Archives de catégorie : Formule de rimes

Humble, pauvre, oublié sur un sol inconnu, — 1839 (11)

Adelphe NouvillePremier amour, poème en sonnets in Le Monde poétique

XVIII  L’appui

Humble, pauvre, oublié sur un sol inconnu,
Lorsque, seul avec Dieu, l’ermite pleure et prie,
Il voit souvent un ange, à son aide venu,
Lever un doigt brillant vers une autre patrie.

Quand, las de ses tourments, le pécheur montre à nu
Ses dégoûts, ses terreurs, sa poitrine meurtrie,
Par l’espérance encore il se sent soutenu:
Car la rosée abreuve aussi la fleur flétrie.

Si la mer en courroux se perd dans un ciel noir,
Le pilote inquiet retrouve son courage
Dans les rayons lointains de l’étoile du soir.

Ah! contre le désert, le monde, et tout orage,
N’ai-je pas et mon ange, et mon astre, et l’espoir?
N’ai-je pas mon amour? n’ai-je pas votre image?

Q8 – T20

Que souvent, aux rayons de tes prunelles noires, — 1839 (9)

Marceline Desbordes-Valmore

A la voix de mademoiselle Mars

Que souvent, aux rayons de tes prunelles noires,
Au bruit de ton nom pur et de tes pures gloires,
Aux magiques pâleurs dont se voilent parfois
Le bonheur sur ton front et le ciel dans ta voix,

J’ai dit de cette voix où l’age se devine,
De ce souffle pudique, et des saintes amours,
Qu’on écoute une fois pour l’entendre toujours,
Que l’on sent se mouiller d’une larme divine!

Ta voix a des parfums, des formes, des couleurs;
Parles-tu d’une fleur, dès que tu l’as nommée,
De ta bouche entr’ouverte elle sort embaumée.

Souffres-tu de l’amour les brûlantes douleurs?
Cette voix dans nos sens verse des étincelles.
Parles-tu d’un oiseau? Tes accents ont des ailes.

Q57 – T30

Un des très rares sonnets de cet auteur . quatrains à quatre rimes, disposition très rare: aabb  a’b’b’a’

Rebuté des humains, flétri par l’infortune, — 1839 (8)

Louis Ayma Les préludes

XXII – Imité de Shakespeare

Love’s Consolation

Rebuté des humains, flétri par l’infortune,
Seul comme en un désert, je déteste mon sort;
Je fatigue le ciel de ma plainte importune,
Et jetant l’oeil sur moi je désire la mort.

J’ai convoité de l’un la féconde espérance,
De l’autre les trésors et les amis nombreux,
De celui-ci les arts, la beauté, la naissance;
Car je n’ai pas reçu du ciel ces dons heureux.

Mais si, dans ces moments de souffrance muette,
Je pense à vous; – alors, pareil à l’alouette
Qui vole vers les cieux aux derniers feux du jour,

Un hymne de bonheur de mon âme s’élance,
Car je préfère à l’or, aux arts, à la naissance,
Le touchant souvenir de votre chaste amour.

Q59 – T15 – tr

On peut regretter que dans son ‘imitation’ du sonnet 29 de Shakespeare (qu’il traduit après Chasles), il ne respecte pas la forme: après deux quatrains en rimes alternées distinctes, il termine par un sizain à la Ronsard .

Du Parnasse français législateur classique, — 1839 (5)

Louis Ayma Les préludes

Louis Ayma, un provincial (dont la BNF ne possède qu’un microfilm tiré sur l’exemplaire de la bibliothèque municipale de Cahors) annonce dans sa préface:  » La troisième et dernière partie, Des bords de l’Adour, se compose exclusivement de sonnets. … Ces sonnets ont tous, ou presque, été composés à Dax, jolie et
aimable ville du département des Landes, traversé par l’Adour
Presque tous ces sonnets sont de ceux que nous appelons Sonnets libres. Nous n’avons pas la prétention de faire ici une poétique à notre usage; mais nous devons expliquer les raisons qui nous ont autorisé à préférer la forme libre à la forme stricte préconisée par Boileau … Le sonnet en effet, par l’étendue moyenne et précise de ses dimensions, par la coupe variée de ses strophes, est le cadre le plus heureux qu’on puisse imaginer pour mettre en relief une idée unique, un portrait, un souvenir, un symbole, une pensée morale, une impression, un élan, une émotion. Mais, comment conserver ce précieux privilège sous les chaînes ridicules dont les faiseurs de poétique l’ont surchargé? Certes le plus grave reproche qu’on puisse faire à notre poésie, c’est le retour monotone des rimes, vice inné, que les grands maîtres ne dissimulent qu’à force d’art! que sera-ce donc, si pour 8 vers vous n’autorisez que 2 rimes symétriquement disposées? Votre sonnet sera lourd par nécessité et pénible, et aura juste la valeur de quatorze bouts-rimés. Aussi, lisez sans prévention les plus vantés des sonnets réguliers, et vous y remarquerez à première vue un air de gêne qui fatigue et fait mal.
…. nos autorités pour l’affranchissement du sonnet sont …. Shakespeare, qui a fait une quarantaine de sonnets, tous libres. M. Philarète Chasles, dans son volume Caractères & Paysages, a traduit librement deux de ces sonnets, qui font connaître sous sa face intime, le sombre auteur d’Hamlet. On trouvera dans la troisième partie de notre livre un de ces sonnets que nous avons essayé de traduire.

Nous pensons que ces autorités, que nous avons choisies, et non comptées autorisent suffisamment notre tentative de réhabilitation Du reste on trouvera, par-ci, par-là, dans le nombre, quelques sonnets réguliers: mais nous prions le lecteur de croire que nous n’y avons pas songé.

Les poètes espagnols ont introduit dans le sonnet une modification importante: après les tercets, qui chez nous terminenent le sonnet, ils ajoutent deux autres tercets, et quelquefois deux quatrains; ils appellent cela sonnets à queue.
Nous avons aussi essayé de donner au sonnet régulier une autre forme qui, en faisant disparaître le gêne des rimes suivies, permît en quelque sorte de donner quelque développement au tableau, un peu restreint quelquefois dans quatorze vers. Notre modification consiste à croiser deux sonnets réguliers, de façon à ce que le 1 et le 3, le 2 et le 4 soient composés de rimes semblables, mais alternées. Après les quatre quatrains viennent au lieu de deux tercets, deux sizains. On verra un exemple de ce sonnet, que nous appelons redoublé, dans la pièce XIX, à mes linottes.  » (6).

Mr Ayma n’a qu’une idée assez vague de l’histoire du sonnet. Il attribue le ‘sonetto caudato’ aux espagnols et donne 40 sonnets à Shakespeare. Mais il compose ce qui est, il me semble, le premier sonnet renversé.


I – A Boileau

Du Parnasse français législateur classique,
Permets qu’à tes genous, plein d’un pieux effroi,
Le front dans la poussière, un auteur romantique
Vienne se confesser de violer ta loi.

Il s’agit du Sonnet , de ce poème-roi,
Que, dans le chant second du Code poétique,
Tu déclares valoir mieux qu’un poème épique.
Eh bien! des ces Sonnets j’en ai fait cent-un, moi!

Mais hélas! les quatrains de mesure pareille,
La rime avec deux sons frappant huit fois l’oreille,
Je n’ai rien observé dans mon fol abandon;

J’enjambe quelquefois, et souvent je répète
Le même mot, enfin ma folie est complète,
Car je suis romantique, ô Despréaux, pardon!

Q09 – T15 – s sur s

Vous avez, à mes yeux, la grâce de Cynthie, — 1839 (4)

A. Eude-DugaillonFiel et miel

A Léona

Vous avez, à mes yeux, la grâce de Cynthie,
Du type athénien la douce majesté,
Et Corinne pour soeur, mais votre modestie
Rougit en déclinant si docte parenté! …

Oui, quand, sur un clavier, vous parlez d’harmonie
Comme avec un ami qu’on n’a jamais quitté,
Sur votre front descend le parfum du génie,
Vous êtes belle, alors, comme l’antiquité;

Vous animez, nourrie à la sublime école,
Les chants que votre esprit pour plaire imagina
Et ceux des vieux auteurs que le temps couronna;

Heureuse à qui le ciel accorde une auréole!
Par le génie et l’art vous brillez, Léona,
Au lieu d’une c’est deux que le ciel vous donna.

Q8 – T29

La rose au papillon reproche l’inconstance; — 1839 (3)

A. Eude-DugaillonFiel et miel

Sonnet

La rose au papillon reproche l’inconstance;
Reine parmi les fleurs, elle voudrait fixer
Cet enfant du soleil, si beau dès sa naissance,
Qui ne vit qu’un printemps et meurt sous un baiser;

Mais l’insecte choisit, pour son dernier caprice,
Une rose sans tache, au brillant incarnat,
Et, prenant pour linceul ce fragile calice,
Expire en s’enivrant de parfums délicats:

De même le poète, en passant sur la terre,
De qui sait le comprendre invoque tour à tour
Un sourire, un regard, des chants et de l’amour;

Puis, avant de mourir, à l’ombre du mystère,
Il fait choix d’une amie, illustre sa beauté,
Et jette un nom de femme à l’immortalité.

Q59 – T30 – quatrains à quatre rimes : abab  a’b’a’b’

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France, — 1839 (2)

Emile PehantSonnets

A MM. Sainte-Beuve et Barbier

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France,
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla longtemps languir, comme un arbre en souffrance
Qui s’épuise en boutons sans parfums ni couleurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance
Et le fait reverdir comme au temps les meilleurs;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance
Et balancer aux vents son front chargé de fleurs.

Vous, de toutes ces fleurs, vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour atteindre au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, dans ma corbeille, hélas, je ne recueille
Que celles qu’au gazon parfois la brise effeuille,
Et mon maigre bouquet se fanera bientôt.

Q8 – T15 – s sur s

Toi dont la douleur perce à travers la gaîté — 1839 (1)

Elzéar PinPoèmes et sonnets

Cervantes

Toi dont la douleur perce à travers la gaîté
Comme un rayon de pluie au milieu d’une fête,
Toi qui peignis si bien la folle humanité,
Toi qui sus réunir deux gloires sur ta tête,

O guerrier mutilé! magnanime poète!
De quel chagrin cuisant le coeur est attristé,
Quand il pense qu’un jour, de ta vie inquiété
La misère trancha la fleur dans son été!

Jour qui vit deux soleils s’éteindre dans le monde,
Deux océans tarir dans leur source profonde,
Car la mort, dont la main s’appesantit partout,

Sur l’univers en deuil ouvrant ses sombres ailes,
Voulut porter aux Cieux vos deux âmes jumelles,
Pour Shakespeare et pour toi frapper le même coup!

Q.exc , oc. dissym: abab abbb – T15

Shakespeare et Cervantès sont morts la même année: quelle coincidence!. C’est pour Elzéar Pin une occasion rêvée

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure, — 1838 (15)

Edouard-L. de Blossac Heures de poésie

Sonnet

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure,
Où défaillent vos vœux ;
Allez, et repassez le seuil de la demeure,
Où vous fûtes heureux.

Je ne sais quoi d’amer s’en exhale à toute heure !
Tout est sombre en ces lieux !
L’écho souffre et se plaint ; un vent froid vous effleure,
La foudre gronde aux cieux ! ….

Là, pourtant, du bonheur vous connûtes l’ivresse ;
Là, peut-être, le joug dont l’amour vous oppresse,
Longtemps s’est prolongé ….

C’est le même ciel bleu, sur le lac sans orage,
Ce sont les mêmes fleurs encor, le même ombrage :
L’homme seul est changé !

Q8  T15  – 2m (octo : v2,4,6,8,11,14)

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire, — 1838 (14)

Charles de Chancel Juvenilia

A ma muse

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire,
Vos chants, dont nul encor n’avait ouï les chœurs,
Et vous vous envolez de mon toit solitaire,
Avide de trouver un écho dans les cœurs !

Hélas ! tout n’est pas rose au monde littéraire !
Si quelques écrivains, y traînent en vainqueurs,
Le plus grand nombre y rampe et la critique austère,
A fustigé leurs noms de leurs rires moqueurs.

Mais, grâce à vos doux yeux, Muse, à votre jeune âge,
Peut-être qu’elle aura pour vous un doux langage,
Et que pour vous guider elle tendra la main ……

Partez, que Dieu vous garde, ô belle voyageuse,
Et que des vents amis vous ramènent joyeuse,
Sans déchirer votre aile aux ronces du chemin.

Q8  T15