Archives de catégorie : Q14 – abba abab

C’est le Milieu, la Fin et le Commencement, — 1867 (2)

Coll.Le Parnassiculet contemporain

Panthéisme

C’est le Milieu, la Fin et le Commencement,
Trois et pourtant Zéro, Néant et pourtant Nombre,
Obscur puisqu’il est clair et clair puisqu’il est sombre,
C’est Lui, la Certitude et Lui l’Effarement!

Il nous dit Oui toujours, puis toujours se dément.
Oh! qui dévoilera quel fil de Lune et d’Ombre
Unit la grange noire et le bleu firmament,
Et tout ce qui va naître avec tout ce qui sombre?

Car Tout est tout! Là-haut, dans l’Océan du Ciel,
Nagent parmi les flots d’or rouge et les désastres
Ces poissons phosphoreux que l’on nomme des Astres,

Pendant que dans le Ciel de la Mer, plus réel,
Plus palpable, ô Proteus, mais plus couvert de voiles,
Le vague Zoophyte a des formes d’étoiles.

Q14 – T30 – plusieurs auteurs parmi lesquels Paul Arène et Alphonse Daudet. Sur la garde de l’exemplaire offert par Paul Arène, à Charles Monselet : 
« Cette parodie du Parnasse contemporain fut imaginée et composée en commun par la colonie dite de Clamart, alors que nous y demeurions, Alphonse Daudet, Jean du Boys, Charles Bataille et moi .. »

Un dimanche d’avril, dans les grands bois de Sèvres, — 1866 (12)

Henri Renard Péchés de jeunesse

Sonnet

Un dimanche d’avril, dans les grands bois de Sèvres,
Il la mena, joyeux, au devant du printemps;
Les feuilles bruissaient, dans les airs éclatants
Flottaient l’âcre parfum du thym, aimé des lièvres;

L’arbre était plein de sève et leurs coeurs pleins de fièvres.
Ils allaient côte à côte, émus et palpitants;
Parfois ils s’arrêtaient, tout pensifs, et leurs lèvres
Pour murmurer: amour! s’ouvraient en même temps.

Traître avril! que de coeurs sont pris à son amorce!
– Le couple s’enfonça dans l’ombre et, sur l’écorce
D’un platane, grava ses chiffres enlacés! …

Six mois après, l’amant revint seul, âme veuve!
Mais rien ne parlait plus de ses bonheurs passés:
Comme le coeur d’Anna, l’arbre avait fait peau neuve!

Q14 – T14

Zéphire qui revient ramène le printemps, — 1848 (6)

Gustave Garrison Les voix du matin

Imité de Pétrarque

Zéphire qui revient ramène le printemps,
Les herbes et les fleurs, sa riante famille,
L’amour, nouveau soleil qui féconde et qui brille,
Rajeunit l’air, la terre, et tous ses habitants.

Le flots sous les glaçons enchaîné trop longtemps
A travers les cailloux joyeusement babille,
Dieu soulève du ciel les voiles éclatants

Comme pour admirer la nature sa fille.
Moi seul, je ne sens pas le printemps dans mon cœur,
Un éternel hiver y poursuit ses ravages :

Laure, en fuyant au ciel, ma pris tout mon bonheur.
Le sol, plein de parfums, et de chants, et d’ombrages,
Où la vierge au front pur brille comme une fleur,
Est un désert pour moi plein de monstres sauvages.

Q14  T20  . (Pétrarque rvf CCCX : Zefiro torna)

Reine au manteau d’azur, dont l’époux est un Dieu, — 1844 (3)

Jules Pichon Les cyprès de l’Iran

La Vierge Marie

Reine au manteau d’azur, dont l’époux est un Dieu,
Ton nom est rayonnant de mystères étranges,
Ton front est plus brillant que tous les fronts des anges,
Il exhale un parfum qui charme chaque lieu.

Tel qu’un astre qui luit sous le firmament bleu,
Tu passes parmi nous sans toucher à nos fanges,
Ton cœur, trône immortel de vertus sans mélanges
Passa par le malheur comme l’or par le feu.

Avec un doux souris, glissant sur son visage,
La mère à son enfant montre ta chaste image
Et le petit Jésus que tu nourris de miel.

Pendant que sur ton sein ton divin fils repose,
Elle effeuille sur toi sa couronne de rose
Et s’enivre à tes pieds des voluptés du ciel.

Q15  T15

Quand vous aurez prouvé, messieurs du journalisme : — 1835 (8)

Alfred de Musset in Oeuvres poétiques (ed. Pléiade)

Aux critiques du Chatterton d’Alfred de Vigny, II

Quand vous aurez prouvé, messieurs du journalisme :
Que Chatterton eut tort de mourir ignoré,
Qu’au Théâtre-Français on l’a défiguré,
Quand vous aurez crié sept fois à l’athéisme,

Sept fois au contresens et sept fois au sophisme,
Vous n’aurez pas prouvé que je n’ai pas pleuré.
Et si mes pleurs ont tort devant le pédantisme,
Savez-vous, moucherons, ce que je vous dirai ?

Je vous dirai : « Sachez que les larmes humaines
Ressemblent en grandeur aux flots de l’Océan ;
On n’en fait rien de bon en les analysant ;

Quand vous en puiseriez deux tonnes toutes pleines,
En les faisant sécher, vous n’en aurez demain
Qu’un méchant grain de sel dans le creux de la main ».

Q14  T30

Je vais seul et pensif, des champs les plus déserts, — 1811 (2)

P.L Ginguené Histoire littéraire de l’Italie, tome II…

Solo e pensoso

Je vais seul et pensif, des champs les plus déserts,
A pas tardifs et lents, mesurant l’étendue,
Prêt à fuir, sur le sable aussitôt qu’à ma vue
De vestiges humains quelques traits sont offerts.

Je n’ai que cet abri pour y cacher mes fers,
Pour brûler d’une flamme aux mortels inconnue:
On lit trop dans mes yeux, de tristesse couverts,
Quelle est en moi l’ardeur de ce feu qui me tue.

Ainsi, tandis que l’onde et les sombres forêts,
Et la plaine, et les monts, savent quelle est ma peine,
Je dérobe ma vie aux regards indiscrets;

Mais je ne puis trouver de route si lointaine
Où l’amour, qui de moi ne s’éloigne jamais,
Ne fasse ouïr sa voix et n’entende la mienne.

Q14 – T20 -rvf

Guinguené dans un des volumes de sa monumentale Histoire littéraire de l’Italie, propose cette traduction en forme de sonnet (une première au 19ème) du poème n°35 du Rvf de Pétrarque, avec ce commentaire:  « … peut-être, selon moi, le plus heureux, le plus touchant de tous les siens, et où il a porté au plus haut point d’intimité l’alliance de ces deux grandes sources d’intérêt, la solitude champêtre et la mélancolie. J’ai tâché de le traduire en vers, et même ce qui est, comme on sait, le comble de la difficulté dans notre langue, de rendre un sonnet par un sonnet. Il y a peut-être beaucoup d’imprudence à hasarder de si faibles essais, et pour faire l’imprudence toute entière, j’engagerai encore ici à relire dans l’original le sonnet de Pétrarque. Peut-être au reste quand on s’en sera rafraîchi la mémoire, appréciant mieux les difficultés de l’entreprise, en aura-t-on pour le mien plus d’indulgence.  »

La formule de rimes, abba  abab  cdc  dcd, ne respecte pas celle de l’original (abba  abba  cde  cde), impossible à reproduire si on satisfait à l’exigence de l’alternance des rimes (qui n’a pas été violée avant une date beaucoup plus tardive). Il choisit cependant pour les tercets la deuxième formule pétrarquiste dominante, sur deux rimes, cdc  dcd. Cela lui a été reproché plus tard (1870) par Mr de Veyrières, qui mentionne  » sa version (un peu irrégulière dans la forme) .. ». La notion de régularité varie régulièrement au cours des âges.

Remarque: j’ai choisi, comme on le verra amplement, bon nombre de sonnets en traduction, en particulier différentes versions du premier sonnet du Rerum Vulgarum Fragmenta (Canzoniere); et du sonnet 52 de Shakespeare (j’en donnerai la liste dans la partie formelle). Pour d’autres sonnets (en traduction) que ces deux-là, j’ai en général privilégié ceux dont les traductions sont le fait de poètes.