Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Les nus bien joints, leurs sources mieux que jointes, — 1945 (9)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Sonnets à Jean Voilier

« En acte »

Les nus bien joints, leurs sources mieux que jointes,
L’amour en force, à huit membres ramant,
Presse les corps vers l’éblouissement
Du haut sommet aux deux divines pointes.

Aux flancs, aux reins, aux seins, les mains empreintes
L’être avec l’être ajustant fortement
Pour l’œuvre intense et l’âpre emportement
Des heurts dansés par leurs fureurs étreintes.

L’âme commune,, à chaque tendre choc,
Sent le délice exhausser roc sur roc
Les vifs degrés qui visent à la cime :

Sa hâte ébranle une vie aux abois
Et la chair verse une plainte unanime
Qui plane et meurt sur la suprême fois …

Q15  T14 – banv –  déca

Suprême Rose, orgueil de mon hiver, — 1945 (8)

Paul Valéry   Corona & Coronilla

Sonnet à Jean Voillier

A la Pétrarque

Suprême Rose, orgueil de mon hiver,
O le plus beau malheur de mon histoire,
Tu fais, ô fleur, qu’au dedans de ma gloire,
L’amour me ronge, et je vis de ce ver.

Douce à baiser, délicieuse à boire,
Ta bouche vaut les plus doux de mes vers
Et les regards de tes beaux yeux divers
M’en disent plus que toute ma mémoire.

Tu me fais mal de toutes tes beautés
Et de ton corps les tendres cruautés
Qaund je suis seul venant vives se peindre

Et dans la nuit me torturer dormant
C’est te chérir sans cesser de me plaindre,
Suave toi, LAURE de mon tourment.

Q36  T14  déca

Pourquoi t’aimerais-je — 1945 (7)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Sonnets à Jean Voilier

Chanson trop vive

Pourquoi t’aimerais-je
Si tu n’étais celle
Avec qui s’abrège
L’heure universelle ?

Etrange manège !
Tout l’amour ruisselle,
Pris au tendre piège
Qui nous ensorcelle…

O le bel éclair
Entre chair et chair
Qu’échangent les cœurs !

Et quels vrais trésors
D’extrêmes liqueurs
Confondent les corps ! …

Q8  T14  5s  qu.fem-t.masc

Je ne veux pas que tu sois triste — 1945 (6)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)
Sonnets à Jean Voilier

Romance

Je ne veux pas que tu sois triste
Puisque tu sais que je le suis,
Ma lointaine, moi qui ne puis
Ignorer que l’amour existe

Depuis que mes jours et mes nuits
De tes yeux mirent l’améthyste
Et m’agitent cette batiste
Qui voilait ce que je poursuis …

Amèrement ma bouche avide
Baise une place que je vois :
Mes mains se perdent dans le vide

Où se perd l’ombre de ma voix …
Ö fantôme du château mien,
Ne sois pas triste : c’est mon bien.

T16  Q23 – octo

A la vitre d’hiver que voile mon haleine — 1945 (5)

Paul Valéry Corona & Coronilla (Ed. De Fallois, 2008)

Sonnet

A la vitre d’hiver que voile mon haleine
Mon front brûlant demande un glacial appui
Et tout mon corps pensif aux paresses de laine
S’abandonne au ciel vide où vivre n’est qu’ennui.

Sous son faible soleil, je vois fondre AUJOURD’HUI
Déjà dans la paleur d’une époque lointaine
Tant je sens que je suis vers ma perte certaine
Le Temps, le sang des jours, qui de mon âme fuit.

Pensez, tout ce qui soit … seul mon silence existe ;
Jusqu’au fond de mon cœur je le veux soutenir,
Et muet, peindre en moi la mort d’un souvenir.

Amour est le secret de cette forme triste,
L’absence habite l’ombre où je n’attends plus rien
Que l’ample effacement des choses par le mien.

Q10  T30

Ô puissant, ô cruel, ô toi clair Bourbaki, — 1945 (4)

Pierre Samuel

Le filtre

Ô puissant, ô cruel, ô toi clair Bourbaki,
Vas-tu nous déchirer dans un accès de crise
Le Goursat filandreux, miroir de l’Analyse,
Défenseur attardé d’un passé qui a fui ?

La suite d’autrefois se croyait l’infini,
Inutile, et que sans la comprendre utilise
Le maladroit conscrit, lui que Valiron grise
De son cours ténébreux qui distille l’ennui.

Ignorant les secrets de la Topologie
À l’espace infligée, et toi qui l’étudies,
Il nage dans l’erreur où son langage est pris.

Il contemple étonné, comme enivré d’un philtre,
L’adhérence, un manteau qu’il n’a jamais compris,
Que vêt sur un compact, immobile, le FILTRE.

Q15 – T15

L’esprit qui se décharge en un dégât de honte — 1945 (3)

Shakespearesonnets trad André Prudhommeaux

129

L’esprit qui se décharge en un dégât de honte
Telle est la passion dans l’acte; et jusqu’à l’acte
Sa luxure est perfide et parjure à tout pacte,
Farouche, meurtrière, et ne rend pas de compte,

A peine elle triomphe et le mépris la dompte-
Chasse de déraison que déraison rétracte;
Elle se hait dans sa victoire – haine intacte
De l’amorce engloutie au fol dégoût qui monte;

Folle est la quête, et sa capture, et la curée:
Avoir! Vouloir avoir! Avoir eu! Procurée,
L’extase est un dictame – et laisse un fiel amer;

D’une joie en l’espoir il ne reste qu’un songe.
Tout homme au monde sait ce que vaut ce mensonge;
Pas un ne fuit le ciel qui mène à cet enfer.

Q15 – T15 – tr

Je suis ce riche à qui le rite d’une clé — 1945 (2)

Shakespearesonnets trad André Prudhommeaux

52

Je suis ce riche à qui le rite d’une clé
Peut ouvrir un trésor plus cher que ses yeux mêmes:
Il se cache souvent l’éclat des diadèmes
Gardant aigu l’acier d’un plaisir constellé.
Ainsi le prix de toute joie est redoublé
Par son retour plus rare et par de longs carêmes,
Ainsi dans un écrin les joailliers parsèment
Plus distants les joyaux, feu soudain dévoilé.
Or le temps qui te garde est la châsse parfaite,
C’est l’armoire où repose une robe de fête
Aux seuls jours de l’honneur déployant ses plis fins.
Béni sois-tu trésor secret de l’alternance
Qui donne le triomphe aux instants les plus clairs,
Et répands sur la perte encore une espérance!

Q15 – T14 – banv – sns – tr (sh52)

Vous qui surprenez dans mes vers le bruit — 1945 (1)

Aragon V sonnets de Pétrarque

1

Vous qui surprenez dans mes vers le bruit
De ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Dans ma première et juvénile erreur
Quand j’étais homme autre que je ne suis

Aux tons divers dont je plains mes ennuis
Suivant l’espoir vain la vaine douleur
Si l’un comprend l’amour par son malheur
J’attends pitié non point pardon de lui.

Mais je vois bien comme je fus la fable
Du peuple entier longtemps et le tourment
Au fond de moi de la honte m’en ronge

Jours égarés j’en garde seuls durables
Ce repentir et clair entendement
Tout ce qui plaît au monde n’est qu’un songe

Q15 – T36 – déca – tr

Son âme de poète hélas était partie — 1944 (19)

Antonin Artaud in Oeuvres Complètes, I

Sur un poète mort

Son âme de poète hélas était partie
Dans les sons musicaux et gothiques d’un soir
Et merveilleusement parmi les haubans noirs
Le soleil inclinait sa carène jaunie.

Alors j’étais venu de ma mélancolie
De cet homme divin voir la dépouille et voir
La Beauté où se forme ainsi qu’un reposoir
La Sublime Pensée éclatante et fleurie.

Les vagues de la mer faisaient un bruit de foule,
Les cordages râlaient avec un bruit de houle
Parmi les flammes d’or des cierges qui pleuraient.

Et des voix s’élevaient du velours et de l’or
Du grand vaisseau que des processions décoraient
Aux sons très doux soufflant aux flûtes de la mort.

Q15 – T14 – banv

Transcrit de mémoire; daté 1914