Archives de catégorie : Q63 – abba a’b’b’a’

C’était toute douceur et nuance et sourdine — 1896 (11)

– Georges Rodenbach Oeuvres

Pour le tombeau de Verlaine

C’était toute douceur et nuance et sourdine
De lys purs qui seraient sensitives, et d’une
Figure de clarté qui serait clair de lune,
Figure de Béguine ou de Visitandine.

C’était tout falbalas et brumes en écharpes;
C’était toute musique, en pleurs d’être charnelle,
Et frissons d’une harpe qui serait une aile;
Car les ailes du cygne ont la forme des harpes.

Et c’était tout sincère élan d’âme marrie
Qui s’élevait d’en bas vers la Vierge Marie:
Oblation de soi, sans plus de subterfuges,

Et réponse pieuse à tous divins reproches,
Et tout azur de coeur, ouvert aux humbles cloches,
Qui me l’a fait aimer comme le ciel de Bruges!

Q63 – T15  – Rimes féminines.

La vie est de mourir et mourir c’est naître — 1895 (16)

Verlaine in ed.Pléiade


Pour le Nouvel An
A Saint-Georges de Bouhélier

La vie est de mourir et mourir c’est naître
Psychologiquement tout comme autrement
Et l’année ainsi fait, jour, heure, moment,
Condition sine qua non, cause d’être.

L’autre année est morte, et voici la nouvelle
Qui sort d’elle comme un enfant du corps mort
D’une mère mal accouchée, et n’en sort
Qu’aux fins de bientôt mourir mère comme elle.

Pour naître mourons ainsi que l’autre année ;
Pour naître, où cela ? Quelle terre ou quels cieux
Verront aborder notre envol radieux ?

Comme la nouvelle année, en Dieu, parbleu !
Soit sous la figure éternelle incarnée,
Soit en qualité d’ange blanc dans le bleu.

Q63  T34   11s

S’il t’arrive parfois de prononcer mon nom, — 1895 (15)

Alban Roubaud Pour l’idole

XXXVIII

S’il t’arrive parfois de prononcer mon nom,
A l’heure où le couchant invite à la prière,
Si le pardon pénètre en ton âme si fière,
Et si ton cœur dit « oui » quand ta bouche dit « non »

Souviens-toi que ma peine est égale à ta peine
Et que je souffre autant que ce qu’on peut souffrir.
Sache qu’il est une douleur qui fait mourir,
Et que cette pensée abolisse ta haine.

Le mal que je t’ai fait, je l’ai fait malgré moi,
Il fallait une larme aux voluptés anciennes,
Et Dieu n’a pas compris notre ineffable émoi.

Mais vois, les jours bénis ne s’oublieront jamais !
Et songe que je t’aime encor, toi que j’aimais,
Si tu pleures parfois, et que tu te souviennes …

Q63  T25

Ce soir là, nous étions assis devant la mer, — 1895 (13)

Alban Roubaud Pour l’idole

Pressentiment

Ce soir là, nous étions assis devant la mer,
Emus par je ne sais quelle tendresse vague
Muets, nous regardions déferler chaque vague
Et le vent dans nos cœurs mettait son souffle amer.

Ta lèvre s’était close et tes mains dans les miennes
Frissonnaient, par moments, tels des oiseaux frileux.
Ton regard se perdait à l’horizon houleux,
Et tu semblais revoir des choses très anciennes.

Soudain, j’eus dans le cœur comme un pressentiment
Et je ne sais quel cri lointain donna l’alarme,
Mais je sentis mon cœur s’en aller lentement …

Le silence est parfois plus cruel que les mots !
J’interrogeai tes yeux où tremblait une larme :
Et c’est de ce soir là que datent tous mes maux.

Q63  T24

Un rayon délicat vient caresser la terre, — 1894 (19)

Louise Abbéma in l’Art et la mode

NUIT JAPONAISE, ÉVENTAIL

Un rayon délicat vient caresser la terre,
Le fin croissant du soir dans le ciel violet,
Baigne de la pâleur de son tremblant reflet,
Les îles de Yedo, et la mer qui s’éclaire.

Un parfum très subtil monte avec volupté
Des pâlissants iris et des pivoines roses,
Quel mystère charmant enveloppe les choses
En l’exquise douceur des belles nuits d’été!

Tout repose et se tait. Sous les brises très molles,
Les Pavots endormeurs effeuillent leurs corolles
Qu’un souffle tendre et frais entraîne en voltigeant.

Sur les bateaux légers aux frissonnantes voiles,
La blonde Séléné fait pleuvoir des étoiles,
Et le Japon s’endort en un rêve d’argent.

Q63  T15

Il n’existe que pour la mort : — 1894 (16)

Maurice Rollinat in L’Artiste

L’atome

Il n’existe que pour la mort :
Entier, chacun de nous y sombre.
Pourtant il en est dans le nombre
Qui dominent l’arrêt du sort.

Tel, par son art ou sa bonté,
Mord sur l’airain de l’Invisible,
Y grave sa marque sensible
Aux regards de l’Eternité.

Par-delà l’ombre du tombeau
Ce que l’on fit de bien, de beau,
Nous survit, glorieux fantôme,

Toujours debout, jamais terni :
Narquoise, contre l’Infini,
C’est la revanche de l’Atome.

Q63 – T15 – octo

Je suis prisonnier de tes yeux — 1894 (15)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A E…
en lui offrant « Mes prisons’

Je suis prisonnier de tes yeux
Toujours – et parfois de tes bras,
Mais ne plains pas ces embarras
Qui ne sont guère qu’ocieux.

L’odieux, ô mais, là, c’est dur,
C’est que mon coeur est en prison
En même temps que ma raison
Dans ton amitié, cachot pur!

Et bien que trop intelligents,
Mes désirs, quoique diligents,
S’en ressentent jusqu’à parfois

Ressembler à d’affreux courrous …
Mais tu les mets sous les verrous
De ta bonté, coeur, geste, et voix.

Q63 – T15 – octo – Tous les vers sont en rime masculine

De la quête ingénue, aussi émouvante — 1894 (7)

Marie KryzinskaJoies errantes

à Luce Colas

De la quête ingénue, aussi émouvante
que la grâce des paysages normands,
où, parmi les doux feuillages bruissants
l’eau coquette miroite, court, enchante.

Le cher souci d’Art a mis dans ses yeux gris,
rieurs de malice, un rien de graves songers,
mais sa bouche demain le fruit frais des vergers
aimés de Watteau et tout parfumés d’esprit.

Le siècle des fossettes et des bergeries,
des amours, des rubans et des coeurs aux abois,
semble l’avoir ornée pour le plaisir des yeux;

et c’est aussi le charme exquis des causeries
tendres et raisonneuses des Dames d’autrefois
qui ressuscite en elle par le vouloir des Dieux.

Q63 – T36 – métrique irrégulière, plutôt 11s

Le vieux monsieur, pour prendre une douche ascendante, — 1894 (4)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)

Hydrothérapie

Le vieux monsieur, pour prendre une douche ascendante,
A couronné son chef d’un casque d’hidalgo
Qui malgré sa bedaine ample et son lumbago,
Lui donne un certain air de famille avec Dante.

Ainsi ses membres gourds et sa vertèbre à point
Traversent l’appareil des tuyaux et des lances,
Tandis que des masseurs tout gonflés d’insolences,
Frottent au gant de crin son dos où l’acné point.

Oh! l’eau froide! Oh! la bonne et rare panacée
Qui, seule, raffermit la charpente lassée
Et le protoplasma des sénateurs pesants!

Voici que, dans la rue, au sortir de la douche,
Le vieux monsieur qu’on sait un magistrat farouche
Tient des propos grivois aux filles de douze ans.

Q63 – T15

O femmes, je vous aime toutes, là, c’est dit ! — 1893 (25)

Verlaine Dédicaces

Quatorzain pour toutes

O femmes, je vous aime toutes, là, c’est dit !
N’allez pas me taxer d’audace ou d’imposture.
Raffolant de la blonde douce ou de la dure
Brune et de la virginité bête un petit

Mais si gente et si prompte à se déniaiser,
Comme de l’alme maturité (que vicieuse !
Mais susceptible d’un grand cœur et si joyeuse
D’un sourire et savourant, lente, un long baiser)

Toutes, oui, je vous aime, oui, femmes, je vous aime
– Excepté si par trop laides ou vieilles, dam !
Alors je vous vénère ou vous plains. Je vais même

Jusqu’à me voir féru, parfois à mon grand dam,
D’une inconnue un peu vulgaire, rencontrée
Au coin … non pas d’un bois sacré ! qui m’est sucrée.

Q63  T23