Archives de catégorie : Q63 – abba a’b’b’a’

Ils te croyaient pure, Elizabeth! — 1891 (4)

Pierre LouÿsLe Trophée des Vulves légendaires – neuf sonnets sur les héroïnes de Wagner rêvés au pied du Vénusberg en août 1891.

Elizabeth

Ils te croyaient pure, Elizabeth!
Ils t’appellaient sainte, immaculée!
Mais tu riais d’eux, grande enculée,
Quand Tanhauser au lit t’enjambait;

Il n’hésitait, pour vivre sa vie,
Qu’entre le trou noir de ton anus
Et la vulve en chaleur de Vénus,
Mais tu l’étreignais, inassouvie.

Furieuse au hasard des coussins,
Refoulant son ventre avec tes seins
Tu fis pour lui ta bouche ordurière;

Et lui tendais l’horreur de ton cul
Tu le sentis foutre par derrière,
Et tu portais le corps du vaincu.

Q63 – T14 – 9s

Coco dit Tape-à-l’oeil, professeur de savate, — 1891 (3)

Laurent TaihadeAu pays du muffle – Ballades et quatorzains –

Rue de la Clef

Coco dit Tape-à-l’oeil, professeur de savate,
Camelot et dompteur de caniches, ayant
Sur quelque pantre aussi gourdé que flamboyant,
Prélevé le mouchoir, la bourse ou la cravate,

Est dans les fers. Le désespoir règne parmi
Tant d’épouses qu’il asservit à sa conquête
Et les dames du Chabanais font une quête
Pour que soit d’un peu d’or son courage affermi.

Mais, content des loisirs que lui fait Pélagie,
Le ‘petit homme’ aux reins vannés, se réfugie
Près des conspirateurs dont brille cet endroit.

Et fier de ressucer les mégots qu’il impêtre
Chez les poëtes et chez les docteurs en droit,
Il savoure l’orgueil de voir des gens de lettres.

Q63 – T14

Les femmes laides qui déchiffrent des sonates — 1891 (2)

Laurent TaihadeAu pays du muffle – Ballades et quatorzains –

Place des Victoires

Les femmes laides qui déchiffrent des sonates
Sortent de chez Erard, le concert terminé
Et, sur le trottoir gras, elles heurtent Phryné
Offrant au plus offrant l’or de ses fausses nattes.

Elles viennent d’ouïr Stanislas Talapoint,
Le pianiste hongrois que Le Figaro vante,
Et, tout en se disant du mal de leur servante,
Elles tranchent un cas douteux de contrepoint.

Des messieurs résignés à qui la force manque
Les suivent, approuvant de leur chef déjà mûr,
Ils eussent préféré le moindre saltimbanque.

Leur silhouette court, falotte, au ras d’un mur,
Cependant que Louis, le vainqueur de Namur,
S’obstine à regarder les portes de la Banque.

Q63 – T21

Artiste, toi, jusqu’au fantastique, — 1890 (33)

Verlaine Dédicaces

A Charles de Sivry

Artiste, toi, jusqu’au fantastique,
Poète, moi, jusqu’à la bêtise,
Nous voilà, la barbe à moitié grise,
Moi fou de vers et toi de musique.

Nous voilà, non sans quelques travaux,
Riches, moi de l’eau de l’Hippocrene,
Quand toi des chansons de la Sirène,
Mûrs pour la gloire et ses échafauds.

Bah ! nous aurons eu notre plaisir
Qui n’est pas celui de tout le monde
Et le loisir de notre désir.

Aussi bénissons la paix profonde
Qu’à défaut d’un trésor moins subtil
Nous donnèrent ces ainsi soit-il.

aaaa  b’a’a’b’ T23  9s

Tu nous fuis, comme fuit le soleil sur la mer, — 1889 (25)

Verlaine Dédicaces

A Villiers de l’Isle-Adam

Tu nous fuis, comme fuit le soleil sur la mer,
Derrière un rideau lourd de pourpres léthargiques,
Las d’avoir splendi seul sur les ombres tragiques
De la terre sans verbe et de l’aveugle éther.

Tu pars, âme chrétienne, on m’a dit résignée,
Parce que tu savais que ton Dieu préparait
Une fête enfin claire à ton cœur sans secret,
Une amour toute flamme à ton amour ignée.

Nous restons pour encore un peu de temps ici,
Conservant ta mémoire en notre espoir transi,
Tels des mourants savourent l’huile du Saint-Chrème.

Villiers, sois envié comme il aurait fallu
Par tes frères impatients -du jour suprême
Où saluer en toi la gloire d’un élu.

Q63  T14

Sa douceur qui n’est pas excessive, — 1889 (21)

Verlaine Dédicaces

à J-K. Huysmans

Sa douceur qui n’est pas excessive,
Elle existe mais il faut la voir,
Et c’est une laveuse au lavoir
Tapant ferme et dru sur la lessive.

Il la veut blanche et qui sente bon
Et je crois qu’à force il l’aura telle.
Mais point ne s’agit de bagatelle
Et la tâche n’est pas d’un capon.

Et combien méritoire son cas
De soigner ton linge et sa détresse,
Humanité, crasses et cacas.

Sans jamais d’insolite paresse,
O douceur du plus fort des J.-K.,
Tape ferme et dru, bonne bougresse !

Q63  T20  9s

Le ciel est blanc, la terre est blanche, et lentement, — 1889 (17)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain

Sonnet en blanc

Le ciel est blanc, la terre est blanche, et lentement,
Sans trêve, en flocons blancs, la neige tombe, tombe
Dans le grand cimetière hagard, où chaque tombe
Disparait sous le morne ensevelissement.

C’est alors que, blafards, hideux, formant cortège ,
Avec un effroyable et grêle cliquetis ,
Entrechoquant leurs os pâles, grands et petits,
Les blêmes trépassés se dressent dans la neige ,

Et s’en vont vers le vide horizon sépulcral,
Détachant leurs blancheurs livides de squelettes,
Mystérieusement, sur les neiges muettes ,

Tandis que, sous l’horreur d’un demi-jour spectral,
De vagues oiseaux blancs glissent de branche en branche. . .
Et cependant le ciel est blanc, la terre est blanche.

Q63  T30

Aux quatre coins de l’horizon, quatre cités — 1889 (15)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain (Guy Ropartz et Louis Tiercelin ed.)

Sonnet en rouge

Aux quatre coins de l’horizon, quatre cités
Brûlent, lançant vers le ciel rouge leurs flambées ;
Dans la plaine, où le soir met ses rougeurs plombées,
Quatre échafauds , drapés de rouge, sont plantés.

Et le crépitement des étincelles fauves,
Sur la foule écarlate et bruyante qui bout ,
Sonne; on voit , éclairés sinistrement, debout,
Quatre bourreaux en rouge auprès des billots chauves.

Les quatre rois vaincus attendent à genoux ;
Et de brusques lueurs passent sous les cieux roux ,
Comme un éclair de lampe au plafond bas d’un bouge.

Alors, d’un même coup des quatre haches d’or,
Les quatre bourreaux font tomber la même mort,
Et sur la pourpre on voit le sang qui coule — rouge!

Q63  T15

Il hurlait: « mon nombril est un chryzobéril, — 1889 (3)

Le Décadent

Métrophane Crapoussin (Georges Fourest)

Quatorzain pour aller à Bicêtre

Il hurlait: « mon nombril est un chryzobéril,
Mon corps est serti de feldspaths et d’argyroses
Ma couche est le pistil déhiscent d’une rose
Et c’est d’or pur que Zeus fit mon Membre Viril.

Mon père – clérical – et ma mère, l’étoile
Gamma du Petit Chien dorment sur le Liban
Et c’est pourquoi je hais l’infâme Caliban.
A quatorze ans, j’entrai chez un marchand de toile

Peinte. Ce gaillard-là ne fut qu’un propre à rien.
Nabuchodonosor! O quel assyrien:
Moi, j’ai des cornes d’antilope dans la bouche.

Gazelles d’Andrinople, aux Juillets pluvieux! »
– Or, comme il se taisait, le médeçin, un vieux
Rasé, dit au gardien: « qu’on le mène à la douche »

Q63 – T15

Très rousse, aux longs yeux verts damnablement fendus!… — 1888 (34)

– Théodore Hannon Rimes de joie

Sonnet biblique

Très rousse, aux longs yeux verts damnablement fendus!…
Je la suivis chez elle, et bientôt, sans chemise,
Sur mon lit de bataille elle se trouva mise,
Offrant à mes ardeurs tous les fruits défendus.

Le chignon inondait de sa fauve avalanche
Le torse aux grands prurits de cette Putiphar ;
Le nombril incrustait sa fleur de nénuphar
Aux lobes de son ventre : un gâteau de chair blanche.

Ses tétins étaient d’ambre effilés de carmin
Et tenaient tout entiers dans le creux de ma main,
Elle entr’ouvrit le centre unique où tout converge…

Son poil roux brasillait de flambes me dardant…
– Moïse, c’est à vous, dans ce buisson ardent,
Que je songeais, frappant le doux roc de ma verge!

Q63 – T15