Archives de catégorie : Tercets

Les foules sont depuis cent ans venues — 1913 (2)

Edouard DujardinPoésies

Hommage à Shakespeare – suite –

Les foules sont depuis cent ans venues
Contempler le tombeau de ceux qui ne furent point;
Sans cesse et du plus loin,
Des mains inconnues

Ont gravé leur hommage sur le sépulcre où ingénue
Flotte la vision du couple surhumain,
Et plus d’un
A prié, près de ce marbre, vers ces ombres inadvenues.

Ainsi, ciel vide, ciel désolé, ciel morne, où sûrement,
Nul dieu n’habite, nul père, et nul espoir! ô firmament
Désert, divinement ainsi tu brilles,

Et bien que tel l’esprit te sache vide, désert et désolé,
Tu demeures, ainsi que le tombeau du jeune amant de la jeune fille,
Notre foyer, notre amour, et notre clarté.

Q15 – T14 – banv – m.irr

Dans la barque, au ras des eaux, qui s’assoupit, — 1913 (1)

Edouard DujardinPoésies

Hommage à Mallarmé (Souvenir du voilier de Valvins)

Dans la barque, au ras des eaux, qui s’assoupit,
La voile large tendue parmi l’espace et blanche,
Tandis que le jour décroît, que le soir penche,
Le bon nocher vogue sur le fleuve indéfini.

A pleine voile, aussi, le soir, l’idée luit,
Au-dessus de la vie et du tourbillon et de l’avalanche,
Blanche en un encadrement de sombres branches,
Là-bas à l’horizon vague de l’esprit.

Maître,
Sur la rive d’où je vois votre voile apparaître,
Et dans mon âme que réconforte la clarté,

Je regarde et j’adore
Le rayonnement argenté
Qui dans le crépuscule semble une aurore.
1897

Q15 – T14 -banv –  m.irr

Le miracle apparaît, et le hideux litige — 1912 (14)

Albert Saint-Paul

Hommage à Mallarmé

Le miracle apparaît, et le hideux litige
Apaise son blasphème aux portes du jubé.
La foule, dont le front reste à jamais courbé,
A sur elle senti respendir le prodige.

Qui ne frémit, tel qu’une sibylle, au prestige
Du Verbe où la rumeur banale a succombé,
Ne ceindra pas le diadème dérobé
A quelque océanique et sonore vertige.

Héroïque destin d’une âme si le sort
Doit ne la proclamer qu’aux fastes de la mort
Devant la multitude à la vie interdite !

Le Poète renferme en un cloître d’orgueil,
Solitude, dédain, exil de qui médite,
Le songe somptueux dont luira son cercueil.

Q15 – T14 – banv

Deux faunesses, parmi l’ombre et les herbes bleues, — 1912 (13)

Pierre Louÿs in Vers et Prose

Les petites faunesses

Deux faunesses, parmi l’ombre et les herbes bleues,
Se poursuivent au clair de lune, vers la source.
Leurs croupes lestes que bouleverse la course
Retroussent les poils ronds de leurs petites queues.

Elles galopent, et leurs sveltes pieds de chèvres
Vont, déchirant les fleurs et sautant les racines.
Elles ont aux cheveux, étant un peu cousines,
Mêmes cornes d’écaille, et même flamme aux lèvres.

Mais voici l’eau, qui sort d’une caverne noire…
Elles grimpent gaîment, se culbutent pour boire,
Trempent leurs seins aigus entre les hautes pierres,

S’élancent, battent l’air de leurs pieds, que prolongent
Les ombres, et, pressant leurs mains sur leurs paupières,
Du sommet des rocs, dans la cataracte, plongent.

Q63  T14  r.fem.

Carabin, prends ta carabine ! — 1912 (12)

André Salmon

L’amour médecin

Carabin, prends ta carabine !
– Car je présume que te navre
Ce manque absolu de cadavre –
Et dissèque ta concubine.

Feu ! et surtout point ne la rate.
La petite maîtresse est morte ;
Voici le cœur, voici la rate
De qui venait t’ouvrir la porte.

Voici ses seins joyeux, pivoines
Lourdes, ses poumons qu’un ultime
Soupir gonfle, et le péritoine.

Grimoire où l’œil de l’aruspice
Lit avec l’ordre du supplice
Rédempteur le pardon du crime.

Q62  T25  octo

Vos seins, morbleu ! Madame, à les voir insoumis, — 1912 (11)

Charles Perrès in Les Soirées de Paris

En relisant Montaigne

Vos seins, morbleu ! Madame, à les voir insoumis,
Fiers, arrogants, nerveux, rieurs sous la dentelle,
J’évoquais leur printemps hors de la citadelle,
Et rêvais que mes doigts s’en feraient deux amis !

Hélas ! on ne tient pas quand on a trop promis :
Au revoir … Puisse un jour mon âme plus fidèle,
Madame, retrouver par les champs d’asphodèle,
Ses désirs, votre ardeur … et le reste affermis !

Des pleurs ! …Non … comprenez ! mettez-vous à ma place :
Dieu, plus que nous, pensant au destin de la race,
Il faut bien l’un de l’autre en Amour s’approcher.

Point ne veux qu’alors seul mon regard se délecte :
Point ne souffre – aimez-vus les plaisirs du toucher ?
Un trop mol oreiller pour ma teste bien faicte.

Q15  T14 – banv

Ton corps n’a plus pour moi ni secret, ni mystère. — 1912 (10)

Laurent Mongin Sonnets travestis, sur les rimes du sonnet d’Arvers

III

Ton corps n’a plus pour moi ni secret, ni mystère.
Tu couronnas l’amour que pour toi j’ai conçu.
Je crains, en te voyant, de ne pouvoir le taire
Cet amour qui ne doit de personne être su.

Alors que je croyais rester inaperçu,
Implorant ton regard, attristé, solitaire,
Ange, tu m’as souri. Je passais sur la terre,
Je ne demandais rien, de toi j’ai tout reçu.

O maîtresse adorée, ô maîtresse si tendre,
L’hymne de nos baisers, ne dois-je plus l’entendre,
Puisque bien loin de toi je porterai mes pas ?

Bouquet de nos aveux sois le gardien fidèle,
Puisses-tu ne jamais te flétrir auprès d’elle
Pour lui dire sans cesse : « Il ne t’oubliera pas »

Q10  T15  arv

Petit nid sous un petit toit, — 1912 (9)

Fernand Fleuret Le Carquois du Sieur Louvigné du Dezert

Sonnet pour un petit connin

Petit nid sous un petit toit,
D’une oiselle fine industrie,
Nid qui n’a rien d’un nid de pie,
Mais où la pie hier estoit;

Petit annelet trop estroit
Dont je tente l’escroquerie;
Chef-d’oeuvre de serrurerie
Qu’un vit en crochet n’ouvriroit;

Fissure où vrille une lambrusque,
Bosquet où le Plaisir s’embusque:
Tel est le connin d’Alison,

Luy qui régale ma braguette
Du sphincter d’un jeune garçon
Sous la motte d’une fillette.

Q15 – T14 – 8- 9 qui pourrait croire un instant qu’il s’agit de textes du 16ème siècle? occasion sans doute, de cultiver l’éros-bonbon’

Iris, quand ton cu dodeline — 1912 (8)

Fernand Fleuret Le Carquois du Sieur Louvigné du Dezert

Sonnet pour une belle Personne de qui l’on disoit que le gros Derrière avoit le balancement agréable d’un navire

Iris, quand ton cu dodeline
Souz les Ombres de ces jardins,
L’on ne sçait si ton pas chemine
Ou si tu vogues par chemins.

Ouy! Ce Sable est onde marine
Qui meurt au pié de ces Jasmins:
Sur elle ton cu se dandine,
Et ces Pigeons sont des dauphins.

Non! ce cu-là n’est qu’un derrière,
Et, lorsque tu l’assieds par terre,
Lasse des amoureux traffics,

Les Morts, que ta chaleur oppresse,
Erigent vers ta belle Fesse
Les pasles vits des Agarics.

Q8 – T15 – octo

Le Printemps et l’Automne ont mêlé leurs étreintes, — 1912 (7)

Louis Mandin Ariel esclave

Le Printemps et l’Automne

Le Printemps et l’Automne ont mêlé leurs étreintes,
Et leurs fruits et leurs fleurs, et la lumière de leurs yeux,
Et sont partis dans l’ombre où, comme une âme sainte
A l’horizon du soir s’élève une aurore sur eux.

Et leurs baisers sont pleins de rayons et de larmes.
Sans bruit, l’Automne pleure en sentant le froid et le soir,
Mais le Printemps sourit à l’aurore où les charmes
Des paradis perdus versent la féerie au sol noir.

Novembre, verras-tu des nids, la fleur nouvelle?
Car un miracle prend ton ciel et l’ensorcelle,
Et c’est l’aurore-amour où te voici transfiguré.

Dans les gouttes de fleurs va flamber son mirage.
Et, palpitants de ses mêmes baisers dorés,
Le Printemps et l’Automne ont même âge et même visage.

Q59 – T14 – 2m : les vers 2 ,4,6,8, 11 et 14 ont 14 syllabes