Archives de catégorie : Tercets

Je sais que le plaisir d’amour est éphémère, 1905 (13)

Marius Boisson Sonnets épars

XII – Aux femmes
L’extraction des ovaires est une opération fort à la mode

Je sais que le plaisir d’amour est éphémère,
Et le spasme divin  ne dure qu’un moment…
Ce fragile bonheur fait d’étourdissement,
Ne devrait pas donner la douleur d’être mère.

Pour un baiser menteur, pour un frémissement
Vous ne devriez pas souffrir toute une vie,
Votre beauté devrait n’être pas asservie,
Vous ne devriez pas crier atrocement.

Mais, femmes, avant tout, vous êtes nos femelles
Réceptacles sacrés, vos ventres, vos mammelles,
Autant que pour l’amour sont faits pour nos enfants.

Et pour gravir les doux et terribles calvaires
De vos maternités … ô ventres triomphants,
O femmes, nos amours, conservez vos ovaires.

Q48  T14

Les spécieuses, les prenantes rêveries — 1905 (12)

John-Antoine Nau in Les écrits pour l’art

Roses jaunes

Les spécieuses, les prenantes rêveries
S’envolent de ton front où le caprice dort
De ton front pâle et chaud comme un lys au cœur d’or
Et s’enroulent dans nos têtes endolories,

Vapeurs de Hells ou de Walhallas trop fleuries,
Nuages de vertige embaumés de l’odor
Di fémina, vitale aube ou suave mort …
………………………………………………………………………
Tel au parc affolés de trompeuses féeries …

Dans le soir, d’un sachet, orchestre de parfums,
Bosquet lyre, s’éveille en pervers accords bruns,
Et s’émane le chant trouble des roses jaunes,

Hymne subtil et dur en ses fausses langueurs, –
Amoureuses, non – implacables aumônes
Qui glissent un affreux émoi des sens aux cœurs.

Q15 – T14 – 15v – Un vers faits de points allonge le poème. Le vers 3 est ‘racinien’ (douze mots sur le modèle de ‘le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur’).

 » Ce ne sont pas des yeux, ce sont plutôt des dieux, — 1905 (11)

Georges Courteline La conversion d’Alceste

Alceste veut parler, mais déjà Oronte a tiré un papier de sa poche. … Il annonce: « Sonnet composé à la gloire de deux jeunes yeux, amoureux, dans lequel le poète, attaché à louanger comme il faut, à célébrer comme il convient, leur feu, leur mouvement, leur couleur, leur éclat, renonce à trouver, même dans le domaine du chimérique, une image digne de leur être opposée.  »

Il lit:

 » Ce ne sont pas des yeux, ce sont plutôt des dieux,
Ayant dessus les rois la puissance absolue.
Des dieux? … Non! Des cieux plutôt, par leur couleur de nue
Et leur mouvement prompt comme celui des cieux

Des cieux? … Non!…Deux soleils nous offusquant la vue
De leurs rayons brillants clairement radieux! …
Soleils? … Non! … mais éclairs de puissance inconnue,
Des foudres de l’amour, signes présagieux …

Car s’ils étaient des dieux, feraient-ils tant de mal?
Si des cieux, ils auraient leur mouvement égal!
Des soleils? … Ne se peut! Le soleil est unique.

Des éclairs alors! … Non … car ces yeux sont trop clairs!
Toutefois, je les nomme, afin que tout s’explique:
Des yeux, des dieux, des cieux, des soleils, des éclairs!  »

Q17 – T14

Dans le bois trépidant d’étésienne force, — 1905 (10)

Willy Anches et embouchures

La flûte de Pan

Dans le bois trépidant d’étésienne force,
Le chêne millénaire étend ses verts arceaux,
Et sous l’ombrage illustre où paissent les pourceaux,
Pan s’arrête et s’appuie à la rugueuse écorce.

Cornu, la barbe d’or, drue et longue, le torse
Epais et ceint des fleurs écloses sur les eaux,
La bouche humide, il fait chanter les sept roseaux
En battant la mesure avec sa jambe torse.

De nymphes, brusquement, le site s’éblouit:
L’une est si blanche et si blonde qu’elle éblouit;
Une autre est brune, et c’est entre elles une lutte

Emouvante à ce point que, de les voir, le dieu
Se trouble et ne sait plus si ses lèvres en feu
S’éperdent en baisers ou soufflent dans la flûte.

Q15 -T15 (TLF) étésien : Vents étésiens. Vents qui soufflent du Nord pendant l’été sur la Méditerranée

 » De Léon Dierx à Jean Moréas, de Heredia à Fernand Mazade, tous nos poètes, madame Rosemonde Gérard et la Comtesse de Noailles y comprises, ont célébré la flûte de Pan. En revanche, elle est tenue en suspicion dans le monde des bookmakers, à cause de l’irrégularité de ses tuyaux. « 

Nuit splendide, nuit de printemps et de gala, — 1905 (9)

Willy Anches et embouchures

Le tambour de basque
(Les basques l’ignorent totalement. De là son nom)

Nuit splendide, nuit de printemps et de gala,
Sous les masques, des yeux brillants, qui sont illustres.
On chuchote qu’en clowns, pierrots, pêcheurs palustres,
Les Seigneurs de la Cour, le Roi même sont là.

Dans la dextre, un tambour aux grelots d’or, Lola
Danse, danse, frôlant les rideaux, les balustres;
Curieuse, elle scrute, à la clarté des lustres,
Ces fronts cachés et que, sans doute, elle troubla.

Elle halte, sourit, et troublement coquette,
Exquisément fantasque en un geste de quête,
Aguicheuse, elle tend la main vers le vieux roi.

Un instant, il tressaille et rougit sous le masque,
Mais, vite revenu de ce subtil émoi,
Il jette son anneau dans le tambour de basque.

Q15 – T14  –  banv – « …de nos jours, le tambour de basque s’est mis dans la peinture: les aquarellistes utilisent sa rondeur pour y reproduire celles de leurs jeunes maîtresses. « 

La grosse caisse est une aduste virago, — 1905 (8)

Willy Anches et embouchures

La grosse caisse

La grosse caisse est une aduste virago,
Du mangeur de ferraille épouse légitime;
Mais elle a pour amant le trombone Septime,
Noir d’avoir vu le jour aux rives du Congo.

Tous deux frappant, soufflant à tire-larigot,
Attroupent par leur bruit le public simplissime,
Et, quoique pour entrer on paie un seul décime,
La recette, à minuit, forme un joli magot.

Alors, quinquets éteints et close la baraque,
Le mari, qu’un excès de vieux clous estomaque,
Prend une dame-jeanne, et s’imbibe d’alcool.

Il s’écroule, pressant en ses bras la bonbonne;
Et, gorgée elle aussi (mais d’amour) jusqu’au col,
La grosse caisse meurt dans un coup du trombone.

Q15 – T14 – banv

Longtemps, l’aveugle (il y voit aussi bien que vous) — 1905 (7)

Willy Anches et embouchures

La clarinette

Longtemps, l’aveugle (il y voit aussi bien que vous)
Clarinetta Mignon au coin de la ruelle.
Son chien et lui, dans la posture rituelle,
Cueillaient l’heure charmante et trouvaient le jour doux.

Ironiques tous deux, la prunelle en dessous,
Pleins d’une confiance exquise et mutuelle,
Ils admiraient pleuvoir, au creux de l’écuelle,
La salive de la clarinette et les sous.

Maintenant, le caniche est mort et, sombre guigne!
Nul passant pitoyable, aucune main bénigne
Ne jette plus l’aumône à l’aveugle aux bons yeux.

Et celui-ci, jauni de disette et de bile,
Contemple, d’un regard aigu mais furieux,
Son seul mucus buccal tomber dans la sébile.

Q15 – T14 – banv

Depuis que le duc son mari — 1905 (6)

Willy Anches et embouchures

La mandoline

Depuis que le duc son mari
Est au loin parti pour la guerre,
Dona Linda ne quitte guère
Le balcon de jasmins fleuri.

Ce soir, en le parc assombri
Mais que parfois la lune éclaire,
Un mandoliniste accélère
Son libidineux pot-pourri.

Dans la pénombre intermittente,
Linda, lascive et palpitante,
Du joueur contemple les mains.

Et, soudain folle, elle s’incline,
Délirant parmi les jasmins :
« Je veux être une mandoline ».

Q15 – T14 – banv – octo

Bruit de l’homme, pas, cris, rires, appels, devant, — 1905 (5)

Paul Claudel Vers d’exil

V

Bruit de l’homme, pas, cris, rires, appels, devant,
Derrière, chants, amours, rixes, marchés, paroles!
Je te veux étouffer, ô peuple en moi mouvant!
Tais-toi, sonore esprit! Eteignez-vous, voix folles!

Bruit de la mer! Bruit de la terre! bruit du vent!
Murmure au bois profond, l’oiseau chante. Frivoles
Jours! Dors, passé! Que me veux-tu encore, enfant?
Fleur de ce monde-ci, referme  tes corolles?

Et toi aussi, tais-toi, cœur! Taisez-vous, soupir!
Le vieux murmure en moi dure et ne peut finir.
Tout s’est tu. Viens, ma nuit! Viens-t-en, ombre de l’ombre!

Viens, silence sacré et nuptial! Soleil
De mon âme, viens, paix! Viens amitié! Viens, nombre!
Viens avec moi, viens, mon Dieu, viens, ardent Sommeil!

Q8 – T14

Est-il rien de plus doux, rempli de plus de charme, — 1905 (4)

Dathan de Saint-CyrLes animaux

L’oiseau

Est-il rien de plus doux, rempli de plus de charme,
Que l’enfant du ciel bleu, le beau petit oiseau?
Pouvez-vous contempler, sans verser une larme,
Les petits piaillant au fond de leur berceau?

Voyez se balancer, sur le bord du ruisseau,
Construit avec tant d’art, ce nid d’herbe et de mousse,
Qu’agit mollement le vent dans le roseau,
Imprimant à l’arbuste une douce secousse.

Après avoir donné la becquée aux petits
Qu’il laisse plus dispos, endormis en leurs nids,
Il s’envole et s’arrête, en l’air qui le délasse.

Puis reprend vers le ciel son vol audacieux,
Volant agilement au gré du vent qui passe,
Il semble disparaître en l’azur bleu des cieux.

Q35 – T14