Archives de catégorie : Q06 – aabb bbaa

A l’horizon, par les brouillards, — 1894 (9)

Alfred JarryMinutes de sable mémorial

L’homme à la hache

A l’horizon, par les brouillards,
Les tintamarres des hasards,
Vagues, nous armons nos démons
Dans l’entre-deux sournois des monts.

Au rivage que nous fermons
Dome un géant sur les limons.
Nous rampons à ses pieds, lézards.
Lui, sur un char tel un César.

Ou sur un piédestal de marbre
Taille une barque en un tronc d’arbre
Pour debout dessus nous poursuivre

Jusqu’à la fin verte des lieux.
Du rivage ses bras de cuivre
Lèvent au ciel la hache bleue.

Q6 – T14 – octo

Mâle et viril poète aux pensers d’or, j’admire, — 1888 (27)

Le Décadent

A Stéphane Mallarmé

Mâle et viril poète aux pensers d’or, j’admire,
Contemplateur, tes vers limpides où se mire,
Ainsi qu’en un cristal, l’irradiant flambeau
De ton âme, – paradisiaque tombeau!

Et ne crains rien, jamais  -: d’envieux auront beau
Clamer, comme devant tout génial tableau,
Un jour, ceux qui ne se charment pas à te lire,
Viendront s’agenouiller à la voix de ta lyre;

Soit que, tendre ou hautain, ton verbe si cruel
S’adoucisse parfois en des azurs de ciel,
Ou soit que de ton front jaillissent, fiers, superbes,

– Epanouissement harmonieux de gerbes –
Des vols plus puissants que des rayons de soleil,
Mourant dans une apothéose au sang vermeil!

André de Bréville

Q6 – T20

Pas à pas au désert, j’ai poursuivi ta trace; — 1858 (2)

Antoine-Auguste GéninSimple bouquet

LX

Pas à pas au désert, j’ai poursuivi ta trace;
Les roses et les lys m’ont rappelé ta grâce:
Leur parfum m’enivrait moins que ton souvenir,
Et dans tous leurs attraits j’aimais à te bénir.

L’oiseau dans ses chansons revient m’entretenir
De ta voix, de ton nom qu’il a su retenir;
C’est ton souffle inspiré, recueilli dans l’espace,
Que verse sur mon front l’Aquilon quand il passe.

Ainsi, je vais partout, vous conservant ma foi,
Tenant en mon esprit votre pensée éclose,
Vous cherchant, vous trouvant au fond de chaque chose.

Mais vous, vers les sommets où l’idéal repose,
Vers ces vallons sacrés qu’une eau plus pure arrose,
Lorsque vous reviendrez, penserez-vous à moi?

Q6 – T33

D’une pâleur de mort sa face se voila. — 1855 (2)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Eola

D’une pâleur de mort sa face se voila.
Courbé sur le rocher, d’un geste il déroula
Le manteau qui volait au bord de son épaule
Et cacha sous les plis la lyre qui console.

Ses cheveux, éclairés d’une ardente auréole,
Sur l’abîme pendaient comme les pleurs d’un saule,
Et sa voix appela par trois fois: Eola!
Une autre voix de loin répondit: me voilà!

Et sur le gouffre rouge où nul espoir ne tombe
J’aperçus Eola, la céleste colombe:
– Ange que j’ai jeté dans l’horreur de ces lieux,

Cria celui qui porte un sombre diadème,
Le Seigneur te pardonne et te rappelle aux Cieux.
– Je préfère l’enfer, dit Eola, je t’aime!

Q6 – T14