Archives de catégorie : Tercets

Pour soulever un poids si lourd, — 1855 (13)

Baudelaire in Revue des deux mondes

Le guignon

Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage!
Bien qu’on ait du coeur à l’ouvrage,
L’Art est long et le Temps est court.

Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon coeur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres.

– Maint joyau dort enseveli
Dans les ténèbres et l’oubli,
Bien loin des pioches et des sondes;

Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes.

Q63 – T15 – octo


Connais-tu le pays où fleurit l’oranger? — 1855 (12)

Alfred BusquetLe poème des heures

(Septième heure)

Connais-tu le pays où fleurit l’oranger?
Où, parmi les fruits d’or, à l’abri de sa feuille,
Le bouton embaumé naît, grandit et s’effeuille,
Emplissant de parfums le retrait bocager.

Oh, c’est là qu’il est doux de vivre et de songer,
Que nos jours, comme un fruit ruminant que l’on cueille,
Comme un flôt murmurant que l’océan recueille,
Couleront vers la tombe avec un pied léger.

Cependant que la nuit blonde et tout éveillée
Luise: le rossignol chante dans la feuillée,
Le ver, dans le gazon, allume son fanal.

Soudain le ciel plissé, paupière qui frissonne
Au bord de l’horizon d’un éclat sidéral,
Rougit; il fait plus chaud – le vent se lève … il tonne.

Q15 – T14 banv

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle; — 1855 (10)

Auguste Brizeux Histoire in oeuvres vol II 1884 –


Formes et pensées, II

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle;
Mais toi, divin Toscan, chaste et voluptueux,
Tu choisis, évitant tout rythme impétueux,
Pour ta belle pensée une forme humble et belle.

Ton poème aujourd’hui par des charmes m’appelle:
Vase étroit mais bien clos, coffret, plaisir des yeux,
D’où s’exhale un parfum subtil, mystérieux,
Que Laure respirait, le soir, dans la chapelle.

Aux souplesses de l’art la grâce se plaisait,
Maître, tu souriras si ma muse rurale
Et libre a fait ployer la forme magistrale;

Puis, sur le tour léger de l’Etrusque, naissait,
Docile à varier la forme antique et sainte,
L’urne pour les parfums, ou le miel, ou l’absinthe.

Q15 – T30 – s sur s

La mode est au sonnet; et ce n’est pas dommage; — 1855 (9)

Emile Grimaud Fleurs de Vendée

Le Sonnet

La mode est au sonnet; et ce n’est pas dommage;
Moi, je m’en réjouis et je dis hautement
Que le sonnet mérite en tout point notre hommage,
Que Despréaux eut tort d’en faire un vrai tourment.

Un sonnet! C’est léger comme un léger ramage;
C’est une étoile d’or qui passe au firmament;
C’est un cristal limpide où se peint une image,
Pétrarque l’adopta, je l’aime infiniment.

Tandis qu’avec les fleurs il se joue et lutine,
C’est un beau papillon qu’une main enfantine
Ose à peine toucher, tremblant de le ternir;

Enfin, c’est un anneau, religieux emblême,
Que le Poête met aux doigts de ceux qu’il aime,
Pour que de lui toujours ils gardent souvenir.

Q8 – T15 – s sur s

Je dansais avec vous, vous qu’en tremblant je nomme; — 1855 (8)

Jules Marchesseau Les croyances

Sonnet à mlle Cécile de ***

Je dansais avec vous, vous qu’en tremblant je nomme;
Vous me disiez: ‘ J’ai vu R*** aujourd’hui. »
Et, si de trop d’éclat vos yeux bleus n’avaient lui,
Je vous eusse conté le propos d’un grand homme:

– Un jour qu’en Ibérie il allait, plein d’ennui,
César, voyant un bourg pauvre et laid devant lui,
Dit à ses compagnons: « J’aimerais mieux, en somme,
Etre ici le premier que le second à Rome. »

– De César et de vous les titres sont égaux,
Car génie et beauté portent un diadème:
Cécile aux blanches dents, penseriez-vous de même?

Vous plairait-il aussi régner sur nos hameaux
Plutôt que?  – Mais, hélas!, pour être au rang suprême,
Vous n’avez pas besoin d’abandonner Bordeaux

Q18 – T28

Dans un album gothique au fermail blasonné, — 1855 (7)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Gothique

Dans un album gothique au fermail blasonné,
Vrai bijou de prie-Dieu, digne du Roi René,
Portant sur son velours, avec ma croix de sable,
Votre Lion rampant, de sa couronne orné,

Sur un vélin d’azur et d’or enluminé,
Où brilleraient Jésus et la Bible et la Fable,
Je voudrais chaque soir, ô Baronne adorable!
Fleuron aux cent couleurs dessiner un sonnet.

Etincelant écrin, trésor de ciselure,
Un vers seul vaudrait mieux qu’un tableau de Mignard,
Vers mignon, mignardé plus qu’une miniature.

J’émaillerais si bien la rime et la césure,
Sur mon cadre sculpté j’épuiserais tant d’art
Qu’au milieu je pourrais peindre votre figure.

aaba abba – T17

Je suis fort amoureux, non de vos yeux, madame, — 1855 (6)

Marc du Velay Les Vélaviennes


Au plus joli pied
« Ce n’est pas vous, non, madame, que j’aime » Théophile Gautier

Je suis fort amoureux, non de vos yeux, madame,
Non de vos doigts menus et blancs comme le lait,
Du limpide sourire où se trahit votre âme,
De ce front gracieux d’un doux rêve voilé,

De vos sourcils d’ébène à la courbe si pure,
De ce cou délicat, arrondi, potelé,
Des brillants anneaux d’or de votre chevelure,
De ce bras, vrai bijou, si beau sans bracelet,

Non de ce grain charmant, antithèse qui joue,
Perle de jais éclose au lis de votre joue,
Ou du noble profil de ce nez aquilin …

Non! mais je rimerais vingt rondeaux, dix poèmes,
Je traduirais en vers Cirrode et ses poèmes,
Pour tenir votre pied rose et nu dans ma main.

Q38 – T15 la rime ‘b’ est incorrecte

Madame, j’aime fort les châteaux en Espagne, — 1855 (3)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Une chaumière et la mer

Madame, j’aime fort les châteaux en Espagne,
Seul au coin de mon feu j’en bâtis quelquefois;
Mais je n’en fais jamais d’aussi charmants, je crois,
Que notre humble chaumière au fond de la Bretagne.

Elle est toute de joncs, de mousse, et je la vois
Si bien, qu’assez souvent j’espère en ce beau rêve;
Et je me dis: peut-être, au bord de quelque grève
Est-il un doux abri que Dieu fit pour nous trois.

Que nous serions heureux! Vous iriez sur la plage
Cueillir la nacre verte au brillant coquillage,
Camille chasserait plus loin dans les taillis,

Et moi sur un vieux roc noirci par les orages
Je vous griffonnerais d’effrayants paysages …
Et voici le sonnet que je vous ai promis!

Q48 – T15 ‘plage’ et orages ne riment que pour l’oreille

D’une pâleur de mort sa face se voila. — 1855 (2)

Marc du Velay Les Vélaviennes

Eola

D’une pâleur de mort sa face se voila.
Courbé sur le rocher, d’un geste il déroula
Le manteau qui volait au bord de son épaule
Et cacha sous les plis la lyre qui console.

Ses cheveux, éclairés d’une ardente auréole,
Sur l’abîme pendaient comme les pleurs d’un saule,
Et sa voix appela par trois fois: Eola!
Une autre voix de loin répondit: me voilà!

Et sur le gouffre rouge où nul espoir ne tombe
J’aperçus Eola, la céleste colombe:
– Ange que j’ai jeté dans l’horreur de ces lieux,

Cria celui qui porte un sombre diadème,
Le Seigneur te pardonne et te rappelle aux Cieux.
– Je préfère l’enfer, dit Eola, je t’aime!

Q6 – T14

Un sonnet est bien peu de chose: — 1855 (1)

Marc du Velay (Auguste Blanchot) Les Vélaviennes


Le Sonnet

Un sonnet est bien peu de chose:
Un souffle qui s’envole, un soupir, un accord;
Une larme de pluie aux feuilles d’une rose;
Un vacillant rubis que suspend un fil d’or.

C’est un cadre de nacre ouvragé jusqu’au bord
Serrant d’une Péri la figurine rose.
Dans l’urne de cristal, que d’eau tiède on arrose,
C’est d’une fleur d’Alep le fragile trésor.

C’est moins que tout cela; c’est une folle rime,
Quatorze papillons qu’à saisir on s’escrime:
C’est un tour de souplesse et rien de plus ma foi!

Cependant, jeune fille, en ces heures d’extase,
Où l’âme s’affranchit du rythme et de la phrase,
J’ai rimé des sonnets pour toi.

Q10 – T15 – 2m (octo: v.1 &14) – s sur s