Archives de catégorie : Formule de rimes

Alanguissant d’ombre et d’amour l’orgueil des fastes, — 1896 (13)

Charles Guérin in L’Ermitage

Sonnet

Alanguissant d’ombre et d’amour l’orgueil des fastes,
le jardin fabuleux où règne ton infante
chante dans la lumière et s’étage en terrasses
et surplombe mon parc de songe et de silence.

Avec ses feuilles qui tournoient, plumes errantes,
le val semble un soupir d’automne calme et chaste …
à fleur des sources dont l’azur se ride et tremble
les tourterelles d’or trempent leurs ailes lasses;

parmi le clair chagrin des trembles qui s’égouttent
le groupe harmonieux des amantes écoute
s’affaiblir la rumeur attristante des cors ;

et dans la brume où le poète aux doigts pensifs
de roses qui s’en vont enguirlande les ifs
plane l’impérial épervier de la mort.

Q11  T15

C’est tout mystère et tout secret et toutes portes — 1896 (12)

– Georges Rodenbach Oeuvres

Pour la gloire de Mallarmé

C’est tout mystère et tout secret et toutes portes
S’ouvrant un peu sur un commencement de soir;
La goutte de soleil dans un diamant noir,
Et l’éclair vif qu’ont les bijoux des reines mortes.

Une forêt de mats disant la mer; des hampes
Attestant des drapeaux qui n’auront pas été;
Rien qu’une rose à suggérer des roses-thé;
Et des jets d’eau soudain baissés, comme des lampes!

Poème! Une relique est dans le reliquaire,
Invisible et pourtant sensible sous le verre
Où les yeux des croyants se sont unis en elle.

Poème! Une clarté qui de soi-même avare,
Scintille, intermittente afin d’être éternelle;
Et c’est, dans de la nuit, les feux tournants d’un phare!

Q63 – T14

C’était toute douceur et nuance et sourdine — 1896 (11)

– Georges Rodenbach Oeuvres

Pour le tombeau de Verlaine

C’était toute douceur et nuance et sourdine
De lys purs qui seraient sensitives, et d’une
Figure de clarté qui serait clair de lune,
Figure de Béguine ou de Visitandine.

C’était tout falbalas et brumes en écharpes;
C’était toute musique, en pleurs d’être charnelle,
Et frissons d’une harpe qui serait une aile;
Car les ailes du cygne ont la forme des harpes.

Et c’était tout sincère élan d’âme marrie
Qui s’élevait d’en bas vers la Vierge Marie:
Oblation de soi, sans plus de subterfuges,

Et réponse pieuse à tous divins reproches,
Et tout azur de coeur, ouvert aux humbles cloches,
Qui me l’a fait aimer comme le ciel de Bruges!

Q63 – T15  – Rimes féminines.

Danseurs exaspérés des mornes menuets, — 1896 (8)

Henry Jean-Marie Levet (Le courrier français 1895-6)

Parades
A Mademoiselle Fanny Zaëssinger

Danseurs exaspérés des mornes menuets,
Sur les tréteaux menteurs et fragiles que foulent
Des marquis épaissis et des marquises goules,
Peuple épris de parade, exaucent tes souhaits.

Leurs jeux ont pollué la prairie aux bluets,
Les cuivres écrasés les flûtes qui roucoulent;
Des lampîons fumeux les soulignent aux foules,
La lune se taisant aux violons muets.

Ne sachant pas, aussi, ces gens, d’affèterie
Canailles encrassés, et de grâces flétries,
Réclament à nouveau le baisemain fripé;

Les trompettes sacrant d’éclats leur dernier leurre,
L’amant masqué de la beauté morte qu’on pleure
Se drapait des plis noirs de son manteau coupé.

Q15 – T15

Le sonnet, parfois on l’imprime, — 1896 (7)

Henry Jean-Marie Levet (Le courrier français 1895-6)

Sonnet d’Album
A Mlle Marguerite B.

Le sonnet, parfois on l’imprime,
Mais très rarement on le lit;
Arvers sut le rendre sublime,
Quand Trissotin l’eût avili.

Mais, dans les albums où l’on rime,
Que de pages blanches salit
Le gâcheur de sonnets qui trime
Comme devant un établi!

Vers de terre à terre factice,
Qu’engendrera quelque novice,
Monté sur Pégase poney.

Plat, ainsi qu’un roman d’Ohnet,
Au ras du sol il rampe et glisse,
C’est l’oeuf d’un serpent à sonnets.

Q8 – T10 – octo – s sur s

O mer, o mer immense qui déroules — 1896 (6)

Auguste AngellierA l’amie perdue


Le sacrifice, XX

O mer, o mer immense qui déroules
Sous les regards mouillés de ces millions d’étoiles,
Les longs gémissements de tes millions de houles,
Lorsque dans ton élan vers le ciel tu t’écroules;

O ciel, ô ciel immense et triste, qui dévoiles,
Sur les gémissements de ces milliers de houles,
Les regards pleins de pleurs de tes milliers d’étoiles
Quand l’air ne cache point la mer sous de longs voiles;

Vous qui, par des milliers et des milliers d’années,
A travers les éthers toujours remplis d’alarmes,
L’un vers l’autre tendez vos âmes condamnées

A l’éternel amour qu’aucun temps ne consomme,
Il me semble, ce soir, que mon étroit coeur d’homme
Contient tous vos sanglots, contient toutes vos larmes!

abaa babb – T25 – toutes les rimes sont féminines

Et, tandis qu’alternaient dans leur retour subtil — 1896 (5)

Auguste AngellierA l’amie perdue


Rêveries, VII

Et, tandis qu’alternaient dans leur retour subtil
La chanson de la flute et cet appel d’amour,
Elle dit à voix haute: « O Vénus, m’aime-t-il,
Le poète qui vit près de la vieille tour?

Pour me donner à lui je veux qu’il me désire,
Je connais sa tristesse, et je veux qu’il l’oublie
Dans l’ardente fureur de l’amour que j’inspire,
Et mes baisers versés sur sa tête pâlie. »

Elle ouvrit ses bras blancs, frémissante d’émoi,
Et ses bras en s’ouvrant ouvrirent sa tunique
Et son corps radieux  aux invincibles charmes

Resplendit tout entier. Je vis entre elle et moi
Luire tes pauvres yeux tout fatigués de larmes,
Et je m’éloignai vers le bois mélancolique.

Q59 – T37

Les marronniers mettaient leurs premiers bourgeons verts — 1896 (4)

Auguste AngellierA l’amie perdue

La floraison, I

Les marronniers mettaient leurs premiers bourgeons verts
Dans le blanc ciel d’Avril aux ombres inquiètes,
On vendait les derniers bouquets de violettes,
Le Printemps s’échappait des noirs mois entr’ouverts,

Quand les premières fois je la vis. A travers
Les dessins emmêlés de ses sombres voilettes,
Je lus, d’un seul regard, les souffrances secrètes
Et les longs désespoirs, dans ses yeux doux et fiers.

Ma pitié s’attacha, par des rêves tremblants
A la triste inconnue; et lorsque je l’aimai,
L’été allait ouvrir le temps des fleurs écloses,

On vendait les premiers bouquets de jeunes roses,
Et dans l’azur uni du calme ciel de Mai
Les marroniers mettaient leurs derniers thyrses blancs.

Q15 – T42

Que ce sonnet ressemble aux galères royales, — 1896 (3)

Auguste AngellierA l’amie perdue

Que ce sonnet ressemble aux galères royales,
Qui traînent sur les flots des velours frangés d’or,
Et, sous un dais de soie aux splendeurs liliales,
Portent le lit d’ivoire où la reine s’endort;

Que des mots éclatants, bannières triomphales,
Il flotte pavoisé comme un mouvant décor;
Qu’un bruit charmant et doux de luths et de cymbales,
De violes d’amour, retentisse à son bord;

Qu’il soit resplendissant; que les salves de rimes
Eclatent hautement par le sabord des vers;
Qu’il vogue enveloppé par des souffles sublimes,

Arborant à son mat des lauriers toujours verts;
Car il porte ton nom souverain à travers
Les espaces du Temps et ses profonds abîmes.

Q8 – T21 – s sur s

Je n’aime pas énormément — 1896 (2)

Verlaine Invectives

A propos d’un procès intenté à un archevêque français

Je n’aime pas énormément
Le clergé que le Concordat
Nous procure présentement,
Et je voudrais qu’on émondât

Quelque peu, quand même un Soldat
S’en mêlerait, brusque et charmant
Au fond, remplissant ce mandat:
Tout pour le bien, – et persistat,

Qu’on émondât quelque peu, dis-je,
– Par quel détour ou quel prodige
Je n’en sais rien, mais je m’entête –

L’Eglise française – et les autres,
Mais aussi, que tels bons apôtres,
Bonne RF, fussent de la fête.

abab babb – T15 – octo – Quatrains en rimes masculines, tercets en rimes féminines