui s’isole:
Lui dont le monde entier adorait la parole,
Dans son manteau sans tache il s’est enveloppé.

Oh! Qu’il est noble, grand, loin du chaos immense,
Oeuvre d’ambitieux, qui ne l’ont pas trompé,
Et qu’il est éloquent jusque dans son silence ».

Q16 – T14

Comme je revenais hier de la fontaine, — 1849 (5)

Antonio Spinelli Sur les grèves

La sœur cadette

Comme je revenais hier de la fontaine,
A l’heure où les oiseaux finissent leur chanson,
Dans les bois, où fleurit en la belle saison
La fleur que j’aime tant, la douce marjolaine ;

J’aperçus Marguerite avec un beau garçon.
Je m’arrêtai soudain, retenant mon haleine ;
Puis sur l’herbe posant ma cruche toute pleine
Je me cachai tremblant à l’ombre d’un buisson.

Longtemps, oh bien longtemps, au milieu du silence,
J’écoutai ces deux voix qui parlaient d’espérance,
Et je compris enfin le mot de leur bonheur.

Le jeune homme disait en son ivresse extrême,
Oh Marguerite …. – eh bien ! que disait-il, ma sœur ?
La fleur avait raison, il lui disait : Je t’aime.

Q16  T14

Des mains de l’Eternel, adorable mélange — 1849 (4)

Charles Dugge Les tableaux plastiques

Eloge de Mme Keller, grand actrice plastique
Sonnet traduit de l’italien du Prince de F. de Carignan

Des mains de l’Eternel, adorable mélange
De suave pudeur, de chaste volupté,
Ainsi dût sortir Eve, en l’Eden enchanté,
Vivant de cette vie ineffable de l’ange !

Tantôt mon œil te voit, – de l’art merveille étrange ! –
Maîtrisant, AMAZONE, un cheval indompté,
Lance en main, et tantôt, plus douce en ta beauté,
Nouvelle DIONEE, en roc ton corps se change !

Comme sous le ciseau du sculpteur allemand,
Tu parais, de Minos ou la fille divine
Ou la Psyché céleste, ou la molle EUPHRASINE !

Et toujours belle et vraie … Ah ! ton art est si grand
Et se surpasse encor, quand, fière en sa victoire
Tu veux représenter l’Italie et sa gloire.

Q15  T30

Toi, l’amour de mon cœur, l’espoir de ma vieillesse, — 1849 (3)

Alphonse Chaulan L’Arc-en-ciel

Sonnet à …

Toi, l’amour de mon cœur, l’espoir de ma vieillesse,
Etoile solitaire en mon cœur orageux,
Ma Caroline, avec ces poétiques jeux,
Reçois le pur encens de toute ma tendresse.
J’invoque, pour veiller sur ta frêle jeunesse,
Ta noble mère, assise au séjour des heureux ;
Ah ! puisse, cher enfant, notre zèle et nos vœux,
Vers un port de bonheur diriger ta faiblesse !
Un jour, lorsque le temps et la réflexion
Chasseront les vapeurs de tes illusions,
A mes mânes errants tu diras je l’espère :
Ami, tu disais vrai : le monde avec ses fleurs,
Ses plaisirs d’un moment, ses trompeuses erreurs,
Ne remplace jamais l’amour d’un tendre père.

Q15  T15  sns

Nous t’aimions bien jadis quand sur ta triste harpe — 1849 (2)

Baudelaire in La Silhouette

A une jeune saltimbanque

Nous t’aimions bien jadis quand sur ta triste harpe
Tu raclais la romance, et qu’en un carrefour,
Pour attirer la foule à voir tes sauts de carpe,
Un enfant scrofuleux tapait sur un  tambour;

Quand tu couvais de l’oeil, en tordant ton écharpe,
Quelque athlète en maillot, Alcide fait au tour,
Qu’admire le bourgeois, que la police écharpe,
Qui porte cent kilogs et t’appelle mamour.

Ta guitare enrouée et ta jupe à paillettes
Etalaient à nos yeux le rêve des poëtes,
La danseuse d’Hoffmann, Esmeralda, Mignon.

Mais déchue à présent, te voilà, ma pauvre ange,
Sultane du trottoir, ramassant dans la fange
L’argent qui doit soûler ton rude compagnon.

Q8 – T15 Paru sous la signature de Privat d’Anglemont ce sonnet à été restitué à Ch.B. par W.T. Bandy.

Souvent je me promène aspirant dans mon âme, — 1849 (1)

Charles PotvinPoésies politiques et élégiaques


La lecture

Souvent je me promène aspirant dans mon âme,
– Vive évocation pleine d’un doux émoi,
Le génie exalté d’un barde au coeur de flamme
Qui revit, palpitant et s’inspirant pour moi;

Je le comprends, lui parle, il répond, je le voi,
Et nous nous échangeons, comme un noble dictame,
Lui, les célestes feux dont sa muse s’enflamme,
Moi, mes rêves d’amour, mon idéal, ma foi.

Je lui parle de vous… rayonnante de grâce,
Vous vous levez ainsi qu’un astre; et tout s’efface,
Le livre est oublié, je ne vois plus que vous;

Je n’ai qu’une pensée, un but qui m’extasie:
Courir en votre coeur puiser ma poésie,
Vous redire un aveu plus ardent et plus doux.

Q10 – T15