Archives de catégorie : Tercets

Ors et décors, simili marbre et chrysoprase, — 1960 (2)

Paul Morin Géronte et son miroir

Ciné

Ors et décors, simili marbre et chrysoprase,
Obligeant clair-obscur, contacts accommodants …
Assise près de moi, lourde de chair et d’ans,
La dame blonde bave en haletant d’extase.

Quand Némorin se plaint du désir qui l’embrase
Et qu’Estelle choit sur des gazons imprudents,
Le plaisir fait claquer ses aurifères dents
Et suinte de ses flancs comme l’huile d’un vase.

Elle hume le suc, mieux que fraise en avril,
De ce film inconcevablement puéril,
En hennissant, telle la jument de Xaintrailles ;

Et l’air chaud déplacé par ses lombes puissants
Evoque cette odeur de jasmin et d’entrailles
Des chambres où les morts sont gardés trop longtemps.

Q15 T14  y=x :e =b

Visage pur, comme une treille au doux conseil, — 1960 (1)

Jean Le Louët Premiers sonnets

Licorne
Pour Anita

Visage pur, comme une treille au doux conseil,
Qui, l’iris dépouillé, cherche l’ombre du miel.
Visage pour moi seul, tel une eau qui s’épuise,
Nuançant sa pâleur d’autres ombres surprises.

A peine reconnu par une main vivante,
Les yeux plus délicats versent l’âme mouvante
A l’infini de l’être, à la mer qui s’éteint
Au beau lys étirant la gorge avec les seins ;

Car le cœur d’aussi blanche innocence s’exile
Au sommet d’une tour très soumise et fragile ;
Et l’on voit l’astre d’or de vos yeux sur son île

Traverser les rayons de pourpre de la bouche,
Et chercher dans le rêve un reflet de sa couche
Où vous dormez sans voix, puisque votre voix brille.

Q55  T4

Que d’élégantes chairs habillent ton squelette! — 1959 (6)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

L’astronome du navire ‘Sylvaine’

Que d’élégantes chairs habillent ton squelette!
O dentelle absolue, toute solidité;
L’Armature – et ton sein se gonfle de beauté
Navire d’existence à l’utile toilette.

Heureux qui dans tes bras suit voiles et voilettes
Qu’il brise enfin la coupe au vin d’anxiété
A dénouer ton corps de l’ivoire habité
Tes courbes et son bras que marie la tempête.

Plus heureux l’astronome accepté par tes yeux
Les souffles de choisir pour ta poitrine avide
Et converser avec tes yeux silencieux,

Changeants, folle toilette au plus humain des vides.
Elu, pour choisir vents et courants, sans mentir
J’irais droit à l’apothéose où t’engloutir.

Q15 – T23

Maint passé par tant de couloirs — 1959 (5)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

Cheminée

Maint passé par tant de couloirs
Riches d’affres en lourds trophées
Part fumant à chaque bouffée
Dont s’allume un l’autre nos soirs.

Feu, des orgueils chambre! où surseoir
– Chambre un rien l’isole étouffée –
Aux serres jusqu’au bout chauffées
Du rien cher qui console un loir.

Torche ô fulgurant nécessaire…
Moi le tien en branle. Abandon:
Il a chu le sépulcre dort,
Nos nuits blanches nous agrippèrent.

Chambre où fumée en désaveu
De nos feux en immortel vœu.

Q15 – T30 – octo – disp: 4+4+4+2

Au sein du sang quel déchiré drapeau — 1959 (2)

Olivier LarrondeRien voilà l’ordre

A ma bête noire
(tracé au fouet)

Au sein du sang quel déchiré drapeau
Intérieur (comme un poison dans l’air)
Se mord la queue si je claque ta peau
Comme un sourd de soif – Moïse ô désert.

Les purs profils dont les cuirs m’auréolent
Maîtrisent seuls – oui  c’est ta proie que moi;
Eux forcent moins, en musicaux émois,
Ton noir que l’air, timidement créole.

De destinée l’innocent contrepoint
Se zébra-t-il d’humaines discordances
Gestes, gifles dédoublées aux doigts joints

Ma solitude inséparable danse
Dompté défroissons dompteur ce grimoire Cinglé:
la dentelle étreint ses loups noirs.

Q60 – T23 – 10s – disp: 4+4+4+2

J’ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd, — 1958 (19)

Guillevic sonnets : ed.1999

pour Jean TARDIEU

J’ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd,
Un assez gros caillou pour qu’on le nomme pierre,
Ramassé l’an dernier près d’une sablière,
Couleur de longue pluie ainsi qu’était ce jour.

Je veux savoir de lui si je suis son recours,
Mais il répond toujours de façon outrancière,
Comme s’il refusait le temps et la lumière,
Comme un qui voit le centre et boude l’alentour,

Qui n’aurait pas besoin de se trouver soi-même
Et de chercher plus loin qu’on l’accepte ou qu’on l’aime,
Qui n’aurait le besoin, plutôt, de rien chercher.

Nous toujours à l’affût, toujours sur le qui-vive,
Nous qui rêvons de vivre une heure de rocher,
Cherchons dans le caillou la paix des perspectives.

Q15 – T14 – banv

Nous avons en commun de la terre et du temps, — 1958 (18)

Guillevic sonnets : ed.1999

pour Jean FOLLAIN

Nous avons en commun de la terre et du temps,
Des sentiers et des prés debout près des villages,
Des caves, des greniers creusés dans d’autres âges,
Des insectes rêvant l’attaque en attendant.

Nous avons en commun la teneur du dedans
Des chambres, des coins d’ombre et des objets d’usage,
Une espèce de puits où sont les paysages
Et le besoin de retenir tous les partants.

Presqu’un même soleil, pas la même lumière,
Je te vois là, pleurant sur la mort coutumière,
Plus d’étrange dans ton pays que dans le mien.

Follain, mon vieil ami, même un peu mon complice,
En ce jour accompli, je te donne mon bien,
Le vol d’une alouette et son chant de délices.

Q15 – T14 – banv

Ils allaient avec toi sur les souches premières — 1958 (15)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

Les petits chemins que prennent les bûcherons dans la montagne

Ils allaient avec toi sur les souches premières
Relever les destins des ancêtres en bois
Plus figés que ne sont les derniers réverbères
Et croyaient voir ici un chêne ou deux ou trois

Ils avaient découverts les rûs hypothécaires
Dont se gargarisait un autrichien matois
Mais lorsque l’on voulait retrouver les rivères
On s’égarait alors dans la mare aux patois

Ils iront avec toi le long de la clôture
Piétiner lourdement un sentier mal pavé
Entre des talus verts sans nulle architecture

Quand dépasseront-ils enfin toute nature
Sans que s’étale même un fond d’humanité ?
Tout arbre est insolent non moins que la toiture

Q8  T20

A quoi bon ? me disais-je. A quoi bon ? A quoi bon ? — 1958 (14)

Raymond Queneau – (sonnets écartés des sonnets de 1958)

Mon adolescence immédiatement présente

A quoi bon ? me disais-je. A quoi bon ? A quoi bon ?
(Car je me croyais né d’une couple d’andouilles.)
Je me grattais le corps du nez jusqu’aux couilles.
« Ah ! que je suis ! (me disais-je) Ah ! que je suis con !

As-tu vu le homard au frais parmi les nouilles ? »
Non ! je l’avais pas vu ! j’étais pourtant planton …
Alors tu aperçois dans la plaine des douilles ?
(J’étais mauvais tireur au fusil à piston …)

Ah ! lài lài mais tout ça ce n’est que souvenir !
Je ne supportais plus le passé dans mes songes
Et je levais le poids des regrets … un soupir ..

A quoi bon ! me disais-je Est-ce que le tapir
Vole beaucoup plus haut que ne font les éponges ?
Peut-être ces questions n’ont aucun avenir

Q17  T17