Archives de catégorie : Formule de rimes

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande, — 1886 (19)

D. Mon Les Bengalis


Villégiature

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande,
Où l’églantine pâle et le volubilis
Accrochent leurs bouquets aux sombres tamaris,
Semble, par le soleil, une fraîche oasis.

Un ânon va, très fier de sa riche provende,
Portant l’enfant qui rit, lui parle et le gourmande,
Juché haut, entre deux grands paniers de marchande,
Emplis et débordant du plus charmant fouillis,

Où bluets, blonds gramens, rustiques pâquerettes
Campanule bleutée aux rustiques fleurettes,
Mauves myosotis, coquelicots ardents

Font un nid d’où surgit une tête mutine,
Que, sous le grand chapeau de paille l’on devine,
Jolie, ayant le rire à ses petites dents.

abbb aaab – T15

Les écoliers joueurs dans le calme des classes — 1886 (18)

Georges Rodenbach La jeunesse blanche

L’idéal

Les écoliers joueurs dans le calme des classes
Pour voler les rayons du soleil émergeant
Enchâssent dans leurs doigts, comme un piège d’argent,
Des débris lumineux de miroirs et de glaces.

Et, comme d’une cage ouverte – ont voleté
Des rayons, oiseaux d’or, qui traversent les vitres,
Et partout sur les murs, les tableaux, les pupitres,
On les voit dépliant leurs ailes de clarté.

Idéal! O soleil d’au-delà les nuées
Vers qui nos formes d’art, vainement remuées,
Tendent avec orgueil leurs fragiles miroirs.

Dans des ciels reculés, il a trahi nos rêves,
Car nous n’en projetons que quelques lueurs brèves
Sur les murs de la vie immuablement noirs.

Q63 – T15

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres! — 1886 (17)

Le Scapin

René Ghil

Sonnet

Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres!
Désuétude d’un grand heurt de primes cieux
Une aurore perdant le sens des chants hymnaires
Attire en souriant la vanité des Yeux.

Ah! l’éparre profond d’ors extraordinaires
S’est apaisé léger en ondoiements soyeux
Et ton vain charme humain dit que tu dégénères!
Antiquité du sein où s’épure le mieux.

Et par le Voile aux plis trop onduleux ces Femmes
Amoureuses du seul semblant d’épithalames
Vont irradier loin d’un soleil tentateur:

Pour n’avoir pas songé vers de hauts soirs de glaives
Que de leur flanc pouvait naître le Rédempteur
Qui doit sortir des Temps inconnus de nos Rêves.

Q8 – T14

Comme un amant penché sur la vierge qui dort, — 1886 (16)

Ephraïm Mikhaël – in Oeuvres complètes I

Fatalisme

Comme un amant penché sur la vierge qui dort,
Dieu regarde au lointain rouler le monde immense.
Et sous ses pieds, il a la mer qui se balance,
Et sur son front, le ciel comme un dais brodé d’or!

Incliné vers la Terre en son morne silence,
Il lit, grave et serein, le vieux livre du sort,
Et, parfois, se dressant, il appelle la Mort
Qui danse dans la nuit sa fantastique danse.

Il lit au livre obscur le nom des condamnés,
Et la pâle faucheuse avec son rouge glaive,
Pousse aux limbes grondants sa moisson de damnés!

Il lit! Mais c’est un vent dont le ciel se soulève,
Qui tourne les feuillets du grand livre qu’il tient;
Et Dieu n’a jamais su d’où cette brise vient!

Q16 – T23

Ma Muse hypocondriaque mène (ô surprise) — 1886 (15)

Albert Aurier in Le Décadent

Le rire triste

Ma Muse hypocondriaque mène (ô surprise)
Depuis cette nuitée, un trains de patachons:
La folle tant traîna de bouchons en bouchons,
Tant but de bocks qu’Elle est immodérément grise;

Lâchant, à tout propos, maints verbes folichons,
Elle éclate et se tord, comme dans une crise
D’hystérie. Etiam submejit sa chemise,
Et se tortille ainsi qu’un grand tire-bouchons! …

Mais, tandis que, tenant son ventre des deux mains,
Elle se spiralise et va par les chemins,
Titubant dans son rire et dans sa griserie,

Je reste triste, car tout cela, je le sais,
Cache, au fond, les sanglots de vieux amours blessés:
La Gaîté de ma Muse est une hypocrisie?

Q16 – T15

Sous le scintillement des stellaires clartés — 1886 (14)

Anatole Baju in Le Décadent

Désirs fous

Sous le scintillement des stellaires clartés
Où se spiralisaient, dans une voix confuse,
Les ultimes rumeurs que la terre diffuse
Emmi l’espace immense aux vierges bleuités,

L’aurette émolliait de ses moiteurs légères
Les âpres frondaisons des morts d’aridité
Et blandissait d’un doux frisson de volupté
Les êtres alanguis cachés sous les fougères.

La nature était belle à cette heure du soir
Ainsi qu’une endeuillée en larmes sous son voile,
Alliciante avec sa couronne d’étoiles

Comme la jeune veuve à même se douloir.
J’ardais: je sentais sourdre un désir en mon âme
De l’étreindre en mes bras comme on presse une femme.

Q63 – T30  (rime sing -pluriel)

« Décadence – dit-on – mensonge et fiction ». — 1886 (13)

Miguel Fernandez in Le Décadent

Dégénérescence

« Décadence – dit-on – mensonge et fiction ».
Erreur! Oui! tout décade et l’igneur prolifique
S’éteint dans l’énerveur d’un corps épileptique,
Comme un fruit arescent qui n’a plus d’embryon.

Contemnable dégoût de la parturition.
Boréales frigueurs d’un amour antarctique.
Bâtardes siccités d’un flanc anhélélique
Où périt le fœtus en germination.

Les modernes Phrynés ont des cœurs de banquise,
Un regard terne et froid comme un pavé d’église
Qui glace et réfrigère en sa blémeur de mort.

Les hommes allouvis d’une crainte érophobe
Semblent s’être entendus pour dépeupler le globe
Et le faire occomber au Néant dont il sort.

Q15 – T15

Vous étiez gaie, on dit très bien, comme un pinson; — 1886 (12)

Germain Nouveau (ed. Pléiade)

A Madame Veuve Verlaine

Vous étiez gaie, on dit très bien, comme un pinson;
Vous étiez vive, on dit aussi, comme la poudre;
Et votre voix, avec les éclats de la foudre
Avait l’accent léger d’une jeune chanson.

Oui, gaie et vive, ainsi qu’un soldat fier garçon
Qui va danser au bal, la veille d’en découdre,
Et …. Française, pareille au grondement du foudre,
D’une tempestueuse et charmante façon.

Veuve de militaire et mère de poète,
Il vous restait du bruit des armes et des vers
Quelque chose de haut et de fier dans la tête!

Que vos mânes légers soient de drapeaux couverts,
Et que votre tombeau, paré comme une fête,
Mêle aux roses du Pinde autant de lauriers verts.

Q15 – T20

Vous cachez vos cheveux, la toison impudique, — 1886 (10)

Germain Nouveau (ed. Pléiade)

Musulmanes
A Camille de Sainte-Croix

Vous cachez vos cheveux, la toison impudique,
Vous cachez vos sourcils, ces moustaches des yeux,
Et vous cachez vos yeux, ces globes soucieux,
Miroirs pleins d’ombre où reste une image sadique;

L’oreille ourlée ainsi qu’un gouffre, la mimique,
Des lèvres, leur blessure écarlate, les creux
De la joue, et la langue au bout rose et joyeux,
Vous les cachez, et vous cachez le nez unique!

Votre voile vous garde ainsi qu’une maison
Et la maison vous garde ainsi qu’une prison;
Je vous comprends: l’Amour aime une immense scène.

Frère, n’est-ce pas là la femme que tu veux:
Complètement pudique, absolument obscène,
Des racines des pieds aux pointes des cheveux.

Sonnets du Liban

Q15 – T14 – banv

Nous avions fait une lieue — 1886 (9)

Germain Nouveau (ed. Pléiade)

Retour

Nous avions fait une lieue
L’œil en quête d’un sonnet;
Où le hasard nous menait
Nous errions dans la banlieue.

La matinée était bleue
Et sur nos têtes sonnait
La rime, oiseau qu’on prenait
D’un grain de sel sur la queue.

Tout à coup le ciel changea:
Il plut. Retournons – déjà! –
Et nous aperçûmes, l’âme

Attristée, au loin, Paris,
Et, grises sur le ciel gris,
Les deux tours de Notre-Dame!

Q15 – T15 – 7s