Archives de catégorie : Q11 – abab baba

Les chiens perdus ont des fourrières ; — 1889 (12)

– Jules Jouy in Le Paris (d’après Patrick Biau, J.J. le ‘poète chourineur’)

Philosophe

Les chiens perdus ont des fourrières ;
Les cygn’ des boit’s sur leurs bassins ;
Les rodeurs de nuit, des carrières,
L’bagn’ sert d’hôtel aux assassins.

La nuit, au poste, les roussins
Ont d’quoi s’coucher sur leurs derrières ;
Les architect’s, pour un tas d’saints,
Ont creusé des nich’s, dans des pierres.

Eh bien, moi, pauvr’ vieux ouvrier,
Parc’ qu’on n’veut plus m’faire travailler,
J’peux mêm’ pas ronfler comm’ Gavroche !

Bah ! j’m’en fich’ d’avoir pas d’foyer ;
Car, si j’ai pas l’sou dans ma poche,
Au moins j’ai pas d’terme à payer.

Q11  T14 – octo Les vers sont comptés ‘oralement’ ce qui fait ‘peuple’. Mais Mr Jouy ne se permet pas de rimer un singulier avec un pluriel, ce qui est bien savant.

Les fillettes sont bien grandies — 1888 (16)

Charles CrosLe Collier de griffes

Almanach

Les fillettes sont bien grandies
Qu’on faisait sauter dans ses mains!
Que de cendres sont refroidies!
Voici refleuris les jasmins.

Il est un charme aux lendemains,
Un bercement aux maladies.
Les roses perdent leurs carmins
Mais restent de nobles ladies.

Sans être ni riche ni fort
On attend doucement la mort
En contemplant le ciel plein d’astres.

Mais il vient des mots étouffants:
On laissera les chers enfants
Livrés à de vastes désastres.

Q11 – T15 – octo

Dune — 1880 (5)

Narzale Jobert Klimax. Sonnets gradués ou essai de rythmes

« Enthousiaste de ce petit poëme qu’ont immortalisé Pétrarque et Ronsard, de notre cher sonnet – microcosme souvent comparable aux plus grands soleils, étoile aujourd’hui radieuse après une longue éclipse – », Narzale Jobert, explique la préface, a essayé de nombreux mètres, aux césures variables.

I
Départ pour l’exil

Dune
Luit …
Lune
Fuit.

Suit
Une
Nuit
Brune.

Quel
Gel!
Trêve

Au
Beau
Rêve.

Q11 – T15 – mono

Tout s’en va, mes amis: la foi, l’antique foi, — 1873 (6)

Joseph Autran Sonnets capricieux

La vieille orthographe

Tout s’en va, mes amis: la foi, l’antique foi,
L’honnêteté première et la vieille droiture,
L’amour et le respect que l’on vouait au roi,
Le menuet, la valse et même l’écriture.

L’orthographe, jadis, valait une peinture:
Représenter aux yeux, telle en était la Loi.
Une lettre peignant l’objet d’après nature,
L’objet, ami lecteur, se dressait devant toi.

L’y dans le mot lys en doublait le prestige;
C’est la fleur elle-même et le bout de sa tige.
L’h dans le mot thrône était un vrai fauteuil.

Depuis qu’on écrit lis la fleur semble fanée;
Et le trône vacant ne dit plus rien à l’oeil,
Depuis que l’h est condamnée!

Q11 – T14 – 2m (v.14: octo ) Joseph Autran contribue à la ‘querelle de l’orthographe’, qui ne date pas d’hier.

(a.ch) Le sonnet La Vieille Orthographe pour l’exemple du lis évoque le long poème du même titre, de Méry :
« …Tandis que d’une tige et d’une fleur formé,
Le lys était pour nous un y embaumé. »

(C’est un avatar du cratylisme.)

Si nous étions morts quand nous étions mômes — 1872 (25)

Album zutique

Nouveau

Sonnet
(dors-tu content, Voltaire)

Si nous étions morts quand nous étions mômes
Dites-moi, serions-nous plus malheureux?
A quoi donc nous sert de devenir hommes
Si c’est pour souffrir des maux plus nombreux!

Les petits plaisirs laissent désireux,
Tous nos petits sens ne font pas des sommes
Et c’est pour un X encor plus affreux
Qu’il nous faut quitter le monde où nous sommes.

Et nous avons beau nous mettre à genoux
Et beau t’implorer, tu ne tends vers nous
Jamais tes deux mains, Sainte Providence!

– C’est pourquoi, crois-moi, pauvre genre humain,
Chante et ris, sans trop croire au lendemain;
Va, saute, Arlequin; danse, Pierrot, danse!

Q11 – T15 – tara

Al. Godillot, Gambier, — 1872 (20)

Album zutique

Rimbaud

conneries

II

Paris

Al. Godillot, Gambier,
Galopeau, Volf-Pleyel,
– O Robinets! – Ménier,
– O Christs! – Leperdriel!

Kinck, Jacob, Bonbonnel!
Veuillot, Tropmann, Augier!
Gill, Mendès, Manuel,
Guido Gonin! – Panier

Des Grâces! L’Hérissé!
Cirages onctueux!
Pains vieux, spiritueux!

Aveugles! – puis, qui sait?
Sergents de ville, Enghiens
Chez soi! – Soyons chrétiens!

Q11 – T30 – 6s

Les chênes ont gardé le vieil alignement; — 1868 (14)

coll. sonnets et eaux-fortes

Ernest d’Hervilly

La Rookery

Les chênes ont gardé le vieil alignement;
L’avenue est immense où le vent de mer sonne,
Héraut sombre, à plein cor, et, dans l’alignement
On voit les ais disjoints d’une porte saxonne.

Aux rameaux de chaque arbre écimé, qui frissonne
Et paillette le sol de feuilles, par moment,
Se balancent les nids énormes, que façonne,
Pour cent ans, le corbeau fidèle, gravement.

La noble Rookery, sur le ciel d’un gris tendre,
Découpe encor ses nids par milliers, mais dans l’air
De gais croassements ne se font plus entendre,

Et le Lord est couché, que vous rendiez si fier,
Sous un marbre déjà rongé par la bruine,
O grands nids désertés! O portail en ruine!

Q11 – T23

Charmants buveurs trinquant sous un orme, comblés — 1867 (3)

– in Charles Monselet Le Triple almanach gourmand pour 1867-8

Effets du vin de Romanée

Une estampe naïve et trop enluminée
Représente deux beaux de l’Empire attablés,
Sablant – comme ils disaient, – du vin de Romanée.
L’air fait dans le lointain onduler l’or des blés.

Charmants buveurs trinquant sous un orme, comblés
De tous les biens, humant et dégustant l’année
Des vins de Romanée – artistement sablés;
Habit bleu – la couleur du ciel de la journée,

Culotte beurre frais, cheveux à la Titus,
Teint clair comme le temps, dents blanches, tout engendre
La gaieté, que je classe au nombre des vertus.

Quand ce vin coule à flots, je pense les entendre,
Ces deux amis buvant, en plein air – je les vois
Réfléchis dans le vin, – et, ma foi, je les bois.

Fernand Desnoyers

Q11 – T23

Constantinople, adieu ! triste et beau souvenir, — 1842 (15)

Eugène Villemin Herbier poétique

La boule de neige

Constantinople, adieu ! triste et beau souvenir,
Aux yeux du voyageur mystérieux constraste :
Ebauche gigantesque où tout reste à finir,
Abject avec grandeur, misérable avec faste !

Adieu décor magique où l’âme enthousiaste
De loin goûte un transpport qu’on ne peut définir,
De près, égoût sordide, où plus d’un jour néfaste
Devrait de ma pensée à jamais te bannir.

Telle la viorne en fleur par ses globes de neige
De loin séduit la vue, et de près – le dirai-je
N’est que stérilité sans grâce et sans odeur …

Mais la nef qui m’emporte, ô cité fantastique,
Ne me laisse plus voir que ton front magnifique,
Et mon dernier adieu sera pour ta splendeur.

Q11  T15

Ami des malheureux, que le grand jour opprime, — 1842 (3)

Jules Le Fèvre-Deumier Oeuvres d’un  désoeuvré

L’énigme du secret

Ressemelage d’un vieux sonnet de Gombaud

Ami des malheureux, que le grand jour opprime,
Le silence et la nuit me rendent seuls parfait:
On m’accuse parfois de protéger le crime,
Et j’ôte, en m’éclairant, de l’éclat au bienfait.

Complice nuageux de leur plus doux méfait,
Les femmes n’ont pour moi qu’une assez mince estime.
Plus d’une cependant, quand mon poids l’étouffait,
N’a sauvé, que par moi, son honneur de l’abîme.

On prétend que je suis difficile à trouver:
Je le suis plus encor peut-être à conserver;
Mon nom, comme mon sort, me défend de paraître.

Les curieux me font à tout propos la cour;
Les fous! C’est me tuer, que vouloir me connaître:
Loin de vivre, je meurs, dès que je vois le jour.

Q11 – T14