Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Je suis l’Esprit, je suis l’Eternelle beauté. — 1907 (3)

Georges Duhamel Des légendes et ballades

3
Le sonnet d’Une

Je suis l’Esprit, je suis l’Eternelle beauté.
Quand je viens à rêver, mon âme emplit le monde
Et la nuit de mes souvenirs est si profonde
Que mon être, il me semble, a toujours existé.

Je suis l’Oreille ouverte à l’accord enchanté
Qui, sans moi, dans le vide irait perdre son onde.
C’est encor de par moi qu’est la lumière blonde
Puisqu’en fermant les yeux je fais l’obscurité.

Et c’est moi qui, l’Eté, prête aux fleurs leur parfum,
Les fruits sont savoureux parce que j’en ai faim,
La chose est belle et bonne ainsi par moi sacrée,

Il n’est rien qui ne touche ou mon âme ou ma main,
J’ai tant pensé que je n’ai plus peur de demain,
Et Dieu, s’il est, n’est Dieu que pour m’avoir Créée.

Q15 – T6

Nous irons vers la vigne éternelle et féconde — 1907 (2)

Henri de Régnier Premiers poèmes

Epilogue

Nous irons vers la vigne éternelle et féconde
En grappes pour y vendanger le vin d’oubli;
Le soir n’a plus de pourpre et l’aurore a pâli
Et la promesse meurt aux lèvres du Vieux Monde;

Nous irons vers la rive où triomphe un décor
D’étangs muets et de sites en somnolence,
Où vers une mer morte un fleuve de silence
Bifurque son delta parmi les sables d’or;

Toi la vivante, la diseuse de paroles
Tu voulus m’enchaîner au nœud des vignes folles,
J’ai brisé le lien de fleurs du bracelet.

Hors le tien, tout amour, ô Mort, est dérisoire
Pour qui sait le pays mystique et violet
Où se dresse vers l’autre azur la Tour d’Ivoire.

Q63 – T14

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet » — 1907 (1)

Joseph CorrardCent sonnets

Au critique

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet »
Disait un freluquet; « quatorze lignes … qu’est-ce?
Tout poète en trouve un, le soir, sous son bonnet:
Pas besoin, pour ça, de battre la grosse caisse! »

– Ami, prends ton absinthe ou bien ton Dubonnet.
Lis les journaux du soir, les nouvelles, mais laisse,
Loin de ta tabagie, errer seul ce benêt,
Ce rimailleur, ce fou … qui tient la lune en laisse!

– C’est bien simple, disait un coq, de pondre un œuf;
J’en vois tous les jours pondre avec neuf poules …. neuf!
Au fond d’un poulailler, blottie et plume en boule,

On s’accoufle, on s’installe en le meilleur confort
Et l’on attend … Après un tout petit effort
L’œuf arrive – Oui, cria quelqu’un …., quand on est poule.

Q8 – T15 – s sur s

Aux jours d’or où les dieux reconnaissaient leurs frères — 1906 (4)

Fagus Jeunes fleurs

Invention du sonnet

Aux jours d’or où les dieux reconnaissaient leurs frères
Essaimaient par la terre et se mêlaient à nous,
A ces jeunes humains robustes, beaux et doux,
Ils léguèrent la lyre aux quatre cordes paires :

Quand Terpandre eut trouvé les trois voix septénaires
Les maîtres de leur cœur se sentirent jaloux.
Nous, filleuls délaissés soudain réveillés loups
Oublièrent la lyre ; or les dieux émigrèrent

Et revinrent ; des fibres d’un grand cœur saignant
Tendirent chacun une lyre et les joignant
–       Pétrarque d’Arrezzole et Dante de Florence –

Pour qu’à nouveau l’on pût chanter par l’univers,
Les fastes, la beauté, les deuils et l’espérance
Les fils des dieux en ourdirent deux foix sept vers.

Q15  T14  – banv –  s sur s

Pour l’instant où viendra celle qu’on n’attend pas — 1906 (3)

Gabriel de Lautrec Les roses noires

Précautions

Pour l’instant où viendra celle qu’on n’attend pas
La ténébreuse qui guérit le mal de vivre,
Tristes comme il convient, nous fermerons le livre,
Et la fenêtre, et toi, printemps, qui nous dupas!

La jeunesse exilée et venant à grands pas,
L’âge mûr, endormeur des choses éternelles,
Un démon lumineux songe à ployer ses ailes
Avant l’heure, et la nuit du funèbre repas.

Quelque part, dans le soir, des lèvres se sont closes,
Il est temps que quelqu’un aille chercher des roses
Pour saluer d’adieu le rêve le plus beau.

Voici venir la mort, il est temps que notre âme
Prenne le mieux aimé des sourires de femme
Pour en faire sa lampe en la nuit du tombeau

Q45  T15

Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère; — 1906 (2)

Jules Renard in  Dr o’Followell: le sonnet d’Arvers et ses pastiches (1948)

A l’envers d’Arvers

Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère;
Mon amour banal fut comme un autre conçu,
Le mal est réparé; pourquoi donc vous le taire?
Celle qui me l’a fait l’a tout de suite su.

Non, je n’ai pas passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et toujours solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’ayant rien demandé, mais ayant tout reçu.

Pour elle, qui n’est point très douce ni très tendre,
Elle suit son chemin et se fiche d’entendre
Un murmure d’amour élevé sur ses pas.

A l’austère devoir constamment infidèle,
Sans avoir lu ces vers où je n’ai rien mis d’elle,
« Mais, c’est moi! » dira-t-elle, et ne comprendra pas.

Q10 – T15 – arv

-Jacqueline de Lubac: « Une aimable dame me fit un jour ce compliment: ‘J’aime bien vos sonnets, mais pourquoi les faîtes-vous si courts? »

Un son maigre et pluvieux sonne en fausset mes heures, — 1906 (1)

O.V. de L. MiloszLes sept solitudes

XVII

Un son maigre et pluvieux sonne en fausset mes heures,
Coassement – croassement – requiem des portes
Aux grands châteaux venteux dont le regard fait peur
Tandis que le grand vent glapit des noms de mortes,

Ou bruit de vieille pluie aigre sur quelque route,
Qui n’invite qu’afin que le destin s’égare
Vers le clocher aveugle à girouette bizarre?
Ecoute – plus rien- Seul, le grand silence écoute …

Tu peux partir, ou t’endormir, ou bien mourir
Dans le sang ou la boue, ou même encore, belle,
Mendier ton pain de vieille aux pays inconnus;

Car nulle autre aujourd’hui ne veut m’être réelle
Que celle mort des demains et du souvenir,
Que cette cloche du moment aux lointains nus.

Q60 – T38

Songeant, un jour, comment Théocrite a chanté — 1905 (17)

Fernand Henry Les Sonnets Portugais d’Elizabeth Barrett Browning

I

Songeant, un jour, comment Théocrite a chanté
La douceur du retour de ces chères années
Dont chacune vient tendre en ses mains fortunées,
A tous, jeunes & vieux, le présent souhaité, –

Tandis que par ses vers j’avais l’esprit hanté,
Je revis, à travers mes larmes, ces journées,
Dans le bonheur et dans la tristesse égrenées,
Qui sur mon front avaient tout à tour projeté

L’ombre de leur passage et j’étais toute entière
A pleurer quand soudain, par derrière, aux cheveux
Un fantôme me prit ; et, comme de mon mieux

Je luttais, une voix se fit entendre, altière :
«  Devine qui te tient ? » « C’est la Mort » dis-je. Alors
Tinta ce mot d’argent : « C’est l’Amour, non la Mort ! »

Q15 – T30 – tr