Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Sonnet, qui n’étais plus qu’un objet de musée, — 1920 (1)

Gauthier-Ferrières Le miroir brisé – sonnets


Sonnet ….

Sonnet, qui n’étais plus qu’un objet de musée,
Dans l’atelier sans air des froids Parnassiens,
Quitte les ciseleurs pour les musiciens
Et danse enfin sur l’herbe où perle la rosée.

Emplis de vin ta coupe, ouvre au vent ta croisée,
Sois libre, ailé, chantant, tourne, bondis, va, viens!
Et joue aux quatre coins dans tes quatrains anciens
Afin que mon Amie en soit tout amusée.

Rajeunis-toi pour elle et brise tes liens,
O Sonnet, noble fleur des parcs italiens,
Transplantée autrefois dans les jardins de France.

Chante lui sa beauté que tu suis pas à pas
Et quelquefois aussi chante lui ma souffrance,
Pourvu qu’en t’écoutant elle n’en souffre pas.

Q15 – T14 – banv – s sur s

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds? — 1919 (7)

Henry Céard Sonnets de guerre

Explication

Quatorze pieds! Pourquoi mes vers ont-ils quatorze pieds?
C’est que lassé, depuis longtemps, par l’antique hexamètre
Ankylosé, fourbu, boiteux, j’ai prétendu lui mettre
Deux béquilles, deux pieds de plus, comme aux estropiés.

Hardiment, j’ai rayé l’alexandrin de mes papiers!
Et l’avenir, hors du néant, me tirera peut-être
Pour d’inusités vers, ouvrés sans modèle, sans maître
Et sur aucun patron connu, coupés ou copiés.

Suivant l’accent, je place et déplace la césure.
J’en mets une, deux trois, quatre, et le sens et la mesure
Au lieu de se trouver gênés demeurent agrandis.

La règle peut changer: tout change. Alors risquons l’épreuve
De transformer des procédés trop pratiqués jadis.
– Si l’essai n’est pas bon du moins la tentative est neuve.

Q15 – T14 – banv – 14s – Illusion: il y a déjà eu des sonnets en vers de quatorze syllabes!

Sur les fauteuils gonflés des plus rouges luxures, — 1919 (6)

Vincent Muselli Les masques

Exotisme

Sur les fauteuils gonflés des plus rouges luxures,
Et dont les triples rangs peuplent le corridor,
Les dragons parfumés qu’énervent leurs morsures
Dans le sang des velours trempent leurs ongles d’or.

Le grand singe aux pieds roux dansant devant la glace
Agite dans l’air chaud la chaîne et le mouchoir,
Et ses jambes qu’entr’ouvre une obscène grimace,
Montrent son impudeur aux oiseaux du perchoir.

L’enfant n’écoute plus aux porcelaines creuses
Gémir l’écho lointain des fanfares heureuses,
Mais sous le ventre en fleurs il se cache en criant,

Car le soleil, tombant des fenêtres ouvertes,
Roule, et comme un poisson fébrile et flamboyant,
Dans l’aquarium bleu mange des carpes vertes.

Q59 – T14

Le soleil meurt: son sang ruisselle aux devantures; — 1919 (5)

Vincent Muselli Les masques

Les épiceries

Le soleil meurt: son sang ruisselle aux devantures;
Et la boutique immense est comme un reposoir
Où sont, par le patron, rangés sur le comptoir,
Comme des cœurs de feu, les bols de confitures.

Et, pour mieux célébrer la chute du soleil,
L’épicier triomphal qui descend de son trône,
Porte dans ses bras lourds un bocal d’huile jaune
Comme un calice d’or colossal et vermeil.

L’astre est mort; ses derniers rayons crevant les nues
Illuminent de fièvre et d’ardeurs inconnues
La timide praline et les bonbons anglais.

Heureux celui qui peut dans nos cités flétries
Contempler un seul soir pour n’oublier jamais
La gloire des couchants sur nos épiceries.

Q63 – T14

Les hautes œuvres dont vous avez le souci, — 1919 (4)

Jules SuperviellePoèmes

Le Sonnet capital
à un bourreau en lui envoyant un panier fleuri

Les hautes œuvres dont vous avez le souci,
Vous les exécutez en sage qui s’efface,
Et c’est sot de penser avec la populace
Que vous n’appréciez l’homme qu’en raccourci.

Vous avez des égards savants, des mots de grâce;
Vous dites aux vieillards: « Ce jour vous rajeunit,
Les meilleurs jours sont ceux que point on ne finit;
Aux jeunes « il faut bien que jeunesse se passe ».

Mais, à l’heure où le soir ramène le chagrin,
L’horrible souvenir du panier purpurin
Monte, et vous essuyez une larme d’apôtre …

Je veux, sympathisant, vous offrir roses, lis,
Avec la pâquerette et le volubilis,
Que ce panier fleuri vous console de l’autre.

Q16 – T15

Rieuse et si peut-être imprudemment laurée — 1919 (2)

André BretonMont de piété

Rieuse

Rieuse et si peut-être imprudemment laurée
La jeunesse qu’un faune accouru l’aurait ceinte
Une Nymphe au Rocher qui l’âme (sinon peinte
L’ai-je du moins surprise au bleu de quelque orée)

Sur la nacelle d’or d’un rêve aventurée
– De qui tiens-tu l’espoir et ta foi dans la vie? –
Des yeux reflèteraient l’ascension suivie
Sous l’azur frais, dans la lumière murmurée ….

– Non plutôt de l’éden où son geste convie
Mais d’elle extasiée en blancheur dévêtue
Que les réalités n’ont encore asservie:

Caresse, d’aube, émoi pressenti de statue,
Eveil, aveu qu’on n’ose et pudeur si peu feinte,
Chaste ingénuité d’une prière tue.

Q45  T20 rimes féminines

Il était, au delà des jeunes frénésies, — 1919 (1)

Francis JammesLa vierge et les sonnets

I

Il était, au delà des jeunes frénésies,
Un coin inaccessible & noir dans la forêt.
Cette forêt était mon cœur, ce coin secret,
La source où s’en venaient boire mes poésies.

Que si je t’ai jamais aimée, enfant choisie,
Si mon rythme a jamais gémi sur tes bras frais,
Je te cachai cette heure où je me retirais
Pour écouter le flot où nageait l’harmonie.

Je t’adresse aujourd’hui cette confession:
Laissant l’échelle d’or et ses illusions,
Quand s’effeuillait dans l’agrandissement des choses,

A travers le pertuis des dômes de ces bois,
Sur l’eau pure, un couchant fait de bouquets de roses,
C’est Dieu que j’appelais, je m’éloignais de toi.

Q15 – T14 – banv

Mon goût a son secret, ma teinte son mystère, — 1918 (8)

Léo Claretie Sonnets au front d’Arvers

La gnole

Mon goût a son secret, ma teinte son mystère,
Chef-d’œuvre d’alchimie en un tonneau conçu.
Ammoniaque ou pétrole ? Hélas ! je dois le taire,
Car celui qui l’a fait n’en a jamais rien su.

Si je me trouve ici dans mon flacon de verre
Honorée à l’égal des fines de bon cru,
C’est que mon fabriquant, d’un ton autoritaire
A dit : « ça peut se boire ! »  et l’intendant l’a cru.

Aussi bien j’aurais pu, par d’autres artifices,
Devenir brillant belge ou bien eau dentifrice,
Mais gnole l’on m’a fait. Donc à chaque repas

Celui qui de me boire aura la folle audace
Dira, grinçant des dents et faisant la grimace :
« Quel est donc ce liquide ? »  et ne comprendra pas.

Q10 – T15 – arv

Léo Claretie : Son sonnet est toujours debout.
Il n’y a pas de sonnet de Pétrarque qui ait eu un vogue comparable à celle de ces vers.
L’une des premières réponses  fu écrite par madame Cecile Coquerel qui signa C. Gay, ce qui fit attribuer le sonnet à Sophie Gay. Les femmes furent sans doute enchantées de la réplique, cer elles la chantent sur la musique de mademoiselle Casalonga.
On le récite dans les tranchées, et les poilus le savent par cœur. Et quand ils sont de loisir, ils le parodient.
Jules Janin : ce peit bousquet de myosotis traversera les siècles.

Mon âme a son secret, mon vie a son mystère — 1918 (7)

Léo Claretie Sonnets au front d’Arvers

Le Bocophage

Mon âme a son secret, mon vie a son mystère
Mon plan pour m’embusquer habilement conçu.
Je n’ai jamais aimé le métier militaire,t
Et pour m’y dérober j’ai fait ce que j’ai pu.

Je voulais simplement passer inaperçu
Et faire jusqu’au bout mon temps sur cette terre,
Il me fallait trouver un emploi salutaire
J’osai le demander, aussi je l’ai reçu.

Et bien que le public ne me soit pas très tendre,
J’irai droit mon chemin, paisible, sans entendre
Les murmures jaloux élevés sur mes pas.

A l’austère bureau tenacement fidèle
On dira, me sachant dans cette citadelle :
« A quoi bon le poursuivre ? on ne l’y prendra pas! »

Q10 – T15 – arv

Elle vit d’une vie infinie et plus haute — 1918 (6)

Tolia Dorian Poésies lyriques

La Joconde

Elle vit d’une vie infinie et plus haute
Que le Présent instable en sa réalité :
Les siècles font cortège à sa grâce sans faute,
Et dorent, en passant, son éternel été.

D’un sanctuaire altier elle est le très pur hôte,
Placide et venimeuse Idole de beauté ;
Ses yeux pervers n’ont pas une ombre que leur ôte
Leur sereine et railleuse invincibilité …

O Dame au fin sourire, aux cheveux blonds de cendre,
Dame au large front ceint du ruban emperlé !
A nul mortel, voulant pénétrer ton air tendre,

De tes lèvres-serpents tu n’as jamais parlé …
Et tes royales mains n’ont pas laissé surprendre
Un seul secret des plis dont ton sein est voilé !

Q8  T20