Archives de catégorie : Tercets

A Douvres les douaniers ne m’ont pas cherché noise, — 1950 (2)

Henri Thomas Nul désordre

Victoria

A Douvres les douaniers ne m’ont pas cherché noise,
Je suis monté dans un compartiment désert
(Ce Grec enfin lâché) du train qui roule vers
Londres. Fumons en paix la dernière Gauloise.

Celui qui reste pur, attentif, énergique,
D’une ville à venir sera le géomètre,
Elle vient, la voici, c’est la cité de briques
Eparse dans le noir pendant vingt kilomètres.

Gares disparaissant avant d’avoir un nom,
Visages éclairés par des feux de charbon,
Entrepôts interminables en contrebas,

Un bus! Il m’a peut-être garé l’an dernier;
Des éclairages verts. Voici mon ici-bas,
Spiritualisons-le, quartier par quartier.

Q62- T14

Médite, l’œil fixé sur ce centre, la mort, — 1950 (1)

Georges JuéryJeux de mots en enfer

Inscriptions gnomiques

Médite, l’œil fixé sur ce centre, la mort,
Attente de la vie et de quoi? de la mort.
Tu seras libéré quelque jour par la mort,
Mais tu voudrais te sentir libre avant la mort.

Devenir libre enfin, mais non grâce à la mort
Surmonte tout désir: c’est prévenir la mort,
C’est alléger la vie en couronnant la mort.
Suicidé vivant, sache vivre ta mort.

Soupir de délivrance à finir cette vie
Et regret déchirant d’être privé de vie,
Qu’on tienne à tant de maux à cause de la vie!

Ce clin d’œil qui se veut éternel, c’est la vie.
Quelle folle se croit raison de tout? la vie.
O fille du chaos, son héritière, ô vie!

aaaa aaaa bbb bbb a: mot-rime ‘mort’ – b:mot-rime ‘vie’ Résurgence imprévue d’une vieille variante du sonnet pétrarquiste, où les mots-rimes alternants sont vita et morte.

Mon Baudelaire aimé verse son Chant d’automne — 1947 (11)

Armand Godoy Sonnets pour l’aube

VII

Mon Baudelaire aimé verse son Chant d’automne
Dans celui qu’aujourd’hui va remplacer l’hiver,
Et je revois soudain la chère mer bretonne
Qui sut prendre mon cœur mieux que nulle autre mer.

A-t-elle reflété ces yeux dont m’abandonne
Parfois le souvenir ? et de quel univers
Seraient-ils revenus, par ce soir monotone,
Me dire s’ils étaient jadis bleus, noirs ou verts ?

Là-bas, l’arbre transi dépose sa couronne,
L’hirondelle est partie, et le gazon frissonne.
D’autres ailes, ailleurs, frôlent le ciel couvert.

Le lierre pâlissant s’accroche à la colonne
D’un vieux temple détruit, et l’Angélus résonne
Tendrement … Etaient-ils, ces yeux, bleus, noirs ou verts ?

Q8  T15  y=x :c=a & d=b

Ma petite chérie est en tous points exquise. — 1947 (10)

Raoul Ponchon La Muse gaillarde

Sonnet de la petite chérie

Ma petite chérie est en tous points exquise.
Je n’imagine rien qui puisse en approcher.
Sa bouche, en s’y posant, ferait vivre un rocher,
Ses yeux dégèleraient la plus âpre banquise.

Elle parle, et voilà l’humanité conquise …
Mais ce n’est rien encore, il faut la voir marcher.
Elle marche, et la Grâce alors va se coucher;
Qu’elle aille se coucher, ou s’asseoir, à sa guise!

Le galbe de son corps, ai-je besoin, Messieurs,
De vous dire qu’il n’est rien d’autre, sous les cieux,
Qu’à Venus elle-même elle en pourrait revendre? …

Enfin, je ne sais pas, ô mes lecteurs dévots,
Si je me fais ici suffisamment comprendre:
Auprès d’Elle toutes les femmes sont des veaux.

Q15 – T14 – banv

Pour ne pas être seul durant l’éternité — 1947 (9)

Jules Supervielle Oublieuse mémoire


Sonnet
à Pilar

Pour ne pas être seul durant l’éternité
Je cherche au près de toi future compagnie
Pour quand, larmes aux yeux, nous jouerons à la vie
Et voudrons y loger notre fidélité.

Pour ne plus aspirer à l’hiver et l’été,
Ni mourir à nouveau de tant de nostalgie,
Il faut dès à présent labourer l’autre vie,
Y pousser nos grands bœufs enclins à s’arrêter,

Voir comment l’on pourrait remplacer les amis,
La France, le soleil, les enfants et les fruits,
Et se faire un beau jour d’une nuit coriace,

Regarder sans regard et toucher sans les doigts,
Se parler sans avoir de paroles ni voix,
Immobiles, changer un petit peu de place.

Q15 – T15

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire, 1947 (8)

Jules Supervielle Oublieuse mémoire

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire,
Que draines-tu au fond de tes sourdes contrées?
Est-ce donc là ce peu que tu donnes à boire
Ces gouttes d’eau, le vin que je te confiai?

Que vas-tu faire encor de ce beau jour d’été
Toi qui me changes tout quand tu me l’as gâté?
Soit, ne me les rends point tels que je te les donne
Cet air si précieux, ni ces chères personnes.

Que modèlent les jours ta lumière et tes mains,
Refais par-dessus moi les voies du lendemain,
Et mène-moi le cœur dans les champs de vertige

Où l’herbe n’est plus l’herbe et doute de sa tige.
Mais de quoi me plaignais-je, ô légère mémoire …
Qui avait soif. Quelqu’un ne voulait-il pas boire?

Q34 – T13 – disp: 4+4+4+2

Dans une contrée étrangère — 1947 (7)

Pierre-Jean JouveDiadème


Mandala

Dans une contrée étrangère
Entretien sur ce qui n’est pas:
Recherche du Nom sans personne
Et de la personne sans nom

Recherche des routes sans pont
Et de lacs où nulle eau ne sonne
Des temples bâtis sans lumière
Nuit où le soleil ruissela

Désir du membre sans moteur
De l’action sans corps de bête
De l’éternité sans pâleur

Et par le silence des fêtes
Faim du Souverain qui là-bas
Se dérobe dedans l’état.

abcc bcab – T23 – octo

Les objets ont l’immortelle tranquillité — 1949 (5)

Pierre-Jean JouveDiadème

Choses, I

Les objets ont l’immortelle tranquillité
Et l’immortel amour quand les relient les nombres
Entre l’antique ton la belle majesté
Du temps et le lieu pur l’espace en clair et sombre

Quand les formes sont nues ainsi la pleine chair
Consentante aux frissons, quand ressortent les songes
Des ornements secrets, quand un rayon d’éclair
Pressant chaque mémoire entre eux les fait répondre

Quand leur calme sortant pareil à l’oraison
Ils donnent au cœur d’homme avant qu’il ne les perde
Tout à coup sécurité consolation

Chacun est au plus haut dans les êtres qui sont
L’achèvement de leur mariage est leur superbe
Où Dieu pose la main sur la condition.

Q59 – T17

Un petit livre ouvert dont je cherche l’abord — 1949 (4)

Pierre-Jean JouveDiadème

Rêve du livre

Un petit livre ouvert dont je cherche l’abord
Est-il à le manger un abîme discord
Un livre avec du feu dans les plis et les lettres
Humides de sang rouge et comme veine ouverte

Où réconciliés sont amour et son manque
Et Dieu! et les baisers du pli et l’épuisante
Ascèse qui mélancolique bat la grève
De mourir et les cheveux langoureux et les lèvres

Le livre (est-ce le pli dévoré) s’ouvrira
Sur le massacre des amants par le poème
Et j’aurai toujours lu sa lettre avec fracas

Le livre de la chair et de Dieu abolis
En leur amour orgasme et seul esprit béni
L’unité d’un seul don dans les cuisses de femme.

Q57 – T25  (le vers 8 a 13 syllabes)

Folle douce, dans ses augures — 1949 (3)

Pierre-Jean JouveDiadème

Ophélie

Folle douce, dans ses augures
Celui qui t’adore n’a pas
Tant de mémoriales figures
Qu’il puisse pêcher vers le bas

Ta figure au fil des roseaux
Enfoncée dans le verdi charme
Des choses qui brouillent les eaux
Ont fait ta chute sans alarme;

Mais il gémit de ta nature
Sous les grands arbres du départ
Les vaches du palais où dure

La terreur profonde du dard
Amoureux, les remous d’oiseaux,
Et les bouches jusqu’aux tombeaux.

Q59 – T23 – octo