Archives de catégorie : Quatrains excentriques

Le grand soufflet gémit et le noir charbon fume, — 1891 (14)

Le concours de La Plume

Vers forgés

Le grand soufflet gémit et le noir charbon fume,
Voici que le foyer de la forge s’allume,
J’aime le forgeron qui soude sur l’enclume
A grands coups de marteau les fers incandescents.

Le métal obéit à ses efforts puissants
Et son travail joyeux a de mâles accents.
J’aime aussi l’écrivain qui soude avec la plume
Les mots de notre langue en groupes frémissants.

Il les prend dans le rêve éthéré, dans la boue,
Il va pour les chercher au fond de l’univers,
Puis il les réunit, les disjoint, les secoue,

Les assemble en paquet, les attache, les noue
L’un à l’autre, à sa guise, à l’endroit, à l’envers,
Et l’on trouve la vie humaine dans ses vers.

aaab bbab – T18

Je les ai donc encor les grands regards candides — 1890 (34)

La France moderne

Décubridor

Je les ai donc encor les grands regards candides
Vers les chers infinis à jamais en allés,
Les purs regards d’hier aux lumières limpides
Comme les horizons aux clartés des matins.

J’ai trop longtemps été dans de îles fiévreuses
Au tourbillonnement de parfums affolés.
Je les ai trop connues les fleurs cadavéreuses
Qui croissent sous la mort des ciels adamantins.

J’ai soif vers les fraîcheurs, vers les bonnes fraîcheurs,
Et, les yeux entrevus éperdus d’innocence :
Pour goûter le bonheur des calmes Labradors

Je voguerai longtemps sous des cieux d’espérance
En la foi d’aborder aux lontaines douceurs.
Car je porte le cœur des grands décubridors.

(Théodore Falen)

abab’ a’ba’b’ T38  disp :4+4+3+2+1

L’abdomen prépotent des bénignes cornues — 1888 (20)

– ? Le Décadent

« Un sonnet d’Arthur Rimbaud »

Les cornues
Les cornues au long des tablettes, les petites larmes de grès blanc, blanches comme les plus blancs des corps de femmes ….

L’abdomen prépotent des bénignes cornues
Se ballonne tel un ventre de femme enceinte.
Es-dressoirs, elles ont comme des airs de sainte
Procession vers quel Bondieu? de plages nues …

Et leur Idole, à ces point du tout ingénues
Pèlerines  c’est des Gloires jamais atteintes,
O la Science! Phare inaccessible …
………………………………
……………………………..

Mais c’est dans l’âpre Etna de vos nuits, ô Cornues!
Que mûrit le foetus des Demains triomphants! … –
O Vulve! De leur bec tel des sexes d’enfant

Et volute du Flanc telles les lignes nues
Du pur Torse de l’Eve aux rigidités lisses:
S de leur col fluet comme de jeunes cuisses!

Ce miraculeux sonnet, si fâcheusement mutilé, est d’une époque incertaine. Disons cependant que de bons juges l’estiment, en raison du ton général de la pièce et de sa facture tourmentée, contemporain des dernières Illuminations – N.D.L.R.

abba ab..– T30

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande, — 1886 (19)

D. Mon Les Bengalis


Villégiature

C’est l’été. Le sentier que la ronce enguirlande,
Où l’églantine pâle et le volubilis
Accrochent leurs bouquets aux sombres tamaris,
Semble, par le soleil, une fraîche oasis.

Un ânon va, très fier de sa riche provende,
Portant l’enfant qui rit, lui parle et le gourmande,
Juché haut, entre deux grands paniers de marchande,
Emplis et débordant du plus charmant fouillis,

Où bluets, blonds gramens, rustiques pâquerettes
Campanule bleutée aux rustiques fleurettes,
Mauves myosotis, coquelicots ardents

Font un nid d’où surgit une tête mutine,
Que, sous le grand chapeau de paille l’on devine,
Jolie, ayant le rire à ses petites dents.

abbb aaab – T15

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement — 1885 (5)

Ernest d’HervillyLes bêtes à Paris – 36 sonnets –

Les cygnes

Pourquoi, dans ces bassins que le gouvernement
Fait toujours en été vider complêtement,
L’autorité met-elle avec acharnement
Un cygne?

Serait-ce pour permettre au poète rêveur
De l’égorger, afin d’ouïr plein de ferveur
Son chant suprême? Alors, mais c’est une faveur
Insigne?

Doit-il nous rappeler que Jupiter jadis
Trouva bon d’endosser un plumage de lys,
Pour se montrer sur l’eau, comme sur terre, ingambe?

Non, c’est pour qu’un papa rabâche à ses enfants
Qui le répèteront aux leurs, tout triomphants:
« D’un coup d’aile, ça peut vous casser une jambe! ».

aaab a’a’a’b – T14 – 2m (2s: v.4, v.8 )

Voici venir le Soir, doux au vieillard lubrique. — 1883 (10)

Jules LaforgueLe sanglot de la terre

La première nuit

Voici venir le Soir, doux au vieillard lubrique.
Mon chat Mürr accroupi comme un sphinx héraldique
Contemple, inquiet, de sa prunelle fantastique
Marcher à l’horizon la lune chlorotique.

C’est l’heure où l’enfant prie, où Paris-lupanar
Jette sur le pavé de chaque boulevard
Ses filles aux sein froid qui, sous le gaz blafard
Voguent, flairant de l’oeil un mâle de hasard.

Mais, près de mon chat Mürr, je rêve à ma fenêtre.
Je songe aux enfants qui partout viennent de naître.
Je songe à tous les morts enterrés aujourd’hui.

Et je me figure être au fond du cimetière,
Et me mets à la place, en entrant dans la bière,
De ceux qui vont passer là leur première nuit.

aaaa bbbb – T15

Devant l’ex-Napoléon-un — 1880 (23)

Cabriol in L’Hydropathe

Maurice Petit*

Devant l’ex-Napoléon-un
Il fait, le dimanche matin,
Ronfler, sous une dextre main,
Pour charmer maint, et maint et maint

Nez d’argent, que jadis la treille
Avait bourgeonné, mainte oreille,
Aux oreilles de sourd pareille,
L’orgue ! et pour cela j’appareille

Au plus haut mat de perroquet,
Le pavillon roux, bleu, blanc qu’est
Le pavillon du vrai courage.

A Maurice Petit je bois
Pour vouloir bien rajeunir d’âge
L’Invalide à la têt’ de bois.

* organiste aux Invalides

aaaa  bbbb T14  octo  on remarque la rime ‘un/ matin’

– ‘Et la vie, et l’amour, de mes voûtes profondes, — 1874 (6)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Une page

– ‘Et la vie, et l’amour, de mes voûtes profondes,
En d’innombrables feux s’épanchent sur les mondes:
Le soir, au front penseur, au poète enfiévré,
La lune doucement verse ses clartés blondes:

L’étoile aime, et sourit au coeur énamouré.
Roi du jour, le soleil, des sphères adoré,
Prodigue des baisers qui les rendent fécondes.
Tout germe, croît, fleurit sous son regard doré! … » –

C’est ainsi qu’aux lueurs d’une nuit étoilée,
L’Idéal traduisait à mon âme affolée
Les trésors que contient ta page, ô Firmament!

Et je dis: l’égoiste est des êtres le pire.
Pourquoi regarde-t-il si bas qu’il ne peut lire
Le ciel, où la Nature écrivit: dévoûment? …

A.Marc

aaba bbab – T15

Dans notre chambre, un jour, nos fenêtres bien closes, — 1872 (34)

–  Cabaner

Souhait

Dans notre chambre, un jour, nos fenêtres bien closes,
Si tu veux, tous les deux, seuls, nous allumerons
Deux longs cierges de cire, et nous reposerons,
Sur un riche oreiller mol et blanc, nos deux fronts.

Et sans avoir recours au parfum lourd des roses,
Rien qu’avec les senteurs funèbres que ton corps
Répand lorsque, la nuit, il livre ses trésors,
Nous nous endormirons et nous resterons morts.

Et nous resterons morts avec des chastes poses
Afin qu’on puisse dans les plus pudiques temps,
Raconter notre mort, même aux petits enfants,

Et nous représenter en des apothéoses,
Couchés l’un près de l’autre et sans s’être enlacés,
Comme une épouse et son doux seigneur trépassés.

abbb ab’b’b’ – T30 – y=x (c=a) 

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle. — 1869 (27)

Edouard Pailleron Amours et haines

L’hirondelle

Oui, madame, je vois que vous êtes très-belle.
Madame, regardez là-haut cette hirondelle:
Pour la grâce du vol, c’est un oiseau sans pair.
N’est-elle pas jolie, alors que d’un coup d’aile,

Dans les rayures d’ombre et dans le soleil clair,
Elle passe en criant, vive comme l’éclair,
La faucheuse d’azur? et dirait-on pas d’elle
La navette de jais d’un tisserand de l’air?

Votre oeil aime à la suivre où son vol s’évertue;
Vous croyez qu’elle joue? Hélas! non, elle tue!
Sa souplesse et un charme et son charme un moyen;

Dieu la fit pour séduire et pour tuer ensemble…
Sauriez-vous d’aventure à qui l’oiseau ressemble?
Moi, je ne le sais pas, si vous n’en savez rien.

aaba bbab – T15