Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

J’aime les vieux manoirs, ruines féodales — 1842 (11)

Louise Colet Poésies

Les Baux

J’aime les vieux manoirs, ruines féodales
Qui des rocs escarpés dominent les dédales;
J’aime du haut des tours de leur sombre prison
A voir se dérouler un immense horizon;

J’aime, de leur chapelle en parcourant les dalles,
A lire les ci-gît couronnés de blason,
Et qui gardent encor la trace des sandales
Des pèlerins lointains venus en oraison.

Parmi les noirs châteaux gigantesques décombres
Dont les murs crénelés jettent au loin leurs ombres,
Aux champs de la Provence est le donjon des Baux:

Là, chaque nuit encore, enlacée par les Fées,
Dans une salle d’arme aux gothiques trophées,
Dorment les chevaliers sortis de leurs tombeaux

Q2 – T15 mme Colet n’a pas reculé devant le quatrain plat: aabb  abab

Sur le blanc mausolée où repose Mercoeur, — 1842 (10)

Henri-Victor Drouaillet La guitare

Sonnet

Sur le blanc mausolée où repose Mercoeur,
Je lisais ces deux vers qui m’allèrent au coeur:
La victime du siècle est là sur cette tombe:
Anathème au vautour et paix à la colombe!

Ceci me fit rêver; lorsque la feuille tombe,
Me dis-je, nul ne sait où le vent la conduit;
Ainsi la gloire, après le jour descend la nuit.
L’astre à peine levé qu’il pâlit, qu’il succombe.

Cette pensée amère ébranla ma constance.
Je maudis mon destin, mes rêves superflus,
Je revins et j’ouvris mon Schiller, où je lus:

Cesse tes cris plaintifs, toi qui reçus du ciel
Ton rêve pour bonheur, ta foi pour récompense,
N’est- ce pas déjà trop pour un ingrat mortel?

Q24 – T34 Notable à deux titres: – d’une part les quatrains sont à trois rimes, le premier en rimes plates: aabb  ba’a’b ; mais on remarquera surtout la disposition des tercets, cdd  ece, disposition ‘italienne’ qui fait se rencontrer au vers 11 et 12 deux mots à finales masculines (lus / ciel), violation caractérisée de la règle d’alternance des rimes en vigueur alors depuis presque deux siècles.

J’aime un château gothique aux tourelles croulantes, 1842 (9)

Henri-Victor Drouaillet La guitare

A mon ami Ernest Vériot

J’aime un château gothique aux tourelles croulantes,
Où le lichen étend ses livides rameaux;
J’aime à rêver, le soir, sous les sombres arceaux,
A promener mes pas sur les dalles sonnantes.

Ces murs, jadis témoins de scènes palpitantes,
Ces blasons mutilés, ces restes de tombeaux,
Et ces pans de remparts s’écroulaient en lambeaux,
Tout parle, tout instruit dans ces ruines vivantes.

A l’endroit où flottait l’étendard redouté
Sur la tour où veillait le damoiseau fidèle,
Le sinistre corbeau se tient en sentinelle,

Et sur le front bruni de cette citadelle
Qui fit trembler le serf et le vassal rebelle,
Le burin de notre âge a gravé: Liberté!

Q15 – T33

Vous me demandez dans un beau distique — 1842 (7)

Théodore de Banville Les Cariatides

A M. de Sainte-Marie

Vous me demandez dans un beau distique
Comment je comprends le divin sonnet.
Hélas! aujourd’hui, qui de nous connaît,
Ce lis entr’ouvert, cette fleur mystique?

C’est plus qu’un doux chant, c’est une musique,
C’est un rayon rose, un parfum qui naît,
Un autel à qui Petrarque donnait
L’ambre italien et le marbre attique;

C’est le reflet d’or dans la goutte d’eau,
Le trait que jadis l’enfant Cupido
Tirait du carquois jeté sur ses ailes;

C’est le fard léger des belles de cour,
Le chant de Mozart aux saveurs si belles,
Que, redit trois fois, il semble trop court.

Q15 – T14 – banv –  tara – s sur s
On remarque, avec une certaine surprise que les vers 12 et 14 riment mal (pour la conception classique)
Théodore de Banville semble bien être le premier à réutiliser le ‘taratantara’, cette version antique du décasyllabe, coupé 5/5.
(a.ch) préfère cet autre sonnet en taratantarasdu même auteur:

SOUS BOIS

A travers le bois fauve et radieux,
Récitant des vers sans qu’on les en prie,
Vont, couverts de pourpre et d’orfévrerie,
Les comédiens, rois et demi-dieux.

Hérode brandit son glaive odieux,
Dans les oripeaux de la broderie,
Cléopâtre brille en jupe fleurie
Comme resplendit un paon couvert d’yeux.

Puis, tout flamboyants sous les chrysolithes,
Les bruns Adonis et les Hippolytes
Montrent leurs arcs d’or et leurs peaux de loups.

Pierrot s’est chargé de la dame-jeanne.
Puis après eux tous, d’un air triste et doux,
Viennent en rêvant le Poëte et l’Ane[1].

Ce n’est pas au Songe d’une nuit d’été vécu par des personnages de la comédie italienne, ni à Watteau, qu’il convient de se référer, comme le fait Edouard Maynial dans son Anthologie des poètes du XIXe siècle (Hachette, 1935, p. 295), mais au Roman comique de Scarron.
C’est une scène du XVIIe siècle qui est décrite dans une forme de l’époque, le sonnet. L’a-t-elle été selon un vers contemporain : celui de Régnier-Desmarais, tel que Banville pouvait en trouver des exemples dans le Richelet ou chez Quicherat ? L’origine de ce vers serait la solution à un problème de technique (renouvellement par réhabilitation d’une forme ancienne marginale et oubliée), et ne résulterait pas seulement de l’influence de la romance de Musset…


[1]Théodore de Banville : Les Cariatides; Alphonse Lemerre, 1877, pp. 277-278.

Pourquoi parler de demain, — 1842 (6)

Michel Carré Folles rimes et poésies

Sonnet

Pourquoi parler de demain,
Et de ce jour qui s’efface?
Dieu nous couvre de sa main:
Que sa volonté se fasse.

Voyez ce joyeux essaim
D’insectes bleus dans l’espace
Et ce rossignol qui passe
Sous les arbres du chemin:

C’est une nuit parfumée,
Nuit d’amour, ma bien-aimée.
Endormez-vous dans mes bras,

Votre lèvre sur la mienne;
Si la mort attend en bas,
Nous sommes prêts, – qu’elle vienne.

Q8 – T14 – 7s

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées, — 1842 (4)

Joseph Pétasse Fleurs des champs

Sonnet

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées,
Que la lune blanchit de ses douces lueurs.
J’aime l’aspect touchant de ces nuits étoilées
Où rayonnent au ciel les divines splendeurs.

J’aime des vents du soir les haleines mêlées,
Qui promènent dans l’air d’énivrantes splendeurs.
J’aime du rossignol les notes modulées,
Qui caressent  mon âme et font couler mes pleurs.

Lorsque je m’abandonne aux vagues rêveries,
Que réveillent en moi ces voluptés chéries,
Une extase subite emplit bientôt mon coeur.

Et mon coeur succombant à cette pure ivresse,
Pour exalter son dieu, ne trouve en sa détresse,
Ne trouve que ces mots: « Seigneur, Seigneur, Seigneur! …  »

Q8 – T15 – bi suite du ‘Bouquet inutile’

Ami des malheureux, que le grand jour opprime, — 1842 (3)

Jules Le Fèvre-Deumier Oeuvres d’un  désoeuvré

L’énigme du secret

Ressemelage d’un vieux sonnet de Gombaud

Ami des malheureux, que le grand jour opprime,
Le silence et la nuit me rendent seuls parfait:
On m’accuse parfois de protéger le crime,
Et j’ôte, en m’éclairant, de l’éclat au bienfait.

Complice nuageux de leur plus doux méfait,
Les femmes n’ont pour moi qu’une assez mince estime.
Plus d’une cependant, quand mon poids l’étouffait,
N’a sauvé, que par moi, son honneur de l’abîme.

On prétend que je suis difficile à trouver:
Je le suis plus encor peut-être à conserver;
Mon nom, comme mon sort, me défend de paraître.

Les curieux me font à tout propos la cour;
Les fous! C’est me tuer, que vouloir me connaître:
Loin de vivre, je meurs, dès que je vois le jour.

Q11 – T14


Je passe chaque jour près de l’Assomption, — 1842 (2)

Alfred Philibert Les étincelles


Sonnet

Je passe chaque jour près de l’Assomption,
Et, chaque jour, à l’heure où, pour des funérailles,
Un drap noir à pleurs blancs en couvre les murailles,
Où quelque mort attend la bénédiction.

Toujours le même chiffre, et les mêmes couronnes;
Toujours mêmes discours, toujours même attirail;
Toujours de bruns cochers aux faces monotones
Traînant le même char vers le même portail.

O pompes du trépas, qu’on vous rend ridicules!
Faut-il que l’étiquette et que la vanité
Sur le bord de la tombe aient encor leurs scrupules?

Que tu vaux mieux cent fois, cloître des Camaldules*,
Où, se creusant leur fosse et dormant à côté,
Des moines sont toujours prêts pour l’éternité!

Q62 – T18 – quatrains abba  a’b’a’b’ mais (remarque gef: les rimes masculines du premier quatrain deviennent féminines au deuxième) (on pourrait noter: abba a*b*a*b*)

Membres d’un ordre religieux qui eut pour origine la fondation d’un ermitage à Camaldoli, dans la haute vallée de l’Arno, en Toscane, vers 1023, et qui constitue une des plus durables réalisations, avec la Chartreuse et Grandmont, du puissant courant érémitique dont les manifestations furent nombreuses au XIe etau XIIe siècle.

Ne regardons jamais de femme dans la rue; — 1842 (1)

Alfred Philibert Les étincelles

Sonnet

Ne regardons jamais de femme dans la rue;
La femme nous fait mal et fuit en nous frappant;
Son regard nous fascine et son souffle nous tue:
C’est l’oeil et le dard du serpent.

Ces rencontres souvent nous laissent l’âme émue;
On en sourit d’abord; plus tard on s’en repent.
Le démon a toujours quelque ruse inconnue;
Il ne nous perd qu’en nous trompant.

On rentre tout mouillé sans songer à la pluie;
On ouvre sur la table un livre commencé;
Mais au second feuillet le livre nous ennuie.

On chante; on se promène; on se couche lassé;
On se tourne en rêvant vers une image enfuie.
Le beau soir que l’on a passé!

Q8 – T20 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Les vers courts marquent les quatrains et le dernier vers.

Les vers pour vous, Madame, à flots, viennent pleuvoir — 1841 (15)

Pierre Battle Poésies

Le miroir poétique
(écrit sur l’album de Madame G. de F.)

Les vers pour vous, Madame, à flots, viennent pleuvoir
Dans ce coquet album ; d’hommages on l’inonde.
Chaque urne poétique à ce pur réservoir
Est fière de porter un tribut de son onde.

Et vous, ange en exil au désert de ce monde,
Sur ce livre penchée, il vous est doux de voir
Votre image se peindre et flotter, rose et blonde,
Dans le cristal du vers, comme dans un miroir.

Oh ! je l’aurais aussi, moi, cette fantaisie
De faire, sous vos yeux, couler ma poésie ;
Mais c’est un flot amer ne roulant que des pleurs ;

A votre beauté pure il faut d’autres poètes ;
Ce n’est pas au ruisseau troublé par les tempêtes
A réfléchir le ciel, les astres et les fleurs.

Q11  T15