Archives de catégorie : Q63 – abba a’b’b’a’

De l’orient passé des Temps — 1868 (2)

Stéphane Mallarmé – in Lettre à William Bonaparte- Wyse

De l’orient passé des Temps
Nulle étoffe jadis venue
Ne vaut la chevelure nue
Que loin des bijoux tu détends.

Moi, qui vis parmi les tentures
Pour ne pas voir le Néant seul,
Aimeraient ce divin linceul,
Mes yeux, las de ces sépultures.

Mais tandis que les rideaux vagues
Cachent des ténèbres les vagues
Mortes, hélas! ces beaux cheveux

Lumineux en l’esprit font naître
D’atroces étincelles d’Etre,
Mon horreur et mes désaveux.

Q63 – T15 – octo Un autre premier état: abba  a’b’b’a’   ccd  ede

L’Iambe estropié, — 1867 (1)

J.F. CostaLa Harpe éolienne

L’Iambe

L’Iambe estropié,
Cherchant un dactyle,
Rencontre Batylle,
Qui le met sur pié.

Alors, pour marcher,
Il bat la mesure;
Mais une césure
Le fait trébucher.

Il faut un spondée;
Il faut une idée,
Pour plus de soutien;

Cherche dans la nue,
Iambe, et continue
Ton métier de chien.

Q63 – T15 – 5s

de la préface: « A quoi rime, par le temps qui court, un recueil de sonnets? C’est ce que vont se dire les rares curieux qui jetteront un regard, en passant, sur la couverture de ce livre. Je trouve qu’ils auront parfaitement raison, et que notre époque a autre chose à faire que de s’occuper de ces vétilles. Elle a …. elle a …. je ne dirai pas ce qu’elle a.

Je confesse donc humblement ma faute; et les confessions publiques étant les plus méritoires, ces quelques lignes ont uniquement pour but de demander pardon pour les pages qui vont suivre. On me fera observer qu’il était plus simple de supprimer les pages; cela est encore vrai; mais, comme on n’est pas forcé de les lire, la chose revient absolument au même.

J’offre ici moins, à la vérité, un recueil de sonnets qu’une poignée de rêves. Je les donne dans l’état où ils sont venus et avec la forme qu’ils ont voulu revêtir. Il est possible, du reste, que ce soient des sonnets; ce dont je conviens, c’est que quelques uns en remplissent les conditions rythmiques. « 

Ils ont chassé de l’antique Munster, — 1863 (3)

Antonio Zingaro Sonnets et autres rimes

Bâle, sonnet

Ils ont chassé de l’antique Munster,
Les Saints nimbés, la Vierge rayonnante;
Où fleurissait la rose flamboyante
On voit fleurir la trogne de Luther.

Erasme est là sous un pilier gothique;
Il va la nuit, voir le cloître ogival,
Où le portrait byzantin, de Saint Gall;
Avec Holbein, le peintre catholique.

Erasme raille et d’un crayon mordant,
Son compagnon dessine le tympan,
Où les dormeurs, surpris par la trompette

De Josaphat, oubliant l’étiquette,
Ne songent plus à nouer leur braguette,
Et courent, nus, au dernier jugement.

Q63 – T11 – déca

La rue assourdissante autour de moi hurlait. — 1861 (1)

Charles Baudelaire Les Fleurs du mal (2ème ed.)

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse,
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair … puis la nuit! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement  renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais!

Q63 – T23

Les amoureux fervents et les savants austères — 1857 (23)

Baudelaire Les fleurs du mal

Les chats

Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres;
L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin;

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

Q63 – T14

J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime, — 1857 (22)

Baudelaire Les fleurs du mal

De Profundis Clamavi

J’implore ta pitié, Toi, l’unique que j’aime,
Du fond du gouffre obscur où mon coeur est tombé.
C’est un univers morne à l’horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l’horreur et le blasphème;

Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres mois la nuit couvre la terre;
C’est un pays plus nu que la terre polaire;
– Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois!

Or il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos;

Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l’écheveau du temps lentement se dévide!

Q63 – T13

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre, — 1857 (11)

Baudelaire

La beauté

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

Q63 – T23

La nature est un temple où de vivants pilliers — 1857 (5)

Baudelaire Les fleurs du mal (1ère ed.)

Correspondances

La nature est un temple où de vivants pilliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Q63 – T23

Pour soulever un poids si lourd, — 1855 (13)

Baudelaire in Revue des deux mondes

Le guignon

Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage!
Bien qu’on ait du coeur à l’ouvrage,
L’Art est long et le Temps est court.

Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon coeur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres.

– Maint joyau dort enseveli
Dans les ténèbres et l’oubli,
Bien loin des pioches et des sondes;

Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes.

Q63 – T15 – octo


Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille — 1854 (4)

Baudelaire in Lettre non signée à madame Sabatier


L’aube spirituelle

Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille
Entre en société de l’Idéal rongeur,
Par l’opération d’un mystère vengeur
Dans la brute assoupie un ange se réveille.

Des Cieux Spirituels l’inaccessible azur,
Pour l’homme terrassé qui rêve encore et souffre,
S’ouvre et s’enfonce avec l’attirance du gouffre.
Ainsi, chère Déesse, Etre lucide et pur,

Sur les débris fumeux des stupides orgies
Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,
A mes yeux agrandis voltige incessamment.

Le soleil a noirci la flamme des bougies;
Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,
Ame resplendissante, à l’immortel soleil!

Q63 – T30