Archives de catégorie : Q63 – abba a’b’b’a’

Les choses qui chantent dans la tête — 1884 (13)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Vendanges
A Georges Rall

Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mémoire est absente,
Ecoutez! c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète!

Ecoutez! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.

Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, ô sang, c’est l’apothéose!

Chantez, pleurez! Chassez la mémoire
Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres.

Q63 – T23 – 9s – Rimes toutes féminines

Edgar Poe fut démon, ne voulant pas être Ange. — 1883 (2)

Maurice RollinatLes Névroses

Edgar Poe

Edgar Poe fut démon, ne voulant pas être Ange.
Au lieu du Rossignol, il chanta le Corbeau;
Et dans le diamant du Mal et de l’Etrange
Il cisela son rêve effroyablement beau.

Il cherchait dans le gouffre où la raison s’abîme
Les secrets de la Mort et de l’Eternité,
Et son âme où passait l’éclair sanglant du crime
Avait le cauchemar de la Perversité.

Chaste, mystérieux, sardonique & féroce,
Il raffina l’Intense, il aiguisa l’Atroce;
Son arbre est un cyprès; sa femme, un revenant.

Devant son oeil de lynx le problème s’éclaire:
– Oh, comme je comprends l’amour de Baudelaire
Pour ce grand Ténébreux qu’on lit en frissonnant!

Q62 – T15

Une vierge au long voile, émue et toute rose; — 1882 (1)

Léo Trézenik (Pierre Infernal)Les gouailleuses

A l’église

Une vierge au long voile, émue et toute rose;
Un monsieur relié, comme un livre, en chagrin;
L’église, triste, avec son grand calme serein,
Et l’enlacement froid de son ombre morose.

On les marie: au doigt il lui passe l’anneau.
Un prêtre au geste digne, à la fâce blêmie,
Leur affirme, en latin, que tous deux pour la vie
Sont tenus de s’aimer de par l’ordre d’en Haut.

Et moi, dissimulé derrière une colonne,
J’écoutais, l’air narquois, cette chose bouffonne,
Quand, navré tout à coup, je me pris à songer

Les yeux fixés sur la pauvre fleur d’oranger
Qu’on voyait à travers du voile diaphane,
Que les pharmaciens en font de la tisane!

Q63 – T20

Les rideaux tout souillés des morves d’un branlé — 1881 (13)

Joris-Karl Huysmans ? – in Le Parnasse satyrique du 19e siècle

Sonnet Masculin

Les rideaux tout souillés des morves d’un branlé
Enveloppaient le lit – un bidet rempli d’eau
Attendait – le vieillard entre – mit son cadeau,
Cinq francs, dans une coupe en zinc – et l’enculé

Tournant le dos porta ses jumelles rondeurs,
Dames Jeannes d’amour, au bouchon du miché.
A grande aide de suif il fut vite fiché
Dans cette cave en chair où fumaient les odeurs

De salpètre et de bran, le dard qui sautillait
Eperdu, dans ses doigts! – Après un long effort,
Il entra jusqu’au ventre dans ce trou qui baillait.

Et l’anus embroché sonna son doux lic lac.
C’est bon, dis, petit homme? – Oh oui! Va, va, plus fort!
Ah! reste – assez – Laisse -Ouf! – Et l’on entendit clac.

Q63 – T24 – On remarquera que toutes les rimes sont masculines – le vers 11 a une césure épique

Quand j’entrerai parmi les morts, — 1881 (10)

Paul Marrot Le chemin du rire

Le paradis du poète

Quand j’entrerai parmi les morts,
Je veux, par testament fantasque,
Que l’on fasse un tambour de basque
En tannant la peau de mon corps.

Le tambour conduira la danse,
Il fera d’harmonieux bruits,
Et moi je serai gai; je suis
Un vieil ami de la cadence.

Tous mes destins seront pareils:
Vivant, mon âme était chantante;
Mort, ma peau sera bourdonnante.

Et j’attendrai les grands réveils
Plein des mêmes inquiétudes,
Et sans changer mes habitudes.

Q63 – T30 – octo

L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable. — 1881 (3)

Paul VerlaineSagesse

L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu le coude sur la table?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne, De grâce éloignez-vous, madame.
Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah, quand refleuriront les roses de septembre!

Q63 – T14

Caché près de l’étang, l’autre jour, j’ai surpris — 1878 (7)

P(aul) Darasse Laeta & moesta

Le rat

Caché près de l’étang, l’autre jour, j’ai surpris
Les propos qu’échangeaient la grenouille plaintive
Et le rat son compère accroupi sur la rive ;
Il parlait d’une guerre entre peuples amis.

Le rat voulait savoir pourquoi tout ce tapage :
Leurs canons, disait-il, dérangent mon sommeil ;
Manquent-ils donc de pain ou de place au soleil ?
Entre frères pourquoi ce terrible carnage ?

Ma foi ! répondait l’autre, on ne sait trop vraiment :
Ces gens sont fous, et c’est pour un prince allemand
Dont le nom, entre nous, est impossible à dire ;

C’est aussi pour la gloire et l’honneur du drapeau.
En entendant ces mots, le rat se mit à rire,
A rire, mais si fort qu’il en tomba dans l’eau.

Q63  T14

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées; — 1872 (7)

Rimbaud

Ma Bohème
(fantaisie)

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal;
J’allais sous le ciel, Muse! et j’étais ton féal;
Oh! là là! Que d’amours splendides j’ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
– Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ce bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!

Q63 – T15

Sa Seigneurie est sur le continent. – Les hêtres — 1869 (8)

coll. Le Parnasse Contemporain – deuxième série –

Ernest d’Hervilly

The Park

Sa Seigneurie est sur le continent. – Les hêtres
Sous lesquels Robin-Hood jadis tendit son arc
Mugissent, défeuillés, au fond du noble Park,
Blackwood -Castle est désert; closes sont les fenêtres.

Rivière de high-life, à travers un gazon
Ratissé sans relâche, eau flegmatique et noire,
Coule à présent la source où s’arrêtait pour boire
Le brave Outlaw chargé de fraîche venaison.

Le domaine est ouvert au public. – Véritable
Faveur, Mylords! – Pourtant, bien qu’il soit confortable,
Elégant et correct – de la fleur au caillou, –

Les promeneurs jamais n’y troublent les corneilles:
Nul Bottom de village, aux joyeuses oreilles,
N’y vient se faire dire: O my dear, I love you!

Q63 – T15

La sévère raison a mis un terme aux rêves: — 1868 (5)

Coll.Rimes et idées

Albert Castelnau

Auguste Comte

La sévère raison a mis un terme aux rêves:
Dans les bleus infinis pourquoi vous égarer?
– Sans chercher à savoir je puis considérer
Le flot de l’inconnu déferlant sur nos grèves.

– La cause insaisissable échappe à nos regards,
Poëte, portez-les sur l’horizon qui s’ouvre,
Sur la Réalité que le savoir découvre,
Du mystique passé dissipant les brouillards.

Par le Poids, la Chaleur, le Son et la Lumière,
Par le Pouvoir subtil qui jaillit du tonnerre,
Par la Vie émergeant après l’Affinité,

L’enchaînement des Lois à Comte se révèle,
Du Nombre présidant à la ronde éternelle
Des Astres dans l’éther, jusqu’à l’Humanité.

Q63 – T14