Archives de catégorie : Tercets

Un sonnet qu’inscrirait ma voix sous toi, de Groux, — 1910 (9)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

A Henry de Groux

Un sonnet qu’inscrirait ma voix sous toi, de Groux,
Ne saurait sertir cri qu’houhou de loup-garou.
Suis-je autre, ainsi maudit, errant sans savoir où,
Dans le monde effrayé de m’ouïr, de ses trous

De vice, hurler honte au seuils dont les boutrous
Accroupis contre l’huis veillent le rogue écrou
Protecteur de valeur, d’honneur, de bonheur ou
D’heur seul d’être encor mieux repu sous les verroux?

Oui, peintre extravagant des tumultes épiques,
Bravo! J’aime ton œuvre où, verte au bout des piques,
Grimace la laideur du chef gras de Prudhomme.

Je l’aime avec ma haine. Et que, rouge, héroïque,
Fleuri par le fumier d’un hécatombe d’hommes,
Soit ton art salué comme un bienfait tragique!

Q15 – T14 – banv  – si les sonnets de Paterne Berrichon ont l’air de pastiches, c’est involontaire. En 9, intéressant jeu sur l’opposition singulier / pluriel dans les rimes

Sous l’exact jersey bleu qu’ample sa gorge crève, — 1910 (8)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

La belle femme

Sous l’exact jersey bleu qu’ample sa gorge crève,
Toute elle m’apparaît, avec sa majesté
Grasse, comme un royal fruit d’amour dont mon rêve
Morbide exprime et suce un sûr jus de santé;

Et comme un lac de chair, lorsque sur le lit, grève
De toile fleurant bon, s’épand le flot lacté
De ses molles lourdeurs qu’un vent de volupté
Gonfle et fait déferler ardemment et sans trêve!

Aussi quand près de moi, fiers et rythmant son pas,
Passent paradoxaux ses fluctuants appas,
Mon masque se rougit d’une pudeur intense,

Et, de la nuque aux pieds, m’érode le tourment
Sanguin d’un fol prurit qui noie en sa tentance
L’anémique Voulu de mon affinement.

Q9 – T14

J’ai voulu plonger jusqu’au fond dans ta chair, — 1910 (7)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

Vertige

J’ai voulu plonger jusqu’au fond dans ta chair,
Front bas, pieds joints, tout; et j’en suis revenu
Sans moi, rien qu’avec encor de derme cher
A soi trop assez pour s’aimer vil et nu

Sous l’âcre épreinte du jeu de ta chair nue,
O panthère aux plasmatures de vachère!
Pour s’aimer vers toi, bien haïe et connue
D’abord comme, et toujours ensuite, en enchère,

Si que, des baisers d’un bain de chair mieux cher
De retour, je voudrais plonger dans ta chair:
Le démon de Poe et qu’Eve avait connu,

Ce soir de sang, vêt de pourpre maraîchère
Ses replis d’appels senestre sur ta nue,
O vachère à redondances de bouchère!

Q11 – T14  -Qu1 masc Qu2 fem – 11s

La neige de sa fleur splendide — 1910 (6)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

Vierge slave

La neige de sa fleur splendide
N’est-ce que d’elle pur j’élus,
Mais bien ses regards résolus.
Je fus, un temps sous son égide.

Son front de sagesse candide
Gardant maint pli de livres lus,
Ce sans plus fut à quoi je plus.
Son cœur me demeura frigide.

Elle venait du Nord, d’un nord
Où, livides, les ours de mort
Tachent la blancheur des campagnes.

Ses vœux, steppes de chasteté,
Loin du potager des compagnes,
N’allaient qu’en abstraite bonté.

Q15 – T14 – banv – octo

Grand œuvre d’idéal et cordial monument, — 1910 (5)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

A Stéphane Mallarmé

Grand œuvre d’idéal et cordial monument,
Le POEME, au fini chanteur de son mystère,
Est un miracle où l’âme enfin se désaltère
De ses fluants reflets complus de diamant.

Sons et couleurs, parfums, formes, expressément
Confondus par un nombre envolé de chimère,
Sur le Verbe ainsi chair, du bas de l’heure amère
Projettent dans l’espace un reposoir clément.

Il conçut Dieu, qui créa l’homme; la nature
Toute fleurit l’essor de son architecture
Aux murs de strophe illuminés du mot-vitrail,

Et de son vers le bloc s’avivant de peintures,
Fut, d’un style, gravé par plus ardu travail
Que le carrare de triomphantes sculptures.

Q15 – T14 – banv

J’attends, ô Bien-Aimée! O vierge dont le front — 1910 (4)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet à la Mort

J’attends, ô Bien-Aimée! O vierge dont le front
Illumine le soir de pompe et d’allégresse,
Ton hymen aux blancheurs d’éternelle tendresse,
Car ton baiser d’amour est subtil et profond.

Notre lit sera plein de fleurs qui frémiront,
Et l’orgue clamera la nuptiale ivresse
Et le sanglot aigu pareil à la détresse,
Dans l’ombre où tu pâlis comme un lys infécond.

Et la paix des autels se remplira de flammes;
Les larmes, les parfums et les épithalames,
La prière et l’encens monteront jusqu’à nous.

Malgré le jour levé, nous dormirons encore
Du sommeil léthargique où gisent les époux,
Et notre longue nuit ne craindra plus l’aurore.

Q15 – T14 – banv

L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures, — 1910 (3)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet

L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures,
Mêlent l’éclat de l’art à ton charme pervers,
Et les gardénias qui parent les hivers
Se meurent dans tes mains aux caresses impures.

Ta bouche délicate aux fines ciselures,
Excelle à moduler l’artifice des vers:
Sous les flots de satin savamment entr’ouverts,
Ton sein s’épanouit en de pâles luxures.

Le reflet des saphirs assombrit tes yeux bleus,
Et l’incertain remous de ton corps onduleux
Fait un sillage d’or au milieu des lumières.

Quand tu passes, gardant un sourire ténu,
Blond pastel surchargé de parfums et de pierres,
Je songe à la splendeur de ton corps libre et  nu.

Q15 – T14

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes, — 1910 (2)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet féminin

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes,
L’anxiété des chants et des odes saphiques,
Et tu sais le secret d’accablantes musiques
Où pleure le soupir d’unions anciennes.

Les Aèdes fervents et les Musiciennes
T’enseignèrent l’ampleur des strophes érotiques
Et la gravité des lapidaires distiques.
Jadis tu contemplas les nudités païennes.

Tu sembles écouter l’écho des harmonies
Mortes; bleu de ce bleu des clartés infinies,
Tes yeux ont le reflet du Ciel de Mytilène.

Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses;
De ton corps monte, ainsi qu’une légère haleine,
La blanche volupté des vierges amoureuses.

Q15 – T14 – banv – Rimes féminines

Humaniste, gourmet, déiste et régicide, — 1910 (1)

Emile BergeratBallades et sonnets

La guillotine de poche . 1792.

Humaniste, gourmet, déiste et régicide,
Le sans-culottiseur de l’Isère et du Doubs
Porte dans un étui dont le cuir est très doux
Une guillotinette en verre translucide.

Quand la petite hache amusante s’oxyde
De rouille ci-devante, il la passe au saindoux
D’un pot enjolivé de rubans dits: padous
Qu’ornent des vers latins à la masse d’Alcide.

Elle lui sert à maints usages, notamment
A trancher sur le plat d’un Nouveau testament
Les têtes des canards, des lapins & des oies;

Car il n’aime que ceux dont il fut le Samson
Lui-même, et telles sont les innocentes joies
Du proconsul François Lejeune à Besançon.

Q15 – T14 – banv –   padou (TLF) Ruban moitié fil, moitié soie

C’est un garçon très doux, très chaste et très discret. — 1909 (7)

Georges-Hector Mai in Les poètes sociaux

L’ouvrier-aux-livres
(Vitrail)

C’est un garçon très doux, très chaste et très discret.
Des livres ont toujours bossué sa vareuse ;
Et, sous un front griffé de rides fiévreuses,
Il a des yeux d’enfant, bleus, au reflet doré.

C’est un bon ouvrier, sobre, actif, toujours prêt.
Mais il semble haïr l’usine monstrueuse …
Et son âme cachée est sans doute amoureuse
D’un rêve merveilleux qu’il caresse en secret.

Il lit … Et quand le soir azure sa mansarde,
Seul, sans femme, sans rien que son rêve, il hasarde
Avec simplicité des essais effrayants ;

Et, dans son grand amour pour la douleur du monde,
Parfois, avec des doigts méticuleux et lents,
Sans haine et sans remords, il fabrique des bombes.

Q15  T14 – banv