Archives de catégorie : Tercets

Avec sa grande voix hâlée, — 1933 (1)

Henri-Philippe LivetChants du prisme

Avec sa grande voix hâlée,
Le matin chante dans les vergues;
Le matin rit dans les huniers
Aux mille mouettes en exergue.

Il bondit la joue en plein feu,
S’éclabousse d’azur limpide
Et jette ses deux bras à Dieu
Qui sur l’abîme se décide.

Pour les pleureuses de rosée,
Pour les pleureuses de lumière,
Il bat d’étincelles les cieux,
Bouillonne aux profondeurs perlières.

Et des semis de fleurs d’étoiles
S’effacent au doigt ineffable
Qui passe lucide et songeur

Sur les brumes aux douces nacres,
Des lagunes roses et ocres,
Où, fluide, fuit un vapeur.

3Q: abab a’b’a’b’ a »b »a »b »– T15  octo

Sans plus tacher de plaire ou même d’émouvoir, — 1932 (4)

Natalie Clifford Barney in  Le Manuscrit autographe

4
SONNET

Sans plus tacher de plaire ou même d’émouvoir,
Laisse-moi m’approcher de toi, plus virginale
Que la neige ; apprends-moi ta paix impartiale,
Anéantis en moi la force et le vouloir.

Je veux cacher mes yeux, plus tristes que le soir,
A tes yeux ; oublier jusqu’au petit ovale
De ta face, et, mon front dans le frais intervalle
De tes seins, sangloter des larmes sans espoir.

Mes pleurs sont un poison trés lent que je veux boire,
Au lieu de mendier en quelque amour banal
L’ingrate guérison, l’aveuglement final…

Prés de toi mon désir se consume illusoire.
O mes regrets ! combien j’éprouve encor ce mal
De rêver au bonheur auquel on ne peut croire !

Q15 -T28 – c=a*, d=b*

Appelé bientôt à d’autres combinaisons, — 1932 (3)

Charles-Adolphe Cantacuzène Sonnets sans écho, etc.

Sonnet

Appelé bientôt à d’autres combinaisons,
J’y voudrais retrouver ce soir et ses merveilles,
Ce parc avec les miens, ces lumières vermeilles
Et vertus clair-obscur, ce lac & ses gazons.

Lune, peupliers, cygne et saule, exhalaisons,
C’est l’automne lunaire aux décadentes treilles,
Déjà; ce sont déjà, chers cœurs, les avant-veilles
Des soirs, des longs soirs où nous nous emprisonnons.

Ma femme, ma fille, oh! Aimons la douce automne
Qui se soir, dans ce parc, en passant nous redonne
Un peu de sa chaleur et de son franc parfum.

Dînons au bord du lac où cet automne rôde
Sous l’électricité du rayon calme et brun
Qui sort du temps, du lac et de la brume chaude.

Q15 – T14 – banv

Oh! ces nuages gris, sans fin, gonflés de grêle, — 1932 (1)

Alberte SolomiacLe mur de saphir

Averse

Oh! ces nuages gris, sans fin, gonflés de grêle,
Tout prêts à mutiler mes beaux carrés de lis,
Tout prêts à les cribler de leur mitraille grêle
Avec le tintement de leur sonnaille frêle.

C’en est fait! La nuée a crevé! Plus jolis
Les toits rouges ont pris des gris de tourterelle.
L’abeille a fui le cœur des frais volubilis.
Le paysage  est flou, les tendres verts salis.

Perverse avec fureur l’averse s’est ruée!
Au pied de mes lis purs des miroirs limoneux
Ne reflètent plus que leur grâce polluée.

L’enclos n’est qu’une flaque où noir, fuligineux
L’aspect du ciel s’enlise. Oh! par pitié! Qu’il fuse
De l’or, du bleu, trouant cette clarté diffuse!

abaa babb – T23

Ma brosse a son secret, ses poils ont leur mystère — 1931 (9)

Jean Bastia in Commoedia

Avers & revers
sonnet rimé au Salon d’Automne

Ma brosse a son secret, ses poils ont leur mystère
Le nez est dans la hanche et l’orteil au-dessus
Le sein exsangue est poire, et les deux font la paire,
Celle qui l’a posé n’en a jamais rien su.

Ah ! le portrait ne passe pas inaperçu !
Contre lui le public tout entier déblatère
Et j’entends des propos pour le moins délétères,
Je n’ai rien demandé, mais j’aurai tout reçu.

Pour Elle, qui posa ces chairs en palissandre,
Elle est aussi venue, elle a ouï l’esclandre
Que soulève au Salon mon étude de nu.

Et quoiqu’elle ait été mon unique modèle,
Elle a dit, en lorgnant ce tableau tout plein d’elle :
« Quelle est donc cette femme ? » … et n’a rien reconnu.

Q10  T15  arv

L’oiseau de flamme apporte un message. La grille — 1931 (8)

André Breton in Oeuvres (ed. pleiade, II)

L’oiseau de flamme apporte un message. La grille
Ne s’ouvre plus qu’aux doigts des anges menaçants.
Aux fenêtres du nords des violons cassants
S’accoudent et l’amour enlace un ciel qui brille.

Au large les bijoux et leur louche escarbille,
Les éventails de roche ou de verre, l’encens
Pourpre des baisers morts ! tous les êtres absents
Les beaux points cardinaux continuent leur quadrille.

C’est toi qui viens, immense aurore éternité
Je le sais, tu rendras ce qui fut habité
Plus muet qu’une fleur et plus douteux qu’un prisme.

Après moi qui n’aspire à toi que par dépit
Comme un papillon blanc au vague mimétisme
Un épi bleu se couche et c’est un noir épi.

Q15  T14 – banv
Dans ces deux sonnets (7-8) parfaitement banvilliens, d’écriture automatique, l’inconscient du poète s’est soumis à la forme stricte sauf que, patatras, le dernier vers du premier sonnet contient un énorme hiatus. Et les vers 12 et 14 du second riment de manière erronée. On ne joue pas sans risque avec l’inconscient !

L’amour sur le chemin dansait avec la peur — 1931 (7)

André Breton in Oeuvres (ed. pleiade, II)

L’amour sur le chemin dansait avec la peur
Car je portais le feu des étoiles aux vignes.
Il m’a fallu plus tard interpréter les signes
Des grands puits de pétrole et du désir trompeur.

Le jour se balançait, tendre comme un vapeur
Par-delà les talus couverts de fleurs malignes,
Les femmes qu’entrainait la lumière étaient dignes
De me guider brillant chèvrefeuille grimpeur.

Une aune de ruban merveilleux s’envolait
De chaque épave, un ciel fait de bouquets de lait
Aux apparitions donnait libre carrière.

Mon cheval approchait au galop de minuit
De ce poste le plus éloigné de la terre
Où depuis je suis mort et où mon âme luit

Q15  T14 – banv

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front — 1931 (6)

Gérard d’Houville Les poésies

Les amis

Jusqu’au jour où la mort me touchera le front
Je veux aimer les habitants du noir rivage
Ceux qui, trop tôt pareils aux fantômes sans âge,
D’un rêve inassouvi peuplent le Styx profond.

Oui. Je le sais. Plus tard, au jour ils rentreront
Continuant le livre ou finissant la page,
Jeunes gens, jeune femme, et ce même visage
Interrogeant l’amour qui jamais ne répond…

Mais, avant de renaître en ces forces futures,
Encore, attendez-moi sur les rives obscures.
Bientôt j’arriverai. Car je veux vous revoir

Amis de ma jeunesse! Et vous dire, ombre d’ombre,
Tout ce que, lorsqu’on vit, on n’a pas le pouvoir
D’exprimer, que l’on tait, et qui, dans l’âme, sombre …

Q15- T14 – banv

Oh! quand sous la nécrose —1931 (5)

Charles-Adolphe Cantacuzène L’au-delà de l’en-deçà

Sonnet

Oh! quand sous la nécrose
L’homme, encor plus vivant,
Souffre et se décompose
Et meurt énormément!

Mais le saint, cette rose,
En son embaumement,
Il ne se décompose;
Mais mort, il souffre tant!

Il souffre, le saint tendre,
De ne pouvoir attendre
Décomposition.

Les rayons de la grâce
Brûlent sur la surface
Du cadavre, glaçon.

Q8 – T15 – 6s

Ma vie a son secret, mon ventre a son mystère! — 1931 (4)

Albert Bouckaert Pastiches et parodies du sonnet d’Arvers in Revue Belge 15 mars 1931

Edmond Picard:

Ma vie a son secret, mon ventre a son mystère!
Un mal constipatoire en un banquet venu
L’accès est sans remède, aussi j’ai dû le taire
Et les pharmaciens n’en ont jamais rien su.

Hélas! J’aurai passé près d’eux inaperçu,
Toujours à leurs côtés et pourtant sans clystère.
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

Mais eux, quoique le sort leur fit l’oreille tendre,
Ils feront leur métier lucratif, sans entendre
Le bruit de ma colique élevé sur leurs pas.

A l’austère Codex, incessamment fidèles,
Ils diront, en lisant ces vers privés de selles;
 » Qui fut ce constipé? » mais ne le sauront pas.

Q10 – T15 – arv