Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Comme un torrent qui bat sa berge, — 1843 (22)

Ernest Prarond in Vers

Sonnet à Charles Baudelaire

Comme un torrent qui bat sa berge,
Le vent contre le ciel tonnait,
Et, sous le signe de la Vierge,
Tournoi de foudre se donnait.

L’éclair jouait de la flamberge,
La charge dans les airs sonnait,
Et sur une table d’auberge
Je vous écrivis ce sonnet.

Fier comme un bâtard des vieux reitres,
Un braconnier séchait ses guêtres,
Et fumait d’un air fanfaron !

Et tout, la fille comme l’hôte
Me rappelait presque sans faute
Le vieux style du vieux Scarron.

Q8  T15  octo

Je veux pour ma chérie — 1843 (21)

Théophile Gersant Première gerbe

Sonnet

Je veux pour ma chérie
Un diadème d’or,
De velours, de soîrie,
Pour cacher mon trésor.

Sur sa tête jolie,
Je veux un voile encor,
Qui serpente, et se plie
Autour de son beau corps …

Non, je ne veux de voile,
Qui cache mon étoile,
En lui cachant les yeux ;

Je ne veux de ces choses,
Qu’un sourire et des roses
Qui la pareront mieux.

Q8  T15  6syll.  La rime ‘encor/corps’ est incorrecte

Chaque fleur dit un mot du livre de nature: — 1843 (7)

(Balzac)

Quand il eut fini, le poème regarda son aristarque, Etienne Loustau contemplait les arbres de la pépinière.
– Eh! bien? lui dit Lucien.
– Eh! bien? mon cher, allez! Ne vous écouté-je pas? A Paris, écouter sans mot dire est un éloge.
– En avez-vous assez? dit Lucien?
– Continuez, répondit assez brusquement le journaliste.
Lucien lut le sonnet suivant …

TRENTIEME SONNET
Le camélia

Chaque fleur dit un mot du livre de nature:
La rose est à l’amour et fête la beauté,
La violette exhale une âme aimante et pure,
Et le lis resplendit de sa simplicité.

Mais le camélia, monstre de la culture,
Rose sans ambroisie et lis sans majesté,
Semble s’épanouir, aux saisons de froidure,
Pour les ennuis coquets de la virginité.

Cependant, au rebord des loges de théâtre,
J’aime à voir, évasant leurs pétales d’albâtre,
Couronne de pudeur, de blancs camélias

Parmi les cheveux noirs des belles jeunes femmes
Qui savent inspirer un amour pur aux âmes,
Comme les marbres grecs du sculpteur Phidias.

Q8 – T15

Du sonnet, moi j’ai la manie, — 1843 (3)

Gustave Levavasseur – in Vers

Sonnet

Du sonnet, moi j’ai la manie,
J’aime calembourgs et rébus,
J’aime la royauté bannie,
J’invoque Pégase et Phoebus.

Je dis au soir ma litanie,
Et mon feutre insulte Gibus;
Je compterais pour avanie
De m’encaisser en omnibus.

Que l’on me fronde ou qu’on me loue,
Devant notre siècle de boue,
Je me couvre d’un air hautain;

Et si j’étais moine ou bien prêtre,
Je sais ce que je voudrais être:
Abeilard ou l’abbé Cotin.

Q8 – T15 – octo – s sur s

Aux honneurs du poëme, ô toi qui veux prétendre, — 1843 (2)

MollevaultCinquante sonnets,

xlvi – Le Sonnet

Aux honneurs du poëme, ô toi qui veux prétendre,
Toi, tyran de ma verve, impérieux sonnet!
Qui, vanté par Boileau, daigne à peine m’entendre,
Au risque d’un cartel, je te veux parler net.

Lorsque que mon jeune coeur était facile et tendre,
Que l’heure du plaisir pour ma Muse sonnait,
J’allais, près de Vénus, sur le gazon m’étendre,
Et, sans peine, à ses pieds mon vers se façonnait.

Fatigué des travaux, quand du luth je m’escrime,
Mal avec les amours, et mal avec la rime,
Je les suis hors d’haleine, et ne les atteins pas.

Ah! quand l’arrêt du Temps vient tout nous interdire,
Il faut battre en retraite, et chaque jour se dire:
Adieu la rime riche et les riches appas.

Q8 – T15 – s sur s

Alors qu’avec bonheur votre verve s’exprime, — 1843 (1)

MollevaultCinquante sonnets, dédiés au cinquante membres titulaires et honoraires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

xiv – Le sonnet de mr Nodier, offrant huit rimes pareilles, contre la règle

Alors qu’avec bonheur votre verve s’exprime,
Malgré votre talent, je le dis sans façon,
Huit rimes, même soeurs, que je gronde et supprime,
Ont du docte Boileau négligé la leçon.

Si des chants les pensers seuls emportaient la prime,
Vous pourriez vous livrer à ce retour de son,
Et vous verriez le Pinde, où votre talent prime,
Fier de vous présenter son plus cher nourrisson.

Avec un saint respect la langue vous contemple,
Et l’éditeur qui veut lui consacrer un temple
Grave sur le fronton le chiffre de Nodier.

Moi qui n’ai point l’essor de vous ou de Racine,
Au sol des éditeurs je ne prends point racine,
Et mon arbre est, hélas un vrai baguenaudier.

Q8 – T15

Le printemps est venu. Le mois des giboulées — 1842 (21)

Emile de La Bedollière in Les français peints par eux-mêmes

Le printemps est venu. Le mois des giboulées
Cesse de détremper les flancs de nos côteaux,
Voici des jours de flamme et des nuits étoilées,
Un soleil radieux se mîre dans les eaux.

Et déjà l’amandier, sans craindre les gelées,
D’une blanche dentelle argente ses rameaux ;
L’on entend gazouiller sous les vertes feuillées
Un cœur harmonieux d’insectes et d’oiseaux.

N’est-ce pas ? Il est doux d’errer dans la contrée,
Qui s’égaie au soleil, de mille fleurs parée ;
Allons ensemble, ami ; viens, donne-moi la main.

Loin d’un monde brillant quand le bonheur s’exile,
Pour le suivre à la trace abandonnons la ville,
Et puissions- nous bientôt le trouver en chemin.

Q8 – T15

Il est vrai, cher ami, qu’à voir ton Italie, — 1842 (18)

Accurse Alix Poésies

A un italien

Il est vrai, cher ami, qu’à voir ton Italie,
On dirait que la mort a fermé ses beaux yeux,
Mais, comme Juliette, elle n’est qu’endormie,
Au milieu des tombeaux de ses nobles aïeux.

Son cœur bat, et parfois à l’oreille ravie
Sa bouche exhale encor un souffle harmonieux ;
Elle ne peut mourir, elle qui fut choisie
Pour hôtesse autrefois de la gloire des Dieux.

Il ne faut, pour rouvrir ses paupières divines,
Qu’un doux rayon du ciel tombé sur ses racines
Qu’un son de voix ami par l’écho répété.

Le cri d’un de ses fils que la vague ramène
Au rivage natal d’où le bannit la haine,
Rapportant son amour avec la liberté.

Q8  T15

J’avais sur le sommet d’une colline aimée, — 1842 (16)

Théodore Marquis de Foudras Chants pour tous

Souvenir du pays natal

J’avais sur le sommet d’une colline aimée,
Au milieu du jardin une blanche maison,
D’où l’oeil voyait d’abord une plaine animée,
Puis de riches côteaux, plus loin à l’horizon.

Là, riche de bonheur plus que de renommée,
J’ai passé tous les jours de ma jeune saison,
Là, ma famille était par les pauvres nommée,
Là, j’ai vu mes enfans jouer sur le gazon.

Là, j’avais trois tombeaux ! … dans l’un était ma mère ;
Dans l’autre, à ses côtés, reposait mon vieux père ;
Le troisième à mes vœux avait été promis.

Là, j’avais des amis bien reçus à toute heure …
Mais hélas ! à présent je n’ai plus la demeure !
Je n’ai plus les tombeaux ! ai-je encor les amis ?

Q8  T15

O forge qui fais peur au passant, à minuit, — 1842 (12)

André Van Hasselt Souvenirs de Liège

Dans une forge

O forge qui fais peur au passant, à minuit,
Quand regardant de loin ta forme flamboyante,
Il écoute mugir, sous ton toit qui bruit,
Des soufflets monstrueux la poitrine aboyante;

Dans ton antre de feu, plein d’éclairs et de bruit,
Tu mâches la montagne, ô fournaise géante,
Et la montagne fond, dans ta flamme qui luit,
Et sort en blocs de fer de ta gueule béante.

Le siècle où nous vivons est une forge aussi,
Que le penseur de loin contemple avec souci;
Et nous tous, ouvriers impatients et blêmes,

Les yeux sur la fournaise et penchés à l’entour,
Nous y voyons se tordre et fondre nos problèmes.
Mais sait-on quel métal en doit sortir un jour?

Q8 – T14 Van Hasselt, belge, travaille le sonnet industriel.