Archives de catégorie : Q08 – abab abab

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice, — 1944 (10)

Robert Mélot du Dy Rimes des rhétoriqueurs

Chaîne d’amour

A quoi, mon cher amour, servirait l’exercice,
Si ce n’est à former de beaux corps amoureux?
Regarde ces danseurs, ivres de leurs délices:
Lis ce sonnet dansant que j’invente pour eux.

Heureux, l’amant bien fait, qu’en secret il jouisse
Ou hisse l’étendard de son cœur valeureux;
Heureux que la beauté deux fois les éblouisse,
Oui! ces corps deux fois beaux sont doublement heureux.

Regarde encor: voici qu’on accouple avec rimes,
Crimes délicieux du langage, les mots,
Modulant la musique amoureuse des mimes:

Imminent, le baiser sur les lèvres éclos
(L’eau m’en vient à la bouche) unira leurs tendresses …
Dresse-toi, mon sonnet, libre de maladresses!

Q8 – T23   s sur s

Exercice de ‘rime annexée’ (ACh): la fin de vers est reprise au début du vers suivant: exercice / Si cepour eux / heureux

Je vis chaste dans le bosquet de mon roman, — 1944 (8)

Henri Thomas Signe de vie

La vie ensemble

Je vis chaste dans le bosquet de mon roman,
la plus grande aventure est de ne pas bouger,
l’hostie de glace sur la langue qui ne ment
fond, vivante fraîcheur, ruisseau de mots légers.

User les jours … mais le massif est transparent!
l’œil immobile voit le domaine étranger,
les gisements d’horreur, le plaisir fulgurant,
les êtres endormis dans l’immense rocher

qui pèse et cependant vole comme un nuage,
muet, mais rayonnant des éclairs du langage,
insensible, et docile aux raisons de la terre,

il tombe feuille morte et renaît feuille verte,
on le blesse, mais c’est le jour qui nous éclaire,
on le tue, et sa joie nous est toujours offerte.

Q8 – T14

Le chat lutte avec une abeille — 1944 (7)

Henri Thomas Signe de vie

Sonnet du chat

Le chat lutte avec une abeille
autour de sa fourrure,
je vois l’azur et ses merveilles,
un arbre, une mâture,

la mer apporte à mon oreille
le bruit des aventures
que nous vivrons si tu t’éveilles,
témérité future.

Je me consacre aux vertes îles,
favorables au sage
qui sait trouver un dieu tranquille

entre palme et rivage.
Le chat s’en va, brillant et beau,
pour guetter les oiseaux.

Q8 – T23 -2m : octo; 6s: v.2, v.4, v.6, v.8, v10, v.12, v.14

La plaie que depuis le temps des cerises, — 1944 (5)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

XXIII

La plaie que depuis le temps des cerises,
je garde en mon cœur s’ouvre chaque jour.
En vain les lilas, le soleil, les brises,
viennent caresser les murs des faubourgs.

Pays des toits bleus et des chansons grises,
qui saigne sans cesse en robe d’amour,
explique pourquoi ma vie s’est éprise
du sanglot rouillé de tes vieilles cours.

Aux fées rencontrées le long du chemin
je vais racontant Fantine et Cosette.
L’arbre de l’école, à son tour, répète

Une belle histoire où l’on dit: demain…
Ah! jaillisse enfin le matin de fête
où sur les fusils s’abattront les poings!

Q8 – T28  tara

Je suis comme le riche, à qui sa clef suffit — 1943 (3)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

52

Je suis comme le riche, à qui sa clef suffit
Pour jouir des trésors d’un cher coffre d’avare:
Il ne veut pas les voir à tout coup, jour et nuit,
De peur que ne s’émousse une volupté rare.

Les fêtes sont aussi des raretés qu’on mit
De place en place dans un Almanach bizarre
Comme pierres de choix en montures de prix,
Ou joyaux isolés dont un collier se pare.

Le Temps est le coffret qui vous tient enfermé,
L’armoire où sagement se peut céler la robe,
Pour qu’au moment voulu l’éclat qui se dérobe
Puisse avoir l’imprévu de l’inaccoutumé.

Béni soyez, Valeur qui m’offrez double chance,
Etre vôtre – un triomphe; attendre – l’espérance!

Q8 – T30 – disp: 4+4+4+2 -tr

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine — 1940 (2)

Olivier LarrondeL’ivraie en ordre (ed. 2002)


Juvenilia

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine
J’ai des mains plein ma poche et je les distribue.
Ta mèche de fer m’égratigne, j’aurais peine
A rhabiller de soie la mamelle où j’ai bu.

Il faudrait tout vous dire, oublier qui vous mène
Et si des mains coupées vous ont les bras tenus.
Un pirate déguise une peau de panthère
Ce pelage d’infante un autre dissimule.

Tes pieds gelés déforment  mon image, bouge,
Enlève ton sourire: il me coupe la bouche.
La bouteille vidée tend sa lèvre à la mer.

Une étoile vous brûle et vous perdez la tête
L’étoile qui vous brûle est une cigarette
(Vous devez regarder mon sonnet de travers).

Q8 – T15 – disp: 8+3+3

Capter dans l’univers des invisibles ondes — 1936 (5)

Igor Astrov Sonnets

L’artiste

Capter dans l’univers des invisibles ondes
Pouvant faire frémir notre être tout entier,
Lancer jusqu’au tréfonds de l’abîme une sonde,
Suivre jusqu’à l’abîme un abrupte sentier;

En lenteur imiter l’auteur de la Joconde,
En perfectionnant constamment son métier,
Apprendre à marier une étude féconde
Et l’intuition d’un art primesautier .

– C’est la vocation d’artiste véritable.
A l’heure où le destin sans pitié m’accable
Mon âme se raidit puissante comme un câble

Capable de lier les Deux Mondes entre eux,
Pour transmettre ici-bas des sons mystérieux:
Musique intérieure et parole ineffable.

Q8 – T4

Choses, que coule en vous la sueur ou la sève, — 1933 (2)

Jacques Lacan (in Le Phare de Neuilly)

Hiatus irrationalis

Choses, que coule en vous la sueur ou la sève,
Formes, que vous naissiez de la forge ou du sang,
Votre torrent n’est pas plus dense que mon rêve;
Et, si je ne vous bats d’un désir incessant,

Je traverse votre eau, je tombe vers la grève
Où m’attire le poids de mon démon pensant.
Seul, il heurte au sol dur sur quoi l’être s’élève,
Au mal aveugle et sourd, au dieu privé de sens.

Mais, sitôt que tout verbe a péri dans ma gorge,
Choses, que vous naissiez du sang ou de la forge,
Nature, – je me perds au flux d’un élément:

Celui qui couve en moi, le même vous soulève,
Formes, que coule en vous la sueur ou la sève,
C’est le feu qui me fait votre immortel amant.
H.P. août 29

Q8 – T15

Oh! quand sous la nécrose —1931 (5)

Charles-Adolphe Cantacuzène L’au-delà de l’en-deçà

Sonnet

Oh! quand sous la nécrose
L’homme, encor plus vivant,
Souffre et se décompose
Et meurt énormément!

Mais le saint, cette rose,
En son embaumement,
Il ne se décompose;
Mais mort, il souffre tant!

Il souffre, le saint tendre,
De ne pouvoir attendre
Décomposition.

Les rayons de la grâce
Brûlent sur la surface
Du cadavre, glaçon.

Q8 – T15 – 6s

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère — 1930 (1)

Léon VeraneLe livre des passe-temps

Aveu

Ce siècle est sans foi et je ne crois guère
Au banquet promis prendre un jour ma part
Levant, à la fois, la lyre et le verre,
Parmi les élus auprès de Ronsard.

Errant de demain comme de naguère,
C’est assez, pour moi que le boulevard
Mène entre les haies de ses réverbères
Vers un tabouret au comptoir d’un bar.

Je n’appelle pas le Règne et le Trône,
Et tout couvre-chef m’est une couronne,
Satisfait d’avoir au fil des mes jours,

Bu d’un même cœur le vin et l’absinthe,
Et d’avoir conçu d’obscures amours,
Au long des trottoirs pour des filles peintes.

Q8 – T14 – tara