Archives de catégorie : Tercets

Ami des malheureux, que le grand jour opprime, — 1842 (3)

Jules Le Fèvre-Deumier Oeuvres d’un  désoeuvré

L’énigme du secret

Ressemelage d’un vieux sonnet de Gombaud

Ami des malheureux, que le grand jour opprime,
Le silence et la nuit me rendent seuls parfait:
On m’accuse parfois de protéger le crime,
Et j’ôte, en m’éclairant, de l’éclat au bienfait.

Complice nuageux de leur plus doux méfait,
Les femmes n’ont pour moi qu’une assez mince estime.
Plus d’une cependant, quand mon poids l’étouffait,
N’a sauvé, que par moi, son honneur de l’abîme.

On prétend que je suis difficile à trouver:
Je le suis plus encor peut-être à conserver;
Mon nom, comme mon sort, me défend de paraître.

Les curieux me font à tout propos la cour;
Les fous! C’est me tuer, que vouloir me connaître:
Loin de vivre, je meurs, dès que je vois le jour.

Q11 – T14


Je passe chaque jour près de l’Assomption, — 1842 (2)

Alfred Philibert Les étincelles


Sonnet

Je passe chaque jour près de l’Assomption,
Et, chaque jour, à l’heure où, pour des funérailles,
Un drap noir à pleurs blancs en couvre les murailles,
Où quelque mort attend la bénédiction.

Toujours le même chiffre, et les mêmes couronnes;
Toujours mêmes discours, toujours même attirail;
Toujours de bruns cochers aux faces monotones
Traînant le même char vers le même portail.

O pompes du trépas, qu’on vous rend ridicules!
Faut-il que l’étiquette et que la vanité
Sur le bord de la tombe aient encor leurs scrupules?

Que tu vaux mieux cent fois, cloître des Camaldules*,
Où, se creusant leur fosse et dormant à côté,
Des moines sont toujours prêts pour l’éternité!

Q62 – T18 – quatrains abba  a’b’a’b’ mais (remarque gef: les rimes masculines du premier quatrain deviennent féminines au deuxième) (on pourrait noter: abba a*b*a*b*)

Membres d’un ordre religieux qui eut pour origine la fondation d’un ermitage à Camaldoli, dans la haute vallée de l’Arno, en Toscane, vers 1023, et qui constitue une des plus durables réalisations, avec la Chartreuse et Grandmont, du puissant courant érémitique dont les manifestations furent nombreuses au XIe etau XIIe siècle.

Ne regardons jamais de femme dans la rue; — 1842 (1)

Alfred Philibert Les étincelles

Sonnet

Ne regardons jamais de femme dans la rue;
La femme nous fait mal et fuit en nous frappant;
Son regard nous fascine et son souffle nous tue:
C’est l’oeil et le dard du serpent.

Ces rencontres souvent nous laissent l’âme émue;
On en sourit d’abord; plus tard on s’en repent.
Le démon a toujours quelque ruse inconnue;
Il ne nous perd qu’en nous trompant.

On rentre tout mouillé sans songer à la pluie;
On ouvre sur la table un livre commencé;
Mais au second feuillet le livre nous ennuie.

On chante; on se promène; on se couche lassé;
On se tourne en rêvant vers une image enfuie.
Le beau soir que l’on a passé!

Q8 – T20 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Les vers courts marquent les quatrains et le dernier vers.

Les vers pour vous, Madame, à flots, viennent pleuvoir — 1841 (15)

Pierre Battle Poésies

Le miroir poétique
(écrit sur l’album de Madame G. de F.)

Les vers pour vous, Madame, à flots, viennent pleuvoir
Dans ce coquet album ; d’hommages on l’inonde.
Chaque urne poétique à ce pur réservoir
Est fière de porter un tribut de son onde.

Et vous, ange en exil au désert de ce monde,
Sur ce livre penchée, il vous est doux de voir
Votre image se peindre et flotter, rose et blonde,
Dans le cristal du vers, comme dans un miroir.

Oh ! je l’aurais aussi, moi, cette fantaisie
De faire, sous vos yeux, couler ma poésie ;
Mais c’est un flot amer ne roulant que des pleurs ;

A votre beauté pure il faut d’autres poètes ;
Ce n’est pas au ruisseau troublé par les tempêtes
A réfléchir le ciel, les astres et les fleurs.

Q11  T15

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! » — 1841 (14)

Michel Florestan in Les écrivains de la mansarde

Sonnet

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! »
Et qui, nous voyant seuls, sur les bords du chemin,
Comme des passereaux blottis contre l’orage,
Nous avez appelés en nous tendant la main ;

O vous ! qui n’avez pas détourné le visage
Afin de ne pas voir, et cruels à dessein,
Sur des pauvres enfants jeté comme un outrage
La froide raillerie et l’orgueilleux dédain ;

Merci de cet amour, frères, qui nous console,
Et nous rend l’espérance … Une douce parole,
Un serrement de main calme bien des douleurs !

Mais pour comprendre ainsi nos regrets et nos pleurs,
Vos yeux ont dû verser des larmes bien amères !
Car les larmes sont sœurs ainsi que les misères.

Q8  T15

Seul, mais armé toujours d’un sévère examen, — 1841 (13)

Eugène Orrit Les soirs d’orage

Doute

Seul, mais armé toujours d’un sévère examen,
Et laissant loin de vous chaque ornière choisie,
Par la foule, de doute et de crainte saisie,
Vous alliez dans la nuit en étendant la main.

Et lorsque vous cherchiez ainsi votre chemin,
Vous vites se lever, dans la brume obscurcie,
L’étoile de Fourier, cet étrange Messie,
Ce penseur effrayant au craâne surhumain.

Depuis lors, méditant sur le nouveau symbole,
Vous voulez l’éclairer d’une ardente parole,
Car vous avez le foi, car vous vous sentez fort.

Heureux celui qui voit enfin dans sa pensée
Rayonner l’espérance autrefois éclipsée
Et sait le but suprême où tend tout son effort.

Q15  T15

Jeune femme, aux grands yeux, à la pâle beauté, — 1841 (12)

Edouard Gout-Desmartres Gerbes de poésie

Sonnet-épilogue

Jeune femme, aux grands yeux, à la pâle beauté,
Oiseau dont l’oiseleur a lié les deux ailes,
Flambeau dont un vent froid glace les étincelles,
Trésor que dans sa tour l’avare a transporté.

Jeune femme au front pâle, au regard attristé,
J’ai compris votre sort et vos larmes cruelles :
Mais je connais un cœur dont les élans fidèles
Veulent mettre un soleil dans vos cieux de clarté.

Ma Muse qu’un soupir plus que la joie attire,
Loin du monde souvent médite et se retire
Là, pour celui qui souffre elle a des chants sacrés.

A vous ses derniers vœux et son dernier hommage ;
Et lorsque vous lirez ce livre, à chaque page
Lisez le mot divin qui vous dit : « Espérez ! …. »

Q15  T15

J’aime, seul et pensif, à m’égarer le soir, — 1841 (11)

Agathe Baudouin Rêveries sur les bords du Cher

Sonnet traduit de Pétrarque

J’aime, seul et pensif, à m’égarer le soir,
Dans les prés, sur les monts où règne le silence,
A l’abri du rameau que la brise balance
En fuyant les humains, heureux je viens m’asseoir.

Ignoré, je jouis des biens que le pouvoir
Ne laisse pas aux rois, que partout on encense
Et la joie, en mon cœur, se développe immense,
Libre de ces liens qui font mon désespoir !

Oh ! je veux désormais, aux sources du génie,
Aux torrents, aux forêts, abandonnant ma vie
Ainsi la dérober au regard des mortels.

Mais puis-je, hélas ! toujours être fier et sauvage ?
L’amour ne peut-il pas, errant sur ce rivage,
M’entraîner en esclave aux pieds de ses autels ?

Q15  T15  tr (Pétrarque xxxv : ‘solo e pensoso…)

Oh ! que je te bénis, ma belle bien aimée ! — 1841 (10)

Moyse Alcan Noéma

Sonnet à Noéma

Oh ! que je te bénis, ma belle bien aimée !
Mon âme qui dormait par toi s’est ranimée,
Et les jours qu’en soucis je passais tristement,
Comme des rêves d’or s’écoulent maintenant.

Gloire, honneur et plaisir, fortune, renommée,
– Vaines illusions dont la vie est semée,
D’un amour éternel valent-ils le serment,
Et le bonheur promis dans ton regard d’aimant ?

Oh ! redis-moi souvent ces deux mots là : Je t’aime !
Ces mots harmonieux qu’envîrait Dieu lui-même,
Et dont je me souviens les yeux baignés de pleurs !

Redis les pour ces jours où la cruelle absence
Va condamner, hélas ! notre bouche au silence,
Sans l’imposer jamais à la voix de nos cœurs !

Q1  T15 Auteur d’un sonnet à la gloire de Louis XVI qui aurait eu ‘de la pitié pour les juifs’ !

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant, — 1841 (9)

Frédéric Durand fils, épicier La Muse occitanique

Le Troubadour

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant,
Murmurait mollement dans la verte aubépine,
Les oiseaux se taisaient dans les buissons du champ,
Et les échos dormaient au fond de la colline.

Il chantait, les oiseaux oubliant leur penchant
Suspendaient le courant de leur onde argentine,
Et le jour indécis, aux bornes du couchant,
Trompait au rendez-vous l’amoureuse Delphine.

Et tout à coup du ciel la foudre s’abaissa,
Le chant finit ! bientôt quand l’amante passa,
Un luth ensanglanté frappa soudain sa vue.

Elle pleura log-temps ! depuis ce triste jour,
On entend là gémir quand la nuit est venue
Dans les cordes du luth l’âme du troubadour.

Q8  T14  rime incorrecte (vers 1 & 3)