Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Naïve, j’ai gardé l’impression première — 1890 (11)

Léon Valade Poèmes posthumes

Dessous de bois

Naïve, j’ai gardé l’impression première
De la forêt nocturne où soudain je pus voir
Sous l’entrelacement du lourd branchage noir,
Rougeoyer, tout au loin, le feu d’une chaumière.

Plus d’une allée au bois, battue et coutumière,
Pour moi prend un aspect étrange à concevoir,
Quand, au pied des grands troncs reculés par le soir,
La ligne d’horizon met de vive lumière.

Mystérieuse, ainsi qu’un rayon projeté
Sur une porte close, éclate la clarté
Au bas des arbres drus, d’où l’ombre épaisse tombe.

J’y retrouve toujours l’ancien tressaillement;
Et, je ne sais pourquoi, je rêve l’outre-tombe
Comme un dessous de bois éclairé vivement.

Q15 – T14- banv

En cette lumière apâlie — 1890 (10)

Julien Mauveaux Les dolents – sonnets décadents

Sonnet exital

En cette lumière apâlie
où s’adoucit l’attrait de l’heure,
s’endort et dort comme en un leurre
mon rêve de mélancolie.

Ame falote d’Ophélie,
pauvre âme mienne qui la pleure,
il faut subir qu’un ciel enfleure
l’ultime rameau d’ancolie.

rien d’immanent que le réel,
le rêve lui-même est formel,
fait d’intangible encor blessant.

Nous mourons du vague adulé,
et dans la coupe de Thulé,
nous buvons notre triste sang!

Q15 – T15 – octo – enfleure : H.N (Disparus du Littré) a l’adjectif ‘enfleuri’ mais pas le verbe

J’ai le mépris sacré d’un dieu métaphysique — 1890 (9)

Julien Mauveaux Les dolents – sonnets décadents

Sonnet liminaire

J’ai le mépris sacré d’un dieu métaphysique
pour la matière où sont toutes formes encloses,
et pieusement je veux que l’art, loin des gloses
de la science, essore à l’aile des musiques.

Il sera digne alors de la grâce pudique
des vierges, de leur col fragile, de leurs poses
décentes, il aura pour les apothéoses
nitides, le vague de la mer mélodique.

Fiers mépriseurs de la précision qui sculpte
et cristallise sous les ornements d’un culte
immuable, la vie intense et débridée,

mes vers, neige impollue où s’altère et succombe
la frondaison trop délicate des idées,
nimbent la beauté d’un grand vol froid de colombes.

Q15 – T14 – banv –  rimes féminines

Voici. Ton âme est un lac artificiel — 1890 (5)

Jules TellierOeuvres

Voici. Ton âme est un lac artificiel
Et minuscule ainsi que ceux des Tuileries,
Un bassin très petit sous les branches fleuries
Qui n’a pas assez d’eau pour réfléchir le ciel.

On en voit, à deux pieds, sans plus, le fond réel,
Moins beaux que les reflets d’azur et leur féeries,
De vieux pantins, des pots cassés, des fleurs flétries,
Et mille objets manquant du charme essentiel.

Ton âme, en un jardin sans mystère, que foule
A toute heure le pas indiscret de la foule,
Est un bassin couvert d’oiseaux de toutes parts:

Les cygnes blancs, tendant leurs cous aux belles lignes,
Glissant à la surface au milieu des canards,
– Mais les canards y sont plus nombreux que les cygnes.

Q15 – T14 – banv

De frigides roses pour vivre — 1890 (1)

Mallarmé in Oeuvres complêtes – Poésies (ed. Barbier-Millan)


Eventail de Méry Laurent

De frigides roses pour vivre
Toutes la même interrompront
Avec un blanc calice prompt
Votre souffle devenu givre

Mais que tout battement délivre
La touffe par un choc profond
Cette frigidité se fond
En du rire de fleurir ivre

A jeter le ciel en détail
Voilà comme bon éventail
Tu conviens mieux qu’une fiole
Nul n’enfermant à l’émeri

Sans qu’il y perde ou le viole
L’arôme émané de Méry

Q15 – T14 – banv – octo

Votre femme chantait délicieusement — 1889 (30)

Verlaine Dédicaces

A Adrien Remacle

Votre femme chantait délicieusement
De très anciens vers miens par vous mise en musique,
– Vers sans grande porté idéale ou physique,
Mais que la voix était exquise et l’air charmant !

Si bien que j’entrais dans un grand étonnement,
Moi le lassé qui rêve d’être un ironique,
D’ainsi revivre sensuel et platonique.
Quoi, sensuel ? Vraiment ? Platonique ? Comment ?

Ah ! quand jeune j’étais ainsi ! Tiens, tiens. Possible,
Après tout. Oui, rêvasseur et mauvais sujet.
Ma tête alors désirait et ma chair songeait.

Mais j’admire, moi le blasé (mais l’impassible,
Non !) j’admire combien la sympathie et l’art
Evoquèrent l’enfant-presque au quasi-vieillard.

Q15  T30

Ce fut à Londres, ville où l’Anglaise domine, — 1889 (27)

Verlaine Dédicaces

A Germain Nouveau

Ce fut à Londres, ville où l’Anglaise domine,
Que nous nous sommes vus pour la première fois,
Et, dans King’s Cross mêlant ferrailles, pas et voix,
Reconnus dès l’abord sur notre bonne mine.

Puis, la soif nous creusant à fond comme une mine,
De nous précipiter, dès libres des convois,
Vers des bars attractifs comme les vieilles fois,
Où de longues misses plus blanches que l’hermine

Font couler l’ale et le bitter dans l’étain clair
Et le cristal chanteur et léger comme l’air,
– Et de boire sans soif à l’amitié future !

Notre toast a tenu sa promesse. Voici
Que vieillis quelque peu depuis cette aventure,
Nous n’avons ni le cœur ni le coude transi.

Q15  T14 – banv

Des jeunes – c’est imprudent – — 1889 (23)

Verlaine Dédicaces

A Stéphane Mallarmé

Des jeunes – c’est imprudent –
Ont, dit-on, fait une liste
Où vous passez symboliste.
Symboliste ? Ce pendant

Que d’autres, dans leur ardent
Dégoût naïf ou fumiste
Pour cette pauvre rime iste
M’ont bombardé décadent.

Soit ! Chacun de nous en somme
Se voit-il si bien nommé ?
Point ne suis tant enflammé

Que ça vers les n…ymphes, comme
Vous n’êtes pas mal-armé
Plus que Sully n’est Prud’homme.

Q15  T28  7s

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis, — 1889 (22)

Verlaine Dédicaces

A François Coppée

Les passages Choiseul aux odeurs de jadis,
Oranges, parchemins rares, – et les gantières ! –
Et nos « débuts », et nos verves primesautières,
De ce Soixante-sept à ce Soixante-dix,

Où sont-ils ? Mais où sont aussi les tout petits
Evénements et les catastrophes altières,
Et le temps où Sarcey signait S. de Suttières,
N’étant encore pas mort de la mort d’Athys ?

Or vous, mon cher Coppée, au sein du bon Lemerre
Comme au sein d’Abraham les justes d’autrefois,
Vous goûtez l’immortalité sur des pavois,

Moi, ma gloire n’est qu’une humble absinthe éphémère
Prise en catimini, crainte des trahisons,
Et si je n’en bois pas plus c’est pour des raisons.

Q15  T30

COMME Proserpine avant sa destresse, — 1889 (20)

– in  Le Parnasse Breton contemporain

La Nismoise
sonnet deduict selonc le goust des vieulx françois, A Mme A. B,

COMME Proserpine avant sa destresse,
Comme Hebê, la gente aux yeux de velours,
Comme Amphitrite en ses glauques atours,
Comme l’Astartê, tant chière traistresse ;

Comme ung doulx perfum fleurant la tendresse,
Comme ung oyselet au tems des amours,
Comme ung guay soleil dorant les beaux jours,
Comme ung pur zephir, comme une caresse :

Par ainsy vrayment, reluysant dans l’air,
Engeole et seduict vostre soubris cler ;
Dessoubs le visaige on void briller l’ame.

Pour lors, ie me sens tout regoillardi.
Comme ung chat frileulx ronronne à la flamme,
Chaufant ma Bretaigne à vostre Midy.

Q15  T14 – banv –   déca  encore un essai terrifiant de pseudo vieux-français