Archives de catégorie : Tercets

Mon rêve a regardé le très dolent cortège — 1900 (14)

– ? in Le Beffroi

Rédempteur

Mon rêve a regardé le très dolent cortège
Des pauvres sans espoir passer avec lenteur ;
J’ai songé, tout ce soir, que j’étais Rédempteur
Et que j’aimais d’amour la foule sacrilège.

Vers elle j’inclinais mon front libérateur
Et j’étais l’Attendu qui bénit et protège ;
La douleur se prenait au divin sortilège
Et tous venaient, venaient à moi consolateur :

Les délaissés, les gueux, les déçus de la vie,
Les pélerins lassés de la route suivie.

Et traînant après moi cet exode sanglant,
Je gravissais, chargé de la croix, mon calvaire ;
Des baumes s’écoulaient de la plaie à mon flanc.

Puis je mourais sur la plus haute des collines,
J’étais Christ ; et mes bras immensément ouverts
Attiraient vers mon cœur les âmes orphelines.

Q15  T24  s. long , 16v: Un distique plat est inséré entre quatrains et tercets

Salut à toi, Patrie, ô mère respectée, — 1900 (13)

Frédéric Bataille Nouvelles poésies

Salut à la patrie

Salut à toi, Patrie, ô mère respectée,
O ma France! Salut, grande ressuscitée!
Ah! ton sol nous est cher! Ah! ton ciel est si beau!
Devant les nations relève ton drapeau!!

A ta voix, l’avenir fécond sourit encore.
Va, poursuis saintement ta marche vers l’aurore,
Sans songer aux vautours qui rêvaient ton tombeau.
Ta route est la clarté: sois toujours le flambeau!

Donne à tes fils l’ardeur d’une âme magnanime,
Le courage, la foi, l’honneur, la loyauté,
Le saint amour du Juste et de la Vérité:

Car tu n’est vraiment grande et ton bras n’est sublime
Qu’en vengeant l’innocent opprimé par le crime,
France, soldat du Droit et de la Liberté!

Q27 – T27

Et puis en somme, et malgré tout, — 1900 (12)

Camille Mauclair Le sang parle


Epilogue,     III

Et puis en somme, et malgré tout,
Que j’aie été mauvais ou fou,
Voici des vers et des pensées
Qui vous seront fruits et rosées.

Voici bien des choses blanches,
Toute lueur qui fut en moi,
Toute la source qui s’épanche,
Et mon cœur aride en fait foi.

Franchissez-vous, goûtez l’arôme,
Que votre cœur vous soit très doux!
Entendez la source qui pleure …

J’étais le verre, et voici le baume,
Le flacon est brisé, parfumez-vous,
Mon glas ne sonne pas votre heure …

Oubliez-moi, mais aimez-vous.

Q56- T36 + d –   y=x (d=a) – 15v  octo

Il n’est honte devant laquelle la luxure — 1900 (9)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 129

Il n’est honte devant laquelle la luxure
Recule pour pouvoir librement s’assouvir.
Cruelle jusqu’au sang, déloyale, parjure,
Sauvage, vile, infâme, elle est tout à plaisir.

Mais le mépris la suit avec sa flétrissure;
Comme il fut follement poursuivi, son désir,
Aussitôt satisfait, est maudit sans mesure,
Tel le poison qu’enferme un perfide élixir.

Et c’est toujours ce but, qui n’admet pas de halte,
Vers lequel néanmoins sa démence s’exalte,
Faible bonheur qu’attend un réveil trop amer,

Délice qui finit dans la poudre du rêve!
L’homme sait tout cela; pourtant il bat sans trêve
Le céleste chemin qui mène à cet enfer.

Q8 – T15 – tr

Je suis comme le riche assuré de pouvoir — 1900 (8)

Fernand Henry Sonnets de Shakespeare

sonnet 52

Je suis comme le riche assuré de pouvoir
Retrouver son trésor en ses coffres fidèles
Et qui n’émousse pas, par de continuelles
Visites, le plaisir qu’il goûte à l’aller voir.

C’est ainsi que l’on trouve, en les voyant échoir
Moins fréquentes dans l’an, les fêtes bien plus belles;
Les pierres d’un collier, lorsqu’il existe en elles
Plus d’espace, se font de même mieux valoir.

En vous gardant pour moi, le Temps est ma cassette,
L’armoire où j’ai fermé mon beau manteau de fête,
Et j’attends le moment de désemprisonner,

Pour l’étaler encor, votre magnificence.
Heureux êtes-vous donc, vous qui pouvez donner,
Présent, tant de bonheur; – absent, tant d’espérance!

Q15 – T14  – banv –  tr (sh52)

On se souvient de la chapelle des Goyaves — 1900 (7)

Henri Jean-Marie LevetSonnets torrides

Possession française
A la mémoire de Laura Lopez

On se souvient de la chapelle des Goyaves
Où dorment deux mille dimanches des Antilles,
De la viduité harmonieuse du havre,
Et la musique, du temps vieillot des résilles …

– Colonie d’où l’aventurier revenait pauvre! –
Les enfants demi-nus jouaient, et leurs cris
Sourdaient, familiers comme les bougainvilliers mauves,
De la vérandah et de la terrasse aux lourds murs gris …

– Et les picnics du dimanche au Gros-Morne?
– Ils ont vécu, les bons vieux mauvais romans qu’orne
La Jeune Créole, lente, aux mœurs légères …

Ces enfants sont partis et leurs parents sont morts –
Et maintenant dans la petite colonie morte
Il ne reste plus que quelques fonctionnaires …

Q59 – T15

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant; — 1900 (4)

Arsène VermenouzeEn plein vent

Si mes sonnets parfois marchent d’un pas pesant;
S’ils ont l’accoutrement fruste du pauvre hère,
Qu’il couche, tout vêtu, dans la grange, sur l’aire,
C’est parce qu’ils sont fils d’un barde paysan,

D’un barde et d’un chasseur: je les fais en chassant.
Dans les brousses où le renard a son repaire,
Sur les hauts mamelons où le genêt prospère,
Je vais, baguenaudant, rêvant, rimant, musant.

Cependant mon sonnet prend forme, s’élabore:
Comme un sauvageon, qu’en plein champ on voit éclore.
Il naît, agreste, mais sentant bien le terroir,

Sentant bien l’herbe fraîche et la feuille des hêtres,
Et les fougères que j’emporte dans mes guêtres:
Il est encor tout chaud, quand je l’écris, le soir.

Q15 – T15 – s sur s

J’ai rêvé dans la Nuit, j’ai rêvé de Mystère, — 1900 (2)

Hady-Lem (E. Bouve?) – Ophir – sonnets –

Sonnet-épilogue

J’ai rêvé dans la Nuit, j’ai rêvé de Mystère,
J’ai tressailli d’amour, j’ai tressailli d’espoir;
« Vivez d’illusions, ici-bas sur la terre,
Vivez de l’Irréel pour ne point percevoir

Trop crûment le réel! » Pendant mes liturgies,
J’ai songé, soupiré des reflets, des lueurs,
De la lune sur l’or des flammes des bougies;
Ecouté les zéphyrs en leurs célestes chœurs;

Ressenti des douceurs, les chaleurs et les fièvres;
Respiré des parfums des baisers et des fleurs;
Goûté l’enivrement des frôlements de lèvres;

Et surtout frissonné l’ivresse des ardeurs
Auprès des nudités, sous la clarté lunaire!
Maintenant je frissonne au contact d’un suaire!

Q59 – T23

La chair tiède où le sang gonfle, anime et nourrit — 1900 (1)

Henri de Régnier Les médailles d’argile

Contraste

La chair tiède où le sang gonfle, anime et nourrit
Ta peau voluptueuse et souple qu’il colore
D’une rougeur de pêche et d’un reflet d’aurore
T’a faite, en ton corps, femme et femme par l’esprit.

Ton oreille est docile et ta bouche sourit
A toute la nature odorante et sonore,
Et ta jeune beauté semble toujours éclore,
Sensible à ce qui naît, chante, embaume et fleurit;

Mais Elle, taciturne à jamais, la Statue
Qui, immobile au bronze, attentive, s’est tue,
Semble écouter en elle et méditer tout bas,

Dans le métal durci qui moule sa stature
Et la dresse debout et se croisant les bras,
Le secret anxieux de la matière obscure.

Q15 – T14 – banv

Toute Aurore même gourde — 1899 (47)

Mallarmé Poésies

additions de l’éd. Deman

Hommage

Toute Aurore même gourde
A crisper un point obscur
Contre des clairons d’azur
Embouchés par cette sourde

A le pâtre avec la gourde
Jointe au bâton frappant dur
Le long de son pas futur
Tant que la source ample sourde

Par avance ainsi tu vis
O solitaire Puvis
De Chavannes jamais seul

De conduire le temps boire
A la nymphe sans linceul
Que lui découvre ta Gloire

Q15 – T14 – banv –  octo