Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Pourquoi parler de demain, — 1842 (6)

Michel Carré Folles rimes et poésies

Sonnet

Pourquoi parler de demain,
Et de ce jour qui s’efface?
Dieu nous couvre de sa main:
Que sa volonté se fasse.

Voyez ce joyeux essaim
D’insectes bleus dans l’espace
Et ce rossignol qui passe
Sous les arbres du chemin:

C’est une nuit parfumée,
Nuit d’amour, ma bien-aimée.
Endormez-vous dans mes bras,

Votre lèvre sur la mienne;
Si la mort attend en bas,
Nous sommes prêts, – qu’elle vienne.

Q8 – T14 – 7s

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées, — 1842 (4)

Joseph Pétasse Fleurs des champs

Sonnet

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées,
Que la lune blanchit de ses douces lueurs.
J’aime l’aspect touchant de ces nuits étoilées
Où rayonnent au ciel les divines splendeurs.

J’aime des vents du soir les haleines mêlées,
Qui promènent dans l’air d’énivrantes splendeurs.
J’aime du rossignol les notes modulées,
Qui caressent  mon âme et font couler mes pleurs.

Lorsque je m’abandonne aux vagues rêveries,
Que réveillent en moi ces voluptés chéries,
Une extase subite emplit bientôt mon coeur.

Et mon coeur succombant à cette pure ivresse,
Pour exalter son dieu, ne trouve en sa détresse,
Ne trouve que ces mots: « Seigneur, Seigneur, Seigneur! …  »

Q8 – T15 – bi suite du ‘Bouquet inutile’

Ne regardons jamais de femme dans la rue; — 1842 (1)

Alfred Philibert Les étincelles

Sonnet

Ne regardons jamais de femme dans la rue;
La femme nous fait mal et fuit en nous frappant;
Son regard nous fascine et son souffle nous tue:
C’est l’oeil et le dard du serpent.

Ces rencontres souvent nous laissent l’âme émue;
On en sourit d’abord; plus tard on s’en repent.
Le démon a toujours quelque ruse inconnue;
Il ne nous perd qu’en nous trompant.

On rentre tout mouillé sans songer à la pluie;
On ouvre sur la table un livre commencé;
Mais au second feuillet le livre nous ennuie.

On chante; on se promène; on se couche lassé;
On se tourne en rêvant vers une image enfuie.
Le beau soir que l’on a passé!

Q8 – T20 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Les vers courts marquent les quatrains et le dernier vers.

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! » — 1841 (14)

Michel Florestan in Les écrivains de la mansarde

Sonnet

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! »
Et qui, nous voyant seuls, sur les bords du chemin,
Comme des passereaux blottis contre l’orage,
Nous avez appelés en nous tendant la main ;

O vous ! qui n’avez pas détourné le visage
Afin de ne pas voir, et cruels à dessein,
Sur des pauvres enfants jeté comme un outrage
La froide raillerie et l’orgueilleux dédain ;

Merci de cet amour, frères, qui nous console,
Et nous rend l’espérance … Une douce parole,
Un serrement de main calme bien des douleurs !

Mais pour comprendre ainsi nos regrets et nos pleurs,
Vos yeux ont dû verser des larmes bien amères !
Car les larmes sont sœurs ainsi que les misères.

Q8  T15

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant, — 1841 (9)

Frédéric Durand fils, épicier La Muse occitanique

Le Troubadour

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant,
Murmurait mollement dans la verte aubépine,
Les oiseaux se taisaient dans les buissons du champ,
Et les échos dormaient au fond de la colline.

Il chantait, les oiseaux oubliant leur penchant
Suspendaient le courant de leur onde argentine,
Et le jour indécis, aux bornes du couchant,
Trompait au rendez-vous l’amoureuse Delphine.

Et tout à coup du ciel la foudre s’abaissa,
Le chant finit ! bientôt quand l’amante passa,
Un luth ensanglanté frappa soudain sa vue.

Elle pleura log-temps ! depuis ce triste jour,
On entend là gémir quand la nuit est venue
Dans les cordes du luth l’âme du troubadour.

Q8  T14  rime incorrecte (vers 1 & 3)

Quoi ! tu veux, mon ami, déjà quitter la vie ? — 1840 (15)

Antony Duvivier in L’art en province

A un jeune homme

Quoi ! tu veux, mon ami, déjà quitter la vie ?
Qui donc a pu sitôt désenchanter ton cœur ?
De tes illusions la fleur serait flétrie,
Et tu ne croirais plus à ton âge, au bonheur ?

Non ! tu penses à tort la jeunesse ternie ;
Sur ton front de vingt ans le souffle du maheur
N’a point encor passé. Dans la mélancolie
Tu plonges trop avant, tu trouves la douleur.

Mais pourquoi donc ainsi t’abreuver d’amertume ?
Du monde où nous vivons le mal n’est que l’écume ;
Et si le mal abonde, il est vite effacé.

Laisse tes noirs pensers ! Le chagin, à ton âge,
Est un torrent d’été grossi par un orage.
Le flot rentre en son lit, quand l’orage est passé.

Q8  T15

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir ! — 1840 (10)

Céphas Rossignol Dieu et famille

Sonnet

Oui, laissez-moi toujours à vos côtés venir !
Il est si bon de vivre et d’aimer à notre âge :
Et puis, nous avons tant de choses à bénir
Avant que notre vie ait perdu son ombrage !

Loin de vous je ne sais que faire et devenir :
Je vais à droite – à gauche – et n’ai pas de courage ;
Je porte en moi, partout, votre doux souvenir,
Et les heures sans vous me semblent un outrage !

Mais, quand vous m’appelez près de vous, quand vos yeux,
Comme un rayon mouillé qui nous tombe des cieux,
S‘arrêtent, tout d’abord, sur mon front, pour y lire.

Oh ! je me sens renaître alors, et je n’ai plus
Qu’une joie infinie en l’âme, et les Elus
Ont bien moins que mon cœur des cordes à leur lyre !

Q8  T15

Si mon cœur, tourmenté des vents et de l’orage, — 1840 (9)

Jean-Pierre Veyrat La coupe de l’exil

Sonnet

Si mon cœur, tourmenté des vents et de l’orage,
S’apaise doucement dans un rêve d’amour ;
Si brisé par les flots je retrouve au rivage
Les biens que j’avais crus échappés sans retour ;

Si comme une hirondelle après un long voyage
L’espérance revient habiter mon séjour ;
Si l’étoile qui brille au-dessus du nuage,
Phare aux divins rayons, à mon ciel luit toujour ;

Je le dois à tes soins, ô fille bien-aimée !
Ma lèvre a bu l’oubli dans ta coupe embaumée,
Et ta voix a charmé la tempête et la mort.

Pour sécher mes cheveux inondés par la lame,
Et rallumer mes yeux à tes baisers de flamme,
Ange consolateur, tu m’attendais au port !

Q8  T15  – pour que le vers 8 rime classiquement, le poète écrit ‘toujour’

Amis, à nous la lyre à défaut de l’épée! — 1840 (1)

– comte Ferdinand de GramontSonnets

Ferdinand de Gramont est félicité par Gautier pour avoir choisi (abondamment, en presque 200 exemples) « cette forme si artistement construite, d’un rythme si justement balancé et d’une pureté qui n’admet aucune tache »

Proemium

Amis, à nous la lyre à défaut de l’épée!
Les gaulois sont vainqueurs; de la race des Francs
Nos pères auront clos la royale épopée;
Leurs noms de leurs destins cessent d’être garants.

Puisqu’échappe l’empire à notre main trompée,
Retournons vers les Dieux, laissons, indifférents,
Peser aux révoltés leur puissance usurpée;
Notre gloire à jamais nous chasse de leurs rangs;

Partons donc! et tandis qu’acharnés à la terre
Ils fouilleront ses flancs pour y fonder leur ère,
Le ciel abritera nos malheurs expiés.

Et nous vous atteindrons, couronnes immortelles!
Et nous humilierons, sous l’ombre de nos ailes,
Ces trônes autrefois l’escabeau de nos pieds!

Q8 – T15