Archives de catégorie : Tercets

Ni vu ni connu — 1922 (2)

Paul ValéryCharmes

Le sylphe

Ni vu ni connu
Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu!

Ni vu ni connu
Hasard ou génie?
A peine venu
La tâche est finie!

Ni lu ni compris?
Aux meilleurs esprits
Que d’erreurs promises!

Ni vu ni connu
Le temps d’un sein nu
Entre deux chemises!

Q47 – T15 – y=x : e=a – 5s – le vers 1 est repris deux fois

Parmi les brumes des lointains — 1922 (1)

Jean RichepinLes glas

Sonnet boustrophédon

Parmi les brumes des lointains
Vient de refleurir une flore
Multiforme et multicolore,
Aux tons naissants, peut-être éteints.

En sons d’angélus argentins
Est-ce que l’on chante, ou s’éplore?
Est-ce cette âme près d’éclore,
Celle des soirs ou des matins?

La nuit fonce et le jour éclaire
Ce doux instant crépusculaire
Qui n’est pas la nuit, ni le jour,

Et dont la splendeur vague et brève
Est pourtant l’éternel séjour
Où se plaît le mieux notre rêve;

Au papillon de notre rêve
Nul jardin n’est un bon séjour
Que celui dont la rose est brève.

Il faut à son amour d’un jour
La lumière crépusculaire
Douce, et qui pas trop n’éclaire. ?

Sinon, les flèches des matins
Le percent quand il vient d’éclore,
Et son glas dans nos cœurs s’éplore
En rosée aux pleurs argentins;

Car voici qu’à nos yeux éteints
Meurt son essor multicolore
Tandis que se fane la flore
Fleurie aux brumes des lointains.

Q15 – T14 + s.rev: ede dcc abba abba – octo – Palindromique par les rimes (et parfois le vers entier) – banv

Madame, de ce jour vous souvient-il encore — 1921 (18)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet serpentin

Madame, de ce jour vous souvient-il encore
Qui s’écoula pour moi si rapide et si doux,
Où, de l’aurore au soir et du soir à l’aurore,
Je ne fis que vous voir ou que penser à vous ?

Un bon feu pétillant dans le foyer sonore,
Dehors un temps de chiens orné d’un froid de loups,
Et moi les yeux fixés sur deux yeux que j’adore,
Sans fâcheux importuns et sans témoins jaloux ;

Et puis le soir, plein de mystère et de silence,
De vos lèvres faisant tomber la confidence,
Et tout bas dans mon cœur balbutier l’amour ;

Puis la nuit m’endormant sous le toit où vous êtes,
Pleine pour moi de trouble et d’angoisses secrètes…
Vous souvient-il encor, Madame, de ce jour ?

Q8 – T15  ‘sonnet serpentin’ : le dernier vers reprend plus ou moins le premier

Tu fus un bon bourgeois de ta petite ville, — 1921 (16)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Emmanuel Kant

Tu fus un bon bourgeois de ta petite ville,
Tu vécus solitaire et comme clandestin ;
Sans jamais réfléchir un horizon lointain,
Le ruisseau de tes jours coula calme et tranquille.

Mais tout jeune tu pris ton front pur dans ta main,
Dédaignant du dehors le tumulte stérile,
Et de tes yeux fermés le regard immobile
Traversa, net et froid, l’ombre du cœur humain.

Là, levant lentement les lourds voiles du doute,
Comme une lampe d’or pendue aux saintes voûtes,
Tu vis la Loi-Devoir écrite en traits de feu.

Et tu te relevas plein d’une fierté franche…
Tu t’aperçus alors que ta tête était blanche
Et, les yeux vers le ciel, tu t’écrias : « Mon Dieu !

1873.

Q16 – T15

Avoir beaucoup d’amour et très peu d’espérance, — 1921 (15)

Emile Faguet Chansons d’un passant

Sonnet libertin

Avoir beaucoup d’amour et très peu d’espérance,
Donner tout à son frère et n’en attendre rien,
C’est encor ici-bas la dernière science
De l’homme raisonnable et de l’homme de bien.

C’est trop lui faire honneur que compter sur le monde,
Oser le mépriser c’est s’estimer bien haut,
Et vivre indifférent c’est une joie immonde
Que savent goûter seuls le moine et l’escargot.

Il faut aller tout droit dans le sillon du juste,
Le cœur rempli d’amour, l’esprit plein de raison,
Semer tranquillement sans espoir de moisson,

Et lorsque de la mort a sonné l’heure auguste,
Croiser enfin les bras, s’étendre en son cercueil
Et s’endormir, sans peur, sans désir, sans orgueil.

Q59 – T30

Ouvre ton kimono parfumé d’ambre doux — 1921 (14)

Maurice Dekobra Strophes libertines du chevalier Naja ((d’après Jean-Paul Goujon : Anthologie de la poésie érotique française  2004)


Hors-d’œuvre

Ouvre ton kimono parfumé d’ambre doux
Et laisse-moi toûcher ta toison majuscule.
Mes doigt souples et vifs s’y donnent rendez-vous
Avant que midi sonne à ta chaste pendule.

Ils sauront, préparant le champ clos des ébats
Que nous prendrons ensemble au creux du lit tiède,
Et s’ils défont les nœuds qui retiennent tes bas,
C’est pour mieux préciser mon désir capripède.

Que ta cuisse s’écarte en accent circonflexe
Pour me faire entrevoir la lunule du sexe,
Parenthèse d’amour sous le point du nombril.

Déjà ta gorge sèche a des hoquets lubriques,
Et tes bras vont se tordre, ainsi que sur un gril,
Dans l’imminent espoir des culbutes bibliques.

Q59  T14

Jeune fille élevée au Couvent des Oiseaux, — 1921 (13)

Maurice Dekobra Strophes libertines du chevalier Naja ((d’après Jean-Paul Goujon : Anthologie de la poésie érotique française  2004)

Demi-Vierge

Jeune fille élevée au Couvent des Oiseaux,
Viens chez moi me montrer ton audace timide,
Ton vice qui s’observe et tes actes que guide
La crainte de froisser le pli de ton manteau.

On peut, en écartant avec un geste lent
La chaste jarretelle au seuil de la chemise,
Livrer la fleur cachée à la tendre expertise
D’un amateur qui sait tous les rites galants.

A quoi bon exiger le saut du Rubicon ?
Pourquoi prendre la rose au devant du balcon,
Quand l’autre, plus petite, a sa corolle ouverte ?

Cache donc simplement ton minois dans tes mains,
Tandis que ton séant s’offre à ma tige experte
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain.

Q63  T14

Vierge feuillet, pensée ardente — 1921 (11)

Paul Morin Poèmes de cendre et d’or (ed. Jean-Paul Plante 1961)

Vierge feuillet, pensée ardente
Langueur des soirs de désaccords
Entre le trop paresseux corps
Et l’âme trouble et trépidante ;

Futile regret qui me hantes
Des spontanés poèmes, morts
De trop de parfums, de trop d’ors,
Dès leur naissance fulgurante ;

Ecrasé sous le fardeau du
Quotidien labeur obscur,
Moi, jadis frère de l’azur,

Faut-il que toujours je me lève,
Evoquant le rythme perdu
Des vers royaux qu’on fait en rêve ?

Q15  T34 – octo

Le rire tenait sa bouteille — 1921 (10)

La vie des lettres et des arts

Paul Eluard

Bouche usée

Le rire tenait sa bouteille
A la bouche riait la mort
Dans tous les lits où l’on dort
Le ciel sous tous les corps sommeille

Un clair ruban vert à l’oreille
Trois boules une bague en or
Elle porte sans effort
Une ombre aux lumières pareille

Petite étoile des vapeurs
Au soir des mers sans voyageurs
Des mers que le ciel cruel fouette

Délices portées à la main
Plus douce poussière à la fin
Les branches perdues sous la rouille

Q15  T15  octo (irr.)

Le ballon bleu de la pendule — 1921 (9)

La vie des lettres et des arts

André Breton

Titre

Le ballon bleu de la pendule
Et les petits nids des manchons
C’est là-dessus que nous couchons
Notre matin est incrédule.

A l’écureuil fou qui recule
La hampe offre ses cabochons
De faux rubis et nous trichons
Pour passer l’eau quand elle ondule

Les comédiens du bosquet
Sauvent le puits où l’on vaquait
A ses conquêtes en musique

Un évêque éteint nommé Jean
Ramène sa chape de brique
Sur le grand espace changeant

Q15  T14  –  banv – octo

Banvilien de sructure (ce que ne sont pas ceux des deux acolytes) le sonnet de Breton n’est pas régulier en ses mots-rimes : « jean / changeant » !