Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Le printemps est venu. Le mois des giboulées — 1842 (21)

Emile de La Bedollière in Les français peints par eux-mêmes

Le printemps est venu. Le mois des giboulées
Cesse de détremper les flancs de nos côteaux,
Voici des jours de flamme et des nuits étoilées,
Un soleil radieux se mîre dans les eaux.

Et déjà l’amandier, sans craindre les gelées,
D’une blanche dentelle argente ses rameaux ;
L’on entend gazouiller sous les vertes feuillées
Un cœur harmonieux d’insectes et d’oiseaux.

N’est-ce pas ? Il est doux d’errer dans la contrée,
Qui s’égaie au soleil, de mille fleurs parée ;
Allons ensemble, ami ; viens, donne-moi la main.

Loin d’un monde brillant quand le bonheur s’exile,
Pour le suivre à la trace abandonnons la ville,
Et puissions- nous bientôt le trouver en chemin.

Q8 – T15

Vous partez, chers amis; la brise ride l’onde, — 1842 (20)

Théophile Gautier Oeuvres poétiques (ed.1880)

A des amis qui partaient, sonnet

Vous partez, chers amis; la brise ride l’onde,
Un beau reflet ambré dore le front du jour;
Comme un sein virginal sous un baiser d’amour,
La voile sous le vent palpite et se fait ronde.

Une écume d’argent brode la vague blonde,
La rive fuit. Voici Mante et sa double tour,
Puis cent autres clochers qui filent tour à tour
Puis Rouen la gothique et l’Océan qui gronde.

Au dos du vieux lion, terreur des matelots,
Vous allez confier votre barque fragile,
Et flatter de la main sa crinière de flots.

Horace fit une ode au vaisseau de Virgile:
Moi, j’implore pour vous, dans ces quatorze vers,
Les faveurs de Thétis, la déesse aux yeux verts.

Q15  T23

Toi qu’on vit récemment, de ton fauteuil critique, — 1842 (19)

Xavier Marmier Chants populaires du Nord

La conversion au sonnet

Toi qu’on vit récemment, de ton fauteuil critique,
Sur nos pauvres sonnets déverser à longs flots,
Raffinement cruel ! – le sel de ces bons mots
Qui pénètrent au vif par leur mordant attique ;

O blanc cygne venu du pur Olympe antiques !
Pourquoi sur son hermine aujourd’hui sans défauts,
Cette tache aujourd’hui de nos bourbeuses eaux ?
Te serais-tu souillé d’un sonnet romantkjque ?

As-tu donc oublié tant de dérisions,
Et du vieux maître Voss les déclamations
Qu’envenimaient l’injure et les cris d’anathème ?

Ah ! tu me fais penser au précepteur grondant,
Pour des fruits dérobés, son élève imprudent,
Et qui s’éloigne après pour en manger lui-même !

Q15  T15  tr (d’un sonnet de Uhland adressé à Goethe, tardivement converti à cette forme)

Il est vrai, cher ami, qu’à voir ton Italie, — 1842 (18)

Accurse Alix Poésies

A un italien

Il est vrai, cher ami, qu’à voir ton Italie,
On dirait que la mort a fermé ses beaux yeux,
Mais, comme Juliette, elle n’est qu’endormie,
Au milieu des tombeaux de ses nobles aïeux.

Son cœur bat, et parfois à l’oreille ravie
Sa bouche exhale encor un souffle harmonieux ;
Elle ne peut mourir, elle qui fut choisie
Pour hôtesse autrefois de la gloire des Dieux.

Il ne faut, pour rouvrir ses paupières divines,
Qu’un doux rayon du ciel tombé sur ses racines
Qu’un son de voix ami par l’écho répété.

Le cri d’un de ses fils que la vague ramène
Au rivage natal d’où le bannit la haine,
Rapportant son amour avec la liberté.

Q8  T15

Oh, oui, notre Bretagne est belle, n’est-ce pas ? — 1842 (17)

Armand Guérin Bretagne

Sonnet épilogue

Oh, oui, notre Bretagne est belle, n’est-ce pas ?
Avec son ciel de brume, et ses landes sauvages,
Avec les mille flots qui sapent ses rivages,
Ses vieux fils chevelus dont résonne le pas ?

Son sol tranquillisé n’entend plus les débats,
Des chevaliers bardés de fer et de courage ;
Des guerres d’autrefois s’est éteinte la rage :
Le foyer garde seul le récit des exploits.

Pourtant, toujours encor, quand il faut à la France
De ces homme de cœur, espoirs de sa souffrance ,
Elle va les chercher au pays des granits ;

Car dans les rochers seuls les aigles ont leurs nids ;
Il leur faut, pour grandir, l’air en pleine poitrine,
Pour berceau la tempête ou la vague marine.

Q15  T13 débats/ exploits/ hum, hum

J’avais sur le sommet d’une colline aimée, — 1842 (16)

Théodore Marquis de Foudras Chants pour tous

Souvenir du pays natal

J’avais sur le sommet d’une colline aimée,
Au milieu du jardin une blanche maison,
D’où l’oeil voyait d’abord une plaine animée,
Puis de riches côteaux, plus loin à l’horizon.

Là, riche de bonheur plus que de renommée,
J’ai passé tous les jours de ma jeune saison,
Là, ma famille était par les pauvres nommée,
Là, j’ai vu mes enfans jouer sur le gazon.

Là, j’avais trois tombeaux ! … dans l’un était ma mère ;
Dans l’autre, à ses côtés, reposait mon vieux père ;
Le troisième à mes vœux avait été promis.

Là, j’avais des amis bien reçus à toute heure …
Mais hélas ! à présent je n’ai plus la demeure !
Je n’ai plus les tombeaux ! ai-je encor les amis ?

Q8  T15

Constantinople, adieu ! triste et beau souvenir, — 1842 (15)

Eugène Villemin Herbier poétique

La boule de neige

Constantinople, adieu ! triste et beau souvenir,
Aux yeux du voyageur mystérieux constraste :
Ebauche gigantesque où tout reste à finir,
Abject avec grandeur, misérable avec faste !

Adieu décor magique où l’âme enthousiaste
De loin goûte un transpport qu’on ne peut définir,
De près, égoût sordide, où plus d’un jour néfaste
Devrait de ma pensée à jamais te bannir.

Telle la viorne en fleur par ses globes de neige
De loin séduit la vue, et de près – le dirai-je
N’est que stérilité sans grâce et sans odeur …

Mais la nef qui m’emporte, ô cité fantastique,
Ne me laisse plus voir que ton front magnifique,
Et mon dernier adieu sera pour ta splendeur.

Q11  T15

Le monde où nous vivons a l’air d’un grand tréteau — 1842 (14)

Eugène Fromentin in ed. Pléiade


Sonnet

Le monde où nous vivons a l’air d’un grand tréteau
Où chaque homme à son tour vient, grotesque poupée,
D’héroisme, d’orgueil ou de vertu drapée,
Débiter sans l’entendre un bout de libretto.

Un siècle passe ; on change un chiffre à l’écriteau.
D’ailleurs, qu’ils aient un sceptre, une lyre, une épée,
Que ce soit Spartacus, ou Lycurgue, ou Pompée,
Tous ont un masque au front, Dieu leur prête un manteau.

Puis, quand l’âge est venu de quitter leur dépouille,
Que le sceptre se brise & que le fer se rouille,
Que le masque est usé, ridé, percé, sanglant,

Chacun dans la coulisse, à la fin de son rôle,
Va chercher son dernier costume, et sur l’épaule
Pour uniforme à tous on leur jette un drap blanc.

‘Cour d’assises, lundi 14 février 1842’.

Q15  T15

Invisible Trilby, je t’ai vu ce matin . — 1842 (13)

Ernest Fouinet dans une lettre à Charles Nodier

Invisible Trilby, je t’ai vu ce matin .
Oui, j’ai vu ton esprit et ta grâce éternelle
Et ta bonté riante, et j’ai mis sous ton aile,
Quelques feuillets lancés pour un vol incertain.

Oui, je t’ai vu, Trilby, mon bienveillant lutin,
Flambeau de poésie ou limpide étincelle !
Mais ce n’était point moi, dis-tu – c’était donc celle
Qui rend heureux et doux ton glorieux destin ?

Ah ! c’était toujours toi ; c’était toujours ton âme,
L’écho de tes accords, le reflet de ta flamme
Ton chant qui se prolonge et son plus beau rayon

Et ta seconde vue et toute ta féérie,
Et, bienfaisant lutin, ton inspiration.
C’était Charles Trilby sous les traits de Marie.

Q15  T14 – banv –   Trilby ou le lutin d’Argail, conte de Nodier (1822)

O forge qui fais peur au passant, à minuit, — 1842 (12)

André Van Hasselt Souvenirs de Liège

Dans une forge

O forge qui fais peur au passant, à minuit,
Quand regardant de loin ta forme flamboyante,
Il écoute mugir, sous ton toit qui bruit,
Des soufflets monstrueux la poitrine aboyante;

Dans ton antre de feu, plein d’éclairs et de bruit,
Tu mâches la montagne, ô fournaise géante,
Et la montagne fond, dans ta flamme qui luit,
Et sort en blocs de fer de ta gueule béante.

Le siècle où nous vivons est une forge aussi,
Que le penseur de loin contemple avec souci;
Et nous tous, ouvriers impatients et blêmes,

Les yeux sur la fournaise et penchés à l’entour,
Nous y voyons se tordre et fondre nos problèmes.
Mais sait-on quel métal en doit sortir un jour?

Q8 – T14 Van Hasselt, belge, travaille le sonnet industriel.