Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Une enseigne de mauvais lieu — 1921 (7)

Mathias Lübeck in L’Oeuf dur

Une enseigne de mauvais lieu
Numéro sur une lanterne
Dans un bar avenue des Ternes
Prête aux erreurs sur le milieu.

C’est une erreur sur la personne
Le patron qui est de Nevers
S’enthousiasme sur ce vers
 » Qui reste en arrière? Personne!  »

Lorsque l’on veut le raisonner
Il se sauve dans son métier
Je trouve que ça n’est pas bête.

Mais je trouve surtout moral
Que pour aimer les faux poètes
On s’en cache comme d’un mal.

Q63 – T14  octo

Dans un bordel de Constantine — 1921 (6)

Mathias Lübeck in L’Oeuf dur

La clef des champs

Dans un bordel de Constantine
Constantin Constant faux margis
Fait l’amour avec Constantine
Constantin est un affranchi.

Il sait jouer à la belote
Est nazi, tante & tatoué,
Crache à huit, couvres ses bottes,
Et fut quatre fois condamné.

Mais la police militaire
Viendrait lui chercher des oraisons
Qu’il n’essaierait pas de les taire

Pour toutes sortes de raisons.
La clef des champs est éphémère
Et je trouve qu’il a raison.

Q59 – T20 – octo – v10:9syll

Dans les Cités à l’air brûlant — 1921 (5)

Mathias Lübeck in L’Oeuf dur

Périples et cie
‘ Au seul souci de voyager
Outre une Inde splendide et trouble »
Mallarmé

Dans les Cités à l’air brûlant
(Oporto, Palos ou Lisbonne)
De vieux messieurs chargés d’automne
Etablissent des portulans.

Au Cap de l’Espérance-Bonne
Vasco nous montre ses talents
Pour ce qui est de Magellan,
Je ne sais pas ce qu’il mitonne.

Les braves bougres n’ont pas peur
D’affronter l’océan hurleur
Sur l’aléa des caravelles,

Car le Génois si mal coté
Découvrit des terres nouvelles
Pour s’être trompé de côté.

Q16 – T14 – octo

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon — 1921 (4)

Alfred Jarry in Le Disque vert

Le Bain du Roi

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon
Fleurie, au soleil la Vistule se boursoufle.
Or le roi de Pologne, ancien roi d’Aragon
Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.

Les pairs étaient douzain: il est sans parangon.
Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle;
Pour chacun de ses pas son orgueil patagon
Lui taille au creux du sable une creuse pantoufle.

Et couvert de son ventre ainsi que d’un écu
Il va. La redondance illustre de son cul
Affirme insuffisant le caleçon vulgaire

Où sont portraiturés en or, au naturel,
Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre
Sur un cheval, et par devant, le tour Eiffel.

Q8 – T14

La danseuse avec art multipliant l’espace — 1921 (3)

Charles Morice Le rideau de pourpre

La Danseuse

La danseuse avec art multipliant l’espace
Tandis que l’Ange au ciel chante d’éternité,
Je me sacre le roi d’un monde illimité
De par une, aile et gaze, unique et double grâce.

C’est mon rêve qu’on joue au Théâtre Enchanté
Du ciel et de la mer, des choses et des races!
C’est mon âme, la voix divine et la beauté
Humaine, c’est mon âme et qui reste et qui passe!

Mais, bien qu’au bout d’un acte à peine, blanc et bleu,
L’héroïne, déjà de l’illusoire lieu
Lasse, dans l’infini, que le pli de ses voiles

Désigne et que son jeu de pas nous révéla,
A hâte d’être ainsi que les autres étoiles,
Hors du temps aboli d’un bond, de l’au-delà.

Q17 – T14

Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume — 1921 (2)

Roger VitracLe faune noir – in Des-lyre (ed.1964)


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Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume
Bouche au collier de larmes Forgeron
Que l’ombre de ton bras lève la femme plume
Et que ton bras lui plante une harpe en plein front

Et qu’elle chante avec l’écharpe de bitume
Hyperbole des cils, gril où nous rôtirons
Sous l’arbre ensanglanté dont elle se parfume
Et nos poumons légers sont là pour le clairon

Ah nature insensible à l’étincelle mâle
Fille du vin Elle est jolie au bord de l’eau
A ses dents tu peux voir si son squelette est pâle

Mais si tu veux passer par les coups de marteau
D’un poing fêlé comme le cœur de l’étrangère
Frappe Le Forgeron est bien en chair ma chère

Q8 – T23

Clair de lune à la mer: les rayons jettent — 1921 (1)

Jehan d’Arvieu Le monde sous l’étoile

Alleluia

Clair de lune à la mer: les rayons jettent
Des rubans argentés sur l’onde noire,
Des reflets satinés aux jeux de moire,
Des brillants, des émaux et des paillettes.

Caressés de clartés les flots répètent
Aux splendeurs de la nuit un chant de gloire
Murmurant dans un rêve d’oratoire
Sous le vol messager de leurs mouettes.

Clair de lune à l’Eden; la paix dernière.
A l’astre virginal, comme ondes calmes,
Chanteront dans un bruit furtif de palmes,

Les élus tout nimbés de sa lumière,
Cependant que chargés de leurs louanges
Monteront de la mer les vols des anges.

Q15 – T30 – déca – rimes féminines

Le grésil frileux hérisse les mousses — 1920 (16)

Joséphin Soulary sonnets

Intus et in cute*

Le grésil frileux hérisse les mousses
Où je vous cueillais, rêve et muguet blanc.
L’âpre vent du nord, des mêmes secousses,
Bat l’âme oppressée et l’arbre tremblant !

Es-tu l’agonie, angoisse indicible ?
Es-tu le tombeau, nature insensible ?
Es-tu ‘l’oubli morne, horizon de fer ?

– Ne crois pas au sol enchaîné de glace,
Ne crois pas au cœur mort à la surface :
L’éternel printemps couve sous l’hiver.

Dans le fond du sol ses haleines douces
Font germer le chêne au giron du gland :
Dans le fond du cœur son souffle indolent
D’un nouvel amour fait poindre les pousses.

Q9  T15  tara  QTTQ

* « intérieurement et sous la peau. » (citation de Perse, satire III, v.30)

Lèvres chaudes qu’un pivois mouille, — 1920 (15)

André Salmon Le livre et la bouteille

Gravé sur un manche à balai

Lèvres chaudes qu’un pivois mouille,
Offertes en d’autres saisons
Au baiser de Mylord l’Arsouille!
Mégère d’illustre maison!

J’aime, lorsque la lune oblique
Coule jaune et blanche aux égouts,
Portière au regard de mangouste,
Suivre tes nuits parédéniques.

Et j’aime en le soir hérissé
D’un lourd parfum de synagogue
Entendre, ô poètes blessés,

La fille des Paléologue
Tenir des discours insensés
Au perroquet bleu philologue.

Q59 – T20 – octo

Monnayer l’or des couchants! — 1920 (14)

Raymond Radiguet in Oeuvres, ed. 2001

Champ de Mars

Monnayer l’or des couchants!
Que les clairons militaires
Berceurs du stérile champ
Ensemencent d’autres terres

Oreille insensible aux chants
Qui s’envolent de Cythère
Je suis devenu méchant
A force de battre l’aire

Le temps est un laboureur:
Rides tracées sans charrue
Vaine d’un astre empereur

Car son pégase qui rue
Ne pourrait voir sans horreur
Fleurir les chansons des rues

Q8 – T20 – 7s