Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Parmi des flots d’azur, dimanche, un soleil d’or — 1856 (1)

Brocard de Meuvy fils Coupe d’amour

Le sommeil interrompu

Parmi des flots d’azur, dimanche, un soleil d’or
Rayonnait à midi; la maison fut déserte!
J’aime assez peu sortir quand tout le monde sort;
Je restai dans ma chambre et ne fit pas grand’perte,

Comme vous le verrez, si me lisez encor:
Mon store était baissé, ma croisée entr’ouverte,
L’air doux; je m’endormis, et mon plus cher trésor
Ma belle en robe bleue, au petit pas alerte,

Sur la pointe du pied, alors, entra chez moi;
Et soudain les baisers de ma brune enflammée
Eveillèrent nombreux ma paupière fermée.

Quel céleste réveil! Quel amoureux émoi!
Ma lèvre en feu s’unit à sa bouche vermeille,
Bianca fut une ruche, et je fus son abeille!

Q8 – T30

La mode est au sonnet; et ce n’est pas dommage; — 1855 (9)

Emile Grimaud Fleurs de Vendée

Le Sonnet

La mode est au sonnet; et ce n’est pas dommage;
Moi, je m’en réjouis et je dis hautement
Que le sonnet mérite en tout point notre hommage,
Que Despréaux eut tort d’en faire un vrai tourment.

Un sonnet! C’est léger comme un léger ramage;
C’est une étoile d’or qui passe au firmament;
C’est un cristal limpide où se peint une image,
Pétrarque l’adopta, je l’aime infiniment.

Tandis qu’avec les fleurs il se joue et lutine,
C’est un beau papillon qu’une main enfantine
Ose à peine toucher, tremblant de le ternir;

Enfin, c’est un anneau, religieux emblême,
Que le Poête met aux doigts de ceux qu’il aime,
Pour que de lui toujours ils gardent souvenir.

Q8 – T15 – s sur s

Napoléon mourant vit une Tête armée … — 1854 (10)

Gérard de Nerval Les Chimères

La tête armée

Napoléon mourant vit une Tête armée …
Il pensait à son fils déjà faible et souffrant:
La Tête, c’était donc sa France bien-aimée,
Décapitée aux pieds du César expirant.

Dieu, qui jugeait cet homme et cette renommée,
Appela Jésus-Christ; mais l’abyme, s’ouvrant,
Ne rendit qu’un vain souffle, un spectre de fumée:
Le Demi-Dieu vaincu se releva plus grand.

Alors on vit sortir du fond du purgatoire
Un jeune homme inondé des pleurs de la Victoire,
Qui tendit sa main pure au monarque des cieux;

Frappés au flanc tous deux par un double mystère,
L’un répandait son sang pour féconder la Terre,
L’autre versait au Ciel la semence des Dieux!

Q8 – T15

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé, — 1854 (5)

Gérard de Nerval Les Chimères

El Desdichado

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie:
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phoebus? … Lusignan ou Biron?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène …

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron:
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Q8 – T30

Il est une contrée où la France est bacchante, — 1852 (4)

Alfred de Vigny ed. Pléiade


À ÉVARISTE BOULAY-PATY

Il est une contrée où la France est bacchante,
Où la liqueur de feu mûrit au grand soleil,
Où des volcans éteints frémit la cendre ardente,
Où l’esprit des vins purs aux laves est pareil.

Là près d’un chêne, assis sous la vigne pendante,
Des livres préférés j’assemble le conseil ;
Là, l’octave du Tasse et le tercet de Dante
Me chantent l’Angélus à l’heure du réveil.

De ces deux chants naquit le sonnet séculaire.
J’y pensais, comparant nos Français au Toscan.
Vos sonnets sont venus parler au solitaire.

Je les aime et les roule, ainsi qu’un talisman
Qu’on tourne dans ses doigts, comme le doux rosaire,
Le chapelet sans fin du santon musulman.

Q8  T20 s sur s

O toi qui fus si jeune enlevée à la terre, — 1851 (8)

Albert Richard d’Orbe Poésies

Sonnet traduit du portugais de Camoens

O toi qui fus si jeune enlevée à la terre,
Qu’un bonheur éternel t’enivre dans les cieux !
Qu’à ce prix, s’il le faut, je porte solitaire
Longtemps encor le poids de mes jours malheureux !

Mais parmi les élus, au séjour de lumière,
S’il reste un souvenir de ces funèbres lieux,
Rappelle-toi l’amour, l’amour pur et sincère
Dont naguère tu vis étinceler mes yeux.

Et si ce coup fatal, si la noire tristesse,
Le désespoir sans borne où ton trépas me laisse,
Paraissent mériter de toi quelque retour,

Au Dieu qui dans sa fleur trancha ton existence
Demande que je meure et vienne en ta présence,
Beauté qu’il a si tôt ravie à mon amour !

Q8  T15  tr

Gloire à vous, Térésa, vous dont la main légère — 1851 (7)

Félix Dortée Poésies

Sonnet à Mademoiselle Teresa Milanollo

Gloire à vous, Térésa, vous dont la main légère
Produit des sons si purs et si mélodieux,
Car vous êtes un ange envoyé sur la terre,
Pour nous donner sans doute un avant-goût des cieux !

Oui, d’admiration tressaillant tout entière,
Si vous n’eussiez caché vos ailes à ses yeux,
La foule aurait courbé son front vers la poussière,
Dans un ravissement long et silencieux.

Poursuivez en tous lieux votre mission sainte ;
Prodiguez ces accords dont l’ineffable empreinte
D’un être surhumain est le révélateur.

Pourquoi même nier sa nature angélique,
Un archer sous vos doigts est un sceptre magique
Qui vous assujettit et l’oreille et le cœur.

Q8  T15

Teresa, l’aînée des filles Milanollo, est née à Savigliano, le 28 août 1827. Elle aurait été touchée par la grâce, alors qu’elle assistait à la messe où se produisit un violoniste. A son père qui lui demanda si elle avait bien prié Dieu, elle répondit : « Non Père, j’ai seulement écouté le violon ». Elle étudie l’instrument dès l’âge de quatre ans, se produit avec éclat en concert et vient s’installer à Paris, avec ses parents, en 1835. Elève de Lafont et Habeneck, Teresa entame une carrière de concertiste à quatorze ans. Ses débuts, à la société des concerts du Conservatoire de Paris, le 18 avril 1841, enthousiasment Berlioz : « A la dernière mesure, une acclamation, un cri, un hourra de toute la salle renvoyé en écho par les musiciens de l’orchestre ont salué la sortie de mademoiselle Milanollo qui, sans être autrement émue que s’il se fût agi de quelques compliments à elle adressés dans un salon, s’en est allée souriante embrasser sa mère qui comprenait mieux que quiconque l’importance d’un pareil succès, en pareil lieu, devant un aussi terrible aréopage ». La jeune prodige abandonne les tournées après son mariage. Elle meurt à Paris le 25 octobre 1904. Est enterrée au Père-Lachaise

Le soir arrive épais : des blancheurs disparues — 1851 (6)

Xavier Aubryet même source

Porchers des Cévennes

à Charles Chaplin, qui a peint des cochons et des femmes

Le soir arrive épais : des blancheurs disparues
Reste une bande étroite, au ciel d’un noir profond.
Dans l’ombre, des cochons chassés, bandes goulues,
Pieds souillés, dos soyeux, à leur loge s’en vont.

Oreilles en avant, roides, plates, poilues,
Le groïn barbouillé, renifleur et grognon,
Pêle-mêle entraînés par les pentes ardues,
Leur queue au rond frisé frétille à chaque bond.

Sauvage fantaisie après les élégances
Des portraits féminins aux fines transparences,
A la grâce attendrie, aux tons dorés du miel.

Poésie ! idéal que le réel complète.
Chaque chose sublime ou basse, te reflète.
Les porcs grouillants, la boue, et les femmes, le ciel !

Q8  T15

Or ça, que l’on s’escrime! Un Sonnet! …. – quoi! Marquise, — 1851 (3)

Paul Deltuf Idylles antiques, élégies

Or ça, que l’on s’escrime! Un Sonnet! …. – quoi! Marquise,
Un sonnet? Qu’ai-je fait?, bon Dieu! Pour mériter
De voir ma pauvre muse à telles fins requise?
Savez-vous? … – Pensez-vous qu’on aime à répéter?

Votre docilité, monsieur …. – Vous est acquise
Plus que jamais, madame. – Ah! J’en pourrais douter …
– Voyons: vous le faut-il d’une tournure … – Exquise!
– La peste! – Un joli mot bien fait pour contester!

– Ah!, c’est trop de rigueur! Et cependant ….Victoire!
C’est divin, par le ciel! – Voyez de quelle gloire
Vous aurez, malgré vous, doté mon amitié!

– Amitié, dites-vous?  – C’est un mot pour un autre.
– Ma gloire est à vos pieds, – Nous préférons la nôtre.
– Mais la mienne, en ceci, vous revient de moitié.

Q8 – T15 – s sur s

Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, — 1851 (1)

Baudelaire in Le Messager de l’Assemblée

La mort des amants

Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l’envie leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux;

Et plus tard un Ange, entr’ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

Q8 – T14 – tara