Archives de catégorie : Formule de rimes

Voici la chose! c’est un couple de lourdauds, — 1884 (5)

Jean Richepin Les blasphèmes

Tes père et mère ….

Voici la chose! c’est un couple de lourdauds,
Paysans, ouvriers, au cuir épais, que gerce
Le noir travail; ou bien, des gens dans le commerce,
Le monsieur à faux-col et la vierge à bandeaux.

Mais, quels qu’ils soient, voici la chose! les rideaux
Sont tirés. L’homme, sur la femme à la renverse,
Lui bave entre les dents, lui met le ventre en perce.
Leurs corps, de par la loi, font la bête à deux dos.

Et c’est ça que le prêtre a bêni! ça qu’on nomme
Un saint mystère! et c’est de ça qu’il sort un homme!
Et vous voulez me voir à genoux devant ça!

Des père et mère, ça! c’est ça que l’on révère!
Allons donc! on est fils du hasard qui lança
Un spermatozoïde aveugle dans l’ovaire.

Q15 – T14 – banv

Zeus, qui te façonna dans un roseau flexible, — 1884 (4)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Maigreur
A Mlle S.B. de la Comédie Française.

Zeus, qui te façonna dans un roseau flexible,
Le cueillit sur les bords où disparut Syrinx;
Puis il s’arrêta court, ayant fait ton larynx,
Luth vivant, qu’il dota d’une gaîne impossible.

Il économisa la matière tangible,
Et les chastes panneaux signés Perugin pinx.
Et la scène où l’on voit agoniser le Sphinx
N’exhibèrent jamais corps plus irréductible.

Arrêtant la jumelle au cran qui fait voir gros,
Mon oeil inquisiteur évoque le mirage
D’un embonpoint fictif étranger à tes os,

Et cherche à pallier l’erreur de son ouvrage.
Mais que de charme encor dans cet étui tout sec!
Pourquoi n’avoir pas mis un peu de chair avec?

Q15 – T23

Près d’un « objet charmant » — 1884 (3)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Préservatifs

Près d’un « objet charmant »
Lorsque l’amour m’appelle,
Avant de voir ma belle
Je passe chez Millant.

Là, du petit au grand,
Flotte une ribambelle
De rubans qu’avec zèle
Il gonfle en y soufflant.

Enfin! j’ai ma mesure!
Au sein de la luxure,
Vite, allons nous plonger.

Caché dans la baudruche,
Je veux comme l’autruche,
Ne plus croire au danger.

Q15 – T15 – 6s

Bien avant que Fourier rêvât le Phalanstère,— 1884 (2)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Le ver solitaire

Bien avant que Fourier rêvât le Phalanstère,
Bien avant Saint-Simon et le Père Enfantin,
Dans les retraits ombreux du petit intestin
Le Scolium déjà pratiquait leur chimère.

Un cestoïde obscur, un simple entozoaire,
Avait constitué l’Etat républicain.
Martyr voué d’avance au remède africain,
Salut, fils du Scolex, pâle et doux Solitaire!

Tes anneaux, dont chacun forme un ménage uni,
Sur un boyau commun prospèrent à l’envi
L’un à l’autre attachés, pas plus sujets que maîtres.

Oui, c’est un beau spectacle, et l’on doit respecter
Le sentiment profond qui me pousse à chanter
En vers de douze pieds le ver de douze mètres.

Q15 – T15 – cestoïde (Héloise Neefs : Les disparus du Littré) terme didactique. Qui a la forme d’un ruban, d’une ceinture. // vers cestoïdes, ordre d’animaux de la classe des helminthes, caractérisés par un corps mou. Le taenia est un vers cestoïde – (TLF° scolex : Partie antérieure des vers cestoïdes ou tête de ténia, pourvue de ventouses et parfois de crochets

Mélie a fini d’être sage — 1884 (1)

– Le Docteur (Georges) CamusetLes Sonnets du Docteur

Ecchymoses

Mélie a fini d’être sage
Et s’en mord les doigts maintenant.
Des taches d’un bleu chagrinant
Marbrent sa nuque et son corsage.

Ses compagnes d’apprentissage
Hochent la tête en la menant
Près d’un herboriste éminent,
Oracle attitré du passage.

Et la nigaude d’exposer
Un vallon noir, des sommets roses,
Où l’autre peut herboriser

Trouve un parterre d’ecchymoses,
Livides fleurs d’alcôve écloses
Sous la ventouse du baiser.

Q15 – T21 – octo

Trois fois chaste Ninon que j’aime – ma maîtresse, — 1883 (28)

? in Tintamarre (mars )

Sonnet circulaire

à la façon de Privé, mon ami – l’auteur a dédié, voilà quelque temps, à cette même place, des vers « à une catin ». Il dédie ceux-ci – à une femme

Trois fois chaste Ninon que j’aime – ma maîtresse,
Et ma mère, et ma sœur, – trois fois pure beauté
Sur laquelle je lève, aux heures de détresse,
Mes yeux où les orgueils de l’art ont éclaté ;

Ma muse – car vous seule êtes assez traîtresse
Pour m’inspirer encor, par votre honnêteté,
Les sublimes ardeurs d’une foi vengeresse
Sifflant ses rimes d’or au monde épouvanté !

Vous que, tout bas, je nomme et que nul ne devine,
Vous dont je sens pour moi l’influence divine
Soulever le rideau des horizons vermeils ;

Avez-vous lu ces vers « immoraux et stupides »
Qui, sous ma signature, en cadences limpides,
Ont secoué l’Ignoble en ses sales sommeils ?

Or donc, ils secouaient l’ignoble en ses sommeils.
Et, si tu les a lus, avec tes yeux limpides,
Tu les as dû trouver moraux – et non stupides.

La fange fait aimer les coeux clairs et vermeil !
N’est-ce pas dans les nuits intenses quon devine
Les douloureux besoins de lumière divine ?

Certes, plus d’un bourgeois en fut épouvanté,
De ces vers, où sifflait ma haine vengeresse,
Où riait aux éclats ma fauve honnêteté
Foulant sous ses pieds nus l’hétaïre traîtresse !

Et tant mieux ! – moi, je sais, lorsqu’ils ont éclaté,
Combien pénible était ma profonde détresse,
Et combien ils faisent ressortir ta beauté,
Et quel hommage ils sont pour vous – ô ma maîtresse !

Q8 – T15 – s+s.rev

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème, — 1883 (27)

E. Chalamel in le Feu Follet

Sonnet
contre le sonnet

Est-il donc vrai, Boileau, que ce petit poème,
Aux rimes se croisant dans ses quatorze vers,
Soit, lorsqu’il est parfait, de l’art la fin extrême ?
Un chef-d’oeuvre que doit admirer l’univers ? …

Cela doit l’être, car tu nous l’as dit toi-même,
D’ailleurs ceux que tu fis, n’ont jamais eu de pairs,
Comment pus-tu résoudre un semblable problème ? …
Moi j’y brûle mon sang, j’en blémis, je m’y perds ! …

Qu’il en est cependant qui de la renommée
Boivent le doux nectar, trônent dans l’empyrée,
Et, veux-tu des sonnets ? … En voilà des empans ! …

Cela sort de partout ; cela vole par troupes :
Ainsi les charlatans avalent des étoupes
Et jettent aux badauds des années de rubans.

Q8  T15  s sur s

Je voudrais habiter, ermite en plein Paris, — 1883 (26)

Paul Arène in L’Artiste

Hoc erat in votis

Je voudrais habiter, ermite en plein Paris,
Dans le quartier bourgeois et neuf qui la renferme,
Cette vieille maison avec des airs de ferme,
Et ce petit jardin qui fut un champ jadis.

Le bon endroit pour vivre heureux et piocher ferme !
Les journaux trop bavards y seraient interdits,
Et le seul espalier payant l’argent du terme,
J’aurais pour moins que rien hanté ce paradis.

La chambrette joyeuse et claire ; et qui domine
Le jardin, sentirait en mai la balsamine,
Aux mois chauds une odeur de grappe et de fruit mûr,

Et l’hiver, quand le ciel rit par un coin d’azur,
A travers les rideaux qu’un rayon illumine,
Des ombres de moineaux passeraient sur mon mur.

Q17  T10

Comme deux oiseaux nous nichons — 1883 (25)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Hélène, IX

Comme deux oiseaux nous nichons
Dans un lit d’éclatante hermine
Et lorsque l’été se termine
A tous les yeux nous nous cachons.

Nous sommes les petits nichons,
Tant convoités de la gamine
Et que le garçon examine
Avec des regards folichons.

Lorsqu’avec notre tétin rose
Un homme, ivre de plaisir, cause
Nous nous cabrons comme un coursier,

Nous sommes plus blancs que l’ivoire,
Et presque aussi durs que l’acier
Voilà ce qui fait notre gloire.

Q15  T14 – banv – octo

Cette balle, comme elle est ronde — 1883 (24)

Ernest d’Orlanges Poésies naturalistes

Le poème d’un suicidé

Cette balle, comme elle est ronde
Comme elle entre bien dans le trou
De ce revolver … J’en suis fou !
J’ai pour elle une amour profonde.

Non jamais brune, jamais blonde
Avec leurs robes à froufrou
N’allumèrent pareil grisou
Dans ma cervelle vagabonde.

Quand elle entrera dans ma peau
Je tomberai comme un moineau
Me pâmant sous sa douce étreinte.

Chère balle, je t’aimerai
Lorsque ma vie étant éteinte
Je dormirai dans le tombeau.

Q15  T14  – banv – octo