Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Logos, éons et séfirots; — 1927 (4)

Charles-Adolphe Cantacuzène Identités versicolores

Sonnet
à J.B

Logos, éons et séfirots;
Alexandrins, Gnose et Cabale;
Triangles et pouvoirs des mots;
Souffle d’évocation pâle.

L’Ether d’éternité, les flots,
Le feu, la terre sidérale;
Et vous, reflets dans les cristaux,
Lumière, immortalité mâle.

Tout cela nous n’en parlions pas
Du temps que nous croisions nos pas,
Chez toi, cher, ou dans les ruelles.

Et cependant le Pimander,
La Baghavat-Gita, Dieu! Quelles
Perles sur le Boulevard Vert.

Q8 – T14 – octo

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table, — 1927 (1)

J.P. Samson Emploi du temps

Bacchante
sonnet dans le goût de Laurent Tailhade

De sa gueule ébréchée éclaboussant la table,
Elle a, sous le chaud d’une plume à trois francs,
L’œil en éclipse et le sourire contestable
D’une qu’un trop long jeûne expose au mal d’enfants.

Plus votive que, peint sur quelque vieux rétable,
Un évêque, le jus du ciboire extirpant,
Elle sirote, aux frais de son mec lamentable,
Du cidre sans alcool le jus déconstipant.

Le restaurant végétarien résonne aux cris
De sa gorge que racle un ressaut de prurit
Guère orgiaque, hélas! … c’est la bombe pas chère;

Et lorsqu’on bouclera le sinistre local,
Ils éliront, debout aux échos d’un choral
Salutiste, pour ça, une porte cochère.

Q8 – T15

A la poste d’hier tu télégraphieras — 1926 (4)

Robert DesnosC’est les bottes de 7 lieues cette phrase ‘Je me vois’


Les gorges froides
A Simone

A la poste d’hier tu télégraphieras
que nous sommes bien morts avec les hirondelles
Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t-en porter ma lettre aux fleurs à tire d’elle.

La boussole est en os mon cœur tu t’y fieras.
Quelque tibia marque le pôle et les marelles
pour amputés ont un sinistre aspect d’opéras.
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles!

C’est ce soir que je meurs, ma chère Tombe-Issoire,
ton regard le plus beau ne fut qu’un accessoire
de la machinerie étrange du bonjour.

Adieu! je vous aimai sans scrupule et sans ruse,
ma Folie-Méricourt, ma silencieuse intruse.
Boussole à flèche torse annonce le retour.

Q8 – T15

..Mais, ni la pêche cressonière — 1924 (4)

Jean Tardieu in Margeries


Mots refoulés

..Mais, ni la pêche cressonière
D’un adjectif dormeur et lourd,
Ou bien d’un verbe de rivière
Qui, brusque, entre les algues, court,

Ni cette patience entière
De sertir un mot d’un discours
Comme s’il était de matière
Plus précieuse que l’entour,

Ne ternit mon amour du monde!
Je connais l’animal plaisir
De refouler sans les saisir

Mes mots – et, les yeux entr’ouverts
L’âme pendue à la seconde
D’accueillir absent l’univers.

Q8 – T34 – octo

Toi qui pâlis au nom de Vancouver, — 1924 (2)

Marcel Thiry Toi qui pâlis au nom de Vancouver

Toi qui pâlis au nom de Vancouver,
Tu n’as pourtant fait qu’un banal voyage;
Tu n’as pas vu les grands perroquets verts,
Les fleuves indigos ni les sauvages.

Tu t’embarquas à bord de maints steamers
Dont par malheur aucun ne fit naufrage
Sans grand éclat tu servis sous Stürmer,
Pour déserter tu fus toujours trop sage.

Mais il suffit à ton orgueil chagrin
D’avoir été ce soldat pérégrin
Sur le trottoir des villes inconnues,

Et juste, un soir, dans ce bar de Broadway,
D’avoir aimé les grâces Greenaway
D’une Allemande aux mains savamment nues.

Q8 – T14 – déca – Le vers 4 est césuré en position 6.

Père ! protégé de silence ! — 1923 (10)

Mélot du Dy in Le Disque vert

Sonnet pour M. Max Jacob

Père ! protégé de silence !
Méchant ! des grâces visité !
C’est bien le diable, c’est bien l’ange,
Si je n’entends la vérité.

Or, je vous nomme, et sur la langue,
C’est un goût d’immortalité :
Monsieur, votre œuvre est excellente
(Les gentils vous ont imité).

Honneur au poète célèbre !
Mais gloire au poète céleste,
L’heureux démon que Dieu défend !

Et l’ange murmure en cachette :
Monsieur Jacob, voyez l’échelle,
Voyez tous vos petits enfants …

Q8  T15  octo

Dans le xyste où rêvait sa jeunesse immortelle, — 1922 (7)

Marguerite Yourcenar in Les dieux ne  sont pas morts

L’Apparition

Dans le xyste où rêvait sa jeunesse immortelle,
L’éphèbe Antinoos aux jardins de Tibur
Vit, parmi les débris détachés de sa stèle,
Les ronces l’envahir sous l’impassible azur.

À l’heure où les ramiers, d’un lourd battement d’aile,
Font trembler l’ombre claire aux blancheurs du vieux mur,
Seul, le tiède baiser de la clarté fidèle
Consolait la Statue au geste calme et pur.

Les siècles ont détruit cette image mystique
Et terni la candeur du marbre éblouissant.
Qu’importe… Je revois le bel Adolescent :

Il monte avec lenteur les degrés du portique,
Et, posant ses pieds nus sur le sable vermeil,
Revit pour un instant et s’étire au soleil…

Q8 – T30

Madame, de ce jour vous souvient-il encore — 1921 (18)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet serpentin

Madame, de ce jour vous souvient-il encore
Qui s’écoula pour moi si rapide et si doux,
Où, de l’aurore au soir et du soir à l’aurore,
Je ne fis que vous voir ou que penser à vous ?

Un bon feu pétillant dans le foyer sonore,
Dehors un temps de chiens orné d’un froid de loups,
Et moi les yeux fixés sur deux yeux que j’adore,
Sans fâcheux importuns et sans témoins jaloux ;

Et puis le soir, plein de mystère et de silence,
De vos lèvres faisant tomber la confidence,
Et tout bas dans mon cœur balbutier l’amour ;

Puis la nuit m’endormant sous le toit où vous êtes,
Pleine pour moi de trouble et d’angoisses secrètes…
Vous souvient-il encor, Madame, de ce jour ?

Q8 – T15  ‘sonnet serpentin’ : le dernier vers reprend plus ou moins le premier

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon — 1921 (4)

Alfred Jarry in Le Disque vert

Le Bain du Roi

Rampant d’argent sur champ de sinople, dragon
Fleurie, au soleil la Vistule se boursoufle.
Or le roi de Pologne, ancien roi d’Aragon
Se hâte vers son bain, très nu, puissant maroufle.

Les pairs étaient douzain: il est sans parangon.
Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle;
Pour chacun de ses pas son orgueil patagon
Lui taille au creux du sable une creuse pantoufle.

Et couvert de son ventre ainsi que d’un écu
Il va. La redondance illustre de son cul
Affirme insuffisant le caleçon vulgaire

Où sont portraiturés en or, au naturel,
Par derrière, un Peau-Rouge au sentier de la guerre
Sur un cheval, et par devant, le tour Eiffel.

Q8 – T14

Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume — 1921 (2)

Roger VitracLe faune noir – in Des-lyre (ed.1964)


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Ferrée à rouge te voilà devant l’enclume
Bouche au collier de larmes Forgeron
Que l’ombre de ton bras lève la femme plume
Et que ton bras lui plante une harpe en plein front

Et qu’elle chante avec l’écharpe de bitume
Hyperbole des cils, gril où nous rôtirons
Sous l’arbre ensanglanté dont elle se parfume
Et nos poumons légers sont là pour le clairon

Ah nature insensible à l’étincelle mâle
Fille du vin Elle est jolie au bord de l’eau
A ses dents tu peux voir si son squelette est pâle

Mais si tu veux passer par les coups de marteau
D’un poing fêlé comme le cœur de l’étrangère
Frappe Le Forgeron est bien en chair ma chère

Q8 – T23