Archives de catégorie : Formule de rimes

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère — 1930 (1)

Léon VeraneLe livre des passe-temps

Aveu

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère
Au banquet promis prendre un jour ma part
Levant, à la fois, la lyre et le verre,
Parmi les élus auprès de Ronsard.

Errant de demain comme de naguère,
C’est assez, pour moi que le boulevard
Mène entre les haies de ses réverbères
Vers un tabouret au comptoir d’un bar.

Je n’appelle pas le Règne et le Trône,
Et tout couvre-chef m’est une couronne,
Satisfait d’avoir au fil des mes jours,

Bu d’un même cœur le vin et l’absinthe,
Et d’avoir conçu d’obscures amours,
Au long des trottoirs pour des filles peintes.

Q8 – T14 – tara

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour — 1929 (4)

Pierre FrayssinetPoésies (ed. 1931)

Si le parfait apprêt où mouvoir notre amour
N’est plus que le réel où s’est mué l’ombrage
Pour rire je bâtis aventureuse cage
L’ordinaire connu que précise le jour.

La ligne qui s’essaie à tenir le contour
De toute chose vue qui fait mon entourage
Exagère parmi l’intérieur paysage
Une chaise posée sur un espace court.

Si je m’y tiens voilà que le silence lie
Tout rêvé mouvement de mon corps qui s’oublie
A ne paraître rien dans le vide alentour

Et telle alors sera qu’une ivresse donnée
Dans l’engourdissement de ce prestige court
Le nu de ta langueur créole imaginée !

Q15  T14 – banv – y=x :d=a

Si le souci d’aimer me poise — 1929 (3)

Roger AllardPoésies légères

Coquelicot

Si le souci d’aimer me poise
Aux orges du prochain été
J’irai vers les bosquets hantés
Du lieu-dit « Au Goujon de l’Oise ».

L’Île de France aux yeux d’ardoise
En souriant voudra tenter
De ravir à vos cruautés
Le cœur à qui vous cherchez noise.

Mais en vain parmi les crins blonds
De cette reine des moissons
Rougira le pavot sauvage,

Pourrai-je désormais le voir
Refleurir à son avantage
Ailleurs que dans vos cheveux noirs?

Q15 – T14 – banv –  octo

Le soir violet s’est déployé sur ma fenêtre, — 1929 (2)

Louis ChadourneAccords

Le soir violet

Le soir violet s’est déployé sur ma fenêtre,
Il s’est levé de très loin, – par delà les mers,
Avec toute une finalité de non-être,
Comme un drapeau vineux sur les horizons clairs.

Viens, lève-toi, c’est l’heure. Ô ma vieille torture
Et toi, crève, œil sanguinolent de désespoir.
Mais vous dormez. Je sais, bien au-delà des soirs
Une Île où des parfums se traînent, chevelure! ….

Rêves pour notre Amour l’éternelle Jeunesse,
Ou tout au moins une éternité de promesse!
Apaisement, fleurs ou étoiles en veilleuses:

Sans plus jamais, jamais, les écroulements brusques
D’ombre, les fins des réveils de nuits très amoureuses,
Où la Mort fait couler ses doigts bleus sur nos nuques.

1913

Q60 – T14

O Sonnet, tes quatorze rimes, — 1929 (1)

Henri de RégnierVestigia Flammae

Frontispice

O Sonnet, tes quatorze rimes,
En leur ordre bien mesuré,
Ont je ne sais quoi de sacré
Pareil aux dépouilles opimes!

Pur joyau, honneur de nos rimes,
Ton or, avec art ajouté,
Enchâsse le reflet nacré
Des mots qu’avec soin nous polîmes.

Comme les conques de la mer
Que travaille le flot amer
Au gouffre bleu que nul ne sonde,

Tu conserves tous les échos,
O Sonnet à la vie profonde,
En tes méandres musicaux!

Q15 – T14 – banv – octo  – s sur s

La larve a son secret, le cocon son mystère — 1928 (11)

Hugues Delorme in La revue française

Le sonnet larvaire

La larve a son secret, le cocon son mystère
Par quels enchaînements l’insecte est-il conçu ?
Enigme devant quoi le penseur doit se taire
Puisque le plus savant n’en a jamais rien su.

Semence imperceptible, atome inaperçu
D’où vient le papillon, d’où le ver solitaire,
Le phalène en plein ciel, le lombric sous la terre ?
Comment le don de vivre est-il par eux reçu ?

La nature accomplit, aïeule, auguste et tendre,
Mystérieusement sa tâche, sans entendre,
Les cogitations de l’homme sur ses pas.

Et celui-ci, pourtant, à sa tâche fidèle,
Recherchant la clarté, dira, tout rempli d’elle :
« Quelle est donc cette flamme ? … » et ne comprendra pas.

Q10 – T15 -arv —

Comme un beau vase il doit être parfait ou plein. — 1928 (10)

Mathilde Delaporte Sonnets

Le sonnet

Comme un beau vase il doit être parfait ou plein.
Lorsqu’il est vide il faut, sans tache et sans jaspure,
Que les vers, épousant l’harmonieuse épure,
Soient d’un corps précieux, opaque ou cristallin.

Qu’on tremble d’y toucher, si l’on n’est pas enclin
A chercher au travers des mots la forme pure !
Pour oser modeler la parfaite courbure,
Il faut être un Seigneur de l’art, par un Vilain.

Cependant j’ai tenté la tâche difficile,
Et les flancs imparfaits de mon vase d’argile,
S’emplissent lentement d’une rare liqueur,

Ayant pour concentrer l’atome qu’il réclame,
Pressé de mes deux mains ma pensée et mon cœur
J’ai pu dans le Sonnet mettre des gouttes d’âme.

Q15  T14  s sur s

Mieux que l’arc triomphal et l’image d’airain, — 1928 (9)

Henri de RégnierFlamma Tenax

Heredia
« Un vil lierre a suffi à disjoindre un trophée’

Mieux que l’arc triomphal et l’image d’airain,
Par quoi le conquérant survit à sa conquête,
Vaut, pour éterniser la gloire du poète,
Le livre humble à la vue et léger à la main;

Ouvre-le. Relié de cuir ou de vélin
Il t’offre sa beauté éloquente et secrète
Et sa mystérieuse voix est toujours prête
A te dire le vers mémorable et divin.

Heredia! Ton œuvre immortellement neuve,
Déjà d’un quart de siècle a surmonté l’épreuve;
Chaque jour le laurier croît sur elle plus beau;

Et, haussant son nœud vil vers ta gloire étouffée,
Je n’ai pas vu ramper à son socle trop haut
Ce lierre qui suffit à disjoindre un trophée.

Q15 – T14 banv

Plus que l’eau miroitante ou l’azur ingénu, — 1928 (8)

François-Paul Alibert in Chantiers

Inscription

Plus que l’eau miroitante ou l’azur ingénu,
Ou cette palme, objet de toute inquiétude,
Ne substitue encore une autre solitude
Au raisin fugitif dans ta soif contenu

Ensemble ou tour à tour toi-même devenu
Les monstres engendrés de ta sollicitude,
Soit l’austère devoir, soit l’amoureuse étude,
Sur le sable te laisse inextinguible et nu.

Mais de quelque douceur, pour combler son ouvrage,
Que le mortel espoir de ce dernier mirage
T’inspire en vain la source et de désir amer,

Du moins qu’à l’horizon scintille l’onde vierge
Où, des sombres troupeaux engloutis sous la mer,
Une seule sirène adolescente émerge.

Q15 – T14 – banv

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre — 1928 (7)

Pierre AlbertyLe jardin d’Eros

Dollars

Quatre heure du matin! l’aube rose et violâtre
Filtre sournoisement par les vitraux du bar
Et, peu à peu, voici que paraît plus blafard
L’éclairage diffus des plafonniers d’albâtre.

Dans la moiteur de l’air flotte une odeur douceâtre:
Alcools, poudres de riz, oeillets fanés, pommard!
Effluve féminine et relents de homard;
Le jazz, pour terminer, joue un fox-trot folâtre.

Nue, à même la nappe et les serviettes sales,
Une fille est couchée au milieu de la salle, `
Tandis qu’au gloussement joyeux de ses compagnes

Un américain glabre aux lunettes d’écaille,
Flegmatique, introduit dans l’impudique faille
Des dollars ruisselants péchés dans du champagne!

Q15 – T15