Archives de catégorie : Formule de rimes

Vous aviez des cheveux terriblement — 1889 (26)

Verlaine Dédicaces

A Raoul Ponchon

Vous aviez des cheveux terriblement
Moi je ramenais désespérément ;
Quinze ans se sont passés, nous sommes chauves
Avec, à tous crins, des barbes de fauves.

La Barbe est une erreur de ces temps-ci
Que nous voulons bien partager aussi ;
Mais l’idéal serait des coups de sabres
Ou même de rasoirs nous faisant glabres.

Voyez de Banville, et voyez Lecon-
Te de Lisle, et tôt pratiquons leur con-
Duite et soyons, tes ces deux preux, nature.

Et quand dans Paris, tels que ces deux preux,
Nous rions, fleurant de littérature,
Le peuple, ébloui, nous prendra pour eux.

Q55  T14  10s

Tu nous fuis, comme fuit le soleil sur la mer, — 1889 (25)

Verlaine Dédicaces

A Villiers de l’Isle-Adam

Tu nous fuis, comme fuit le soleil sur la mer,
Derrière un rideau lourd de pourpres léthargiques,
Las d’avoir splendi seul sur les ombres tragiques
De la terre sans verbe et de l’aveugle éther.

Tu pars, âme chrétienne, on m’a dit résignée,
Parce que tu savais que ton Dieu préparait
Une fête enfin claire à ton cœur sans secret,
Une amour toute flamme à ton amour ignée.

Nous restons pour encore un peu de temps ici,
Conservant ta mémoire en notre espoir transi,
Tels des mourants savourent l’huile du Saint-Chrème.

Villiers, sois envié comme il aurait fallu
Par tes frères impatients -du jour suprême
Où saluer en toi la gloire d’un élu.

Q63  T14

C’est le beau Jean Moréas — 1889 (24)

Verlaine Dédicaces

A Jean Moréas

C’est le beau Jean Moréas
Qui fait dire à l’échotier
Que l’art périclite, hélas !
Au mains d’un si tel routier.

Routier de l’époque insigne,
Violant des vilanelles
Comme aussi, blancheur de cygne !
Violant des péronnelles.

Va-t’en, sonnet libertin,
Fleuri de rimes gaillardes
Ce chanteur et ce butin,

Migrateur emmi les bardes,
Que suivent sur ses appels
Tous les cœurs des archipels.

Q59  T23  7s

Des jeunes – c’est imprudent – — 1889 (23)

Verlaine Dédicaces

A Stéphane Mallarmé

Des jeunes – c’est imprudent –
Ont, dit-on, fait une liste
Où vous passez symboliste.
Symboliste ? Ce pendant

Que d’autres, dans leur ardent
Dégoût naïf ou fumiste
Pour cette pauvre rime iste
M’ont bombardé décadent.

Soit ! Chacun de nous en somme
Se voit-il si bien nommé ?
Point ne suis tant enflammé

Que ça vers les n…ymphes, comme
Vous n’êtes pas mal-armé
Plus que Sully n’est Prud’homme.

Q15  T28  7s

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis, — 1889 (22)

Verlaine Dédicaces

A François Coppée

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis,
Oranges, parchemins rares, – et les gantières ! –
Et nos « débuts », et nos verves primesautières,
De ce Soixante-sept à ce Soixante-dix,

Où sont-ils ? Mais où sont aussi les tout petits
Evénements et les catastrophes altières,
Et le temps où Sarcey signait S. de Suttières,
N’étant encore pas mort de la mort d’Athys ?

Or vous, mon cher Coppée, au sein du bon Lemerre
Comme au sein d’Abraham les justes d’autrefois,
Vous goûtez l’immortalité sur des pavois,

Moi, ma gloire n’est qu’une humble absinthe éphémère
Prise en catimini, crainte des trahisons,
Et si je n’en bois pas plus c’est pour des raisons.

Q15  T30

Sa douceur qui n’est pas excessive, — 1889 (21)

Verlaine Dédicaces

à J-K. Huysmans

Sa douceur qui n’est pas excessive,
Elle existe mais il faut la voir,
Et c’est une laveuse au lavoir
Tapant ferme et dru sur la lessive.

Il la veut blanche et qui sente bon
Et je crois qu’à force il l’aura telle.
Mais point ne s’agit de bagatelle
Et la tâche n’est pas d’un capon.

Et combien méritoire son cas
De soigner ton linge et sa détresse,
Humanité, crasses et cacas.

Sans jamais d’insolite paresse,
O douceur du plus fort des J.-K.,
Tape ferme et dru, bonne bougresse !

Q63  T20  9s

COMME Proserpine avant sa destresse, — 1889 (20)

– in  Le Parnasse Breton contemporain

La Nismoise
sonnet deduict selonc le goust des vieulx françois, A Mme A. B,

COMME Proserpine avant sa destresse,
Comme Hebê, la gente aux yeux de velours,
Comme Amphitrite en ses glauques atours,
Comme l’Astartê, tant chière traistresse ;

Comme ung doulx perfum fleurant la tendresse,
Comme ung oyselet au tems des amours,
Comme ung guay soleil dorant les beaux jours,
Comme ung pur zephir, comme une caresse :

Par ainsy vrayment, reluysant dans l’air,
Engeole et seduict vostre soubris cler ;
Dessoubs le visaige on void briller l’ame.

Pour lors, ie me sens tout regoillardi.
Comme ung chat frileulx ronronne à la flamme,
Chaufant ma Bretaigne à vostre Midy.

Q15  T14 – banv –   déca  encore un essai terrifiant de pseudo vieux-français

L’Amour, entre deux madrigaux. — 1889 (19)

Henri Finistère in  Le Parnasse Breton contemporain

L’invention du sonnet

L’Amour, entre deux madrigaux.
De Pan raillait les vers rustiques :
— « Te tairas-tu, dieu des fagots,
« Depuis le temps que tu t’appliques

« A moduler sur tes pipeaux,
« Avec des sons mélancoliques,
« De monotones bucoliques
« Et de sempiternels rondeaux

— « Assez ! dit Pan, le front morose.
« Ferais-tu mieux, critique rose? »
L’Amour sourit d’un air moqueur,

Et de son carquois qu’il balance,
Comme un trait le Sonnet, s’élance…
Cupidon est toujours vainqueur.

Q9  T15  octo  s sur s

AMI , tu l’as voulu : je te fais un sonnet. — 1889 (18)

– in  Le Parnasse Breton contemporain

– Bernard d’Erm

Un sonnet

AMI , tu l’as voulu : je te fais un sonnet.
Rimer quatorze vers! Conçois-tu bien ma peine?
Me voilà du travail au moins pour la semaine.
En y songeant, déjà je me sens frissonner.

Du courage! Cherchons! Pourrai-je moissonner
Quelques mots pas trop creux, quelque parole saine?
Je veux aller au bout… Non! mon ardeur est vaine
Et Pégase a tôt fait de me désarçonner.

La chute était prévue et n’a rien qui m’étonne :
Rimer n’est pas mon fait; je rampe, je tâtonne,
Et pourtant je me mets la cervelle à l’envers.

Mais je ne puis finir, si les rimes fidèles
N’accourent avec toi pour terminer mon vers.
Oh! viens à mon secours, muse des Asphodèles

Q15  T14 – banv –  s sur s

Le ciel est blanc, la terre est blanche, et lentement, — 1889 (17)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain

Sonnet en blanc

Le ciel est blanc, la terre est blanche, et lentement,
Sans trêve, en flocons blancs, la neige tombe, tombe
Dans le grand cimetière hagard, où chaque tombe
Disparait sous le morne ensevelissement.

C’est alors que, blafards, hideux, formant cortège ,
Avec un effroyable et grêle cliquetis ,
Entrechoquant leurs os pâles, grands et petits,
Les blêmes trépassés se dressent dans la neige ,

Et s’en vont vers le vide horizon sépulcral,
Détachant leurs blancheurs livides de squelettes,
Mystérieusement, sur les neiges muettes ,

Tandis que, sous l’horreur d’un demi-jour spectral,
De vagues oiseaux blancs glissent de branche en branche. . .
Et cependant le ciel est blanc, la terre est blanche.

Q63  T30