Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui — 1914 (11)

Hérédia Les Trophées (ed.1914)

SPHINX

Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui
Le roc s’ouvre, repaire où resplendit au centre
Par l’éclat des yeux d’or, de la gorge et du ventre,
La Vierge aux ailes d’aigle et dont nul n’a joui.

Et l’Homme s’arrêta sur le seuil, ébloui.
—  Quelle est l’ombre qui rend plus sombre encor mon antre?
— L’Amour. — Es-tu le Dieu? — Je suis le Héros. — Entre ;
Mais tu cherches la mort. L’oses-tu braver? — Oui.

Bellérophon dompta la Chimère farouche.
— N’approche pas. — Ma lèvre a fait frémir ta bouche.
— Viens donc! Entre mes bras tes os vont se briser;

Mes ongles dans ta chair… — Qu’importe le supplice,
Si j’ai conquis la gloire et ravi le baiser?
— Tu triomphes en vain, car tu meurs..— 0 délice!…

Q15  T14 – banv

Si je contemple le plafond — 1914 (2)

Jean de La Ville de Mirmont – in Oeuvres complètes ed. 1992 –

Si je contemple le plafond
Avec tant de mélancolie,
Gentlemen, avouerai-je, au fond
Le motif de ma rêverie?

Lorsque j’ai bu trois carafons
De gin, de rhum et d’eau de vie,
Goddam! Tous ces alcools me font
Songer à la mère-patrie …

J’en partis à vingt ans à peine
Pour acheter du bois d’ébène
Sur la côte des Somalis.

Négrier plus qu’aux trois-quarts ivre
(En vérité je vous le dis),
J’ai gardé tout mon savoir-vivre.

Q8 – T14 – octo

Il se sera perdu le navire archaïque — 1913 (11)

Antonin Artaud in Oeuvres complètes, I

Le navire mystique

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus;
Et ses immenses mats se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantique.

Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des heures de la terre.
Il ne connaît que Dieu et sans fin solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère.
Aux points de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.

Q15 – T14 – banv –  paru dans La criée n°15, 1922 – transcrit de mémoire en 1944

Maître dans le creuset où rougeoyait la fonte, — 1913 (9)

Charles Derennes, Charles Perrot, Pierre Benoit, ed. La grande anthologie

Henri-Mathurin de Regnier
Maestro sacrum

Maître dans le creuset où rougeoyait la fonte,
N’ayant point de métal qui m’appartînt à moi,
J’ai jeté, plein d’orgueil et d’extase et d’émoi,
Bayesid, Bragadin, Cysique et Métaponte.

Dès mes plus jeunes ans ayant aimé ta ponte,
Aigle qui ne pondait que tous les trente mois,
Des vers pareils aux tiens je fis dix à la fois;
Je l’énonce à regret et l’avoue à ma honte.

Mais j’ai, chez l’antiquaire, et chez le brocanteur,
Racheté le turban, le Centaure, le Teur,
Hercule, Rome, Naple, et la Draghme et le Cygne,

Et dans mes vers hâtifs songe qu’il est réel
Que, pour signifier ma modestie insigne,
Je fais les singuliers rimer aux pluriels.

Q15 – T14

Quand le vaticinant erratique, au larynx — 1913 (7)

Paul Reboux et Charles Müller A la manière de
Sonnets

I

Quand le vaticinant erratique, au larynx
Dédaléen, divague en sa tant dédiée
Et de l’Absent manie avant tout radiée
Pour de l’insaisissable animer la syrinx,

O n’être qu’aboli le mystère du sphinx
Pour qui du clair-obscur l’âme est congédiée!
O chevaucher, vers la victoire irradiée,
Aveugle, et de ses yeux exorbité, le lynx!

Hypogéenne telle énigme la Pythie,
Ambage non pas d’un d’où l’inconnu dévie,
J’ai de l’impénétrable approfondi l’azur,

Et, ténébral sitôt hiéroglyphique cygne
Qu’obstructif en son vide ombre un déléatur,
J’offusque, triomphal, le néant qui m’assigne.

Stéphane Mallarmé

Q15 – T14 – banv

Maître, que l’on dit de Villon le frère, — 1913 (4)

Adrien RemacleLe Livre d’une jeunesse

Sonnet pour Paul Verlaine
« Il y eut plusieurs apôtres Paul, vers Damas  » Le Dépareillé
Argument: Paul, dans sa vie, un géant poète, effrayant, venant, leur frère, après les autres géants Charles d’Orléans, Villon, Vigny, Musset, Baudelaire, aussi grand qu’eux, aussi doux et tendre, plus doux et plus tendre qu’aucune tremblante brise humaine, et accroupi, acculé au roc d’une misère farouche qui était une grandeur de plus.

Maître, que l’on dit de Villon le frère,
Taureau très enfant, Platon sourcilleux,
Monstre en pleurs très doux de terribles yeux,
Humble et juste orgueil jadis et naguère,

Ton cœur si vibrant qui, délicat, erre
De l’amour humain vers celui des cieux,
Reste orphelin calme aujourd’hui que, vieux,
Ton amer Gaspard chante ta misère.

Tu n’as « balladé » tes belles margot;
Ni chanté « repue » en peine d’écot:
Tu restes dévot de la bonne Vierge,

Timide chrétien du péché confus,
Et, chantre indompté de l’horrible verge,
Quêtant du Seigneur pardons éperdus …

1886 Paris. Pavillon d’Assas

Q15 – T14 – banv – tara

Valence, qui descends mollement jusqu’au fleuve, — 1913 (3)

Jean-Marc Bernard Sub Tegmine Fagi

Nostalgie

Valence, qui descends mollement jusqu’au fleuve,
Dans la sérénité de la belle saison
Je te revois encore au bout de l’horizon,
Claire et blanche au milieu du ciel, ô ville neuve!

Il n’est plus rien que toi maintenant qui m’émeuve.
J’évoquerai dans mon esprit la frondaison
Des platanes puissants du Parc et son gazon
Si paisible à mes pas en d’âpres jours d’épreuve.

O Valence, voici ton Champ-de-Mars, voici
Tes terrasses au bord du Rhône et puis aussi
L’ombre apaisante, au soir, de tes larges allées;

Tes coteaux où la vigne est grise sous le vent …
– Et puis voici toutes mes larmes en allées
Vers la chaude clarté de ton soleil levant!

Q15 – T14

Les foules sont depuis cent ans venues — 1913 (2)

Edouard DujardinPoésies

Hommage à Shakespeare – suite –

Les foules sont depuis cent ans venues
Contempler le tombeau de ceux qui ne furent point;
Sans cesse et du plus loin,
Des mains inconnues

Ont gravé leur hommage sur le sépulcre où ingénue
Flotte la vision du couple surhumain,
Et plus d’un
A prié, près de ce marbre, vers ces ombres inadvenues.

Ainsi, ciel vide, ciel désolé, ciel morne, où sûrement,
Nul dieu n’habite, nul père, et nul espoir! ô firmament
Désert, divinement ainsi tu brilles,

Et bien que tel l’esprit te sache vide, désert et désolé,
Tu demeures, ainsi que le tombeau du jeune amant de la jeune fille,
Notre foyer, notre amour, et notre clarté.

Q15 – T14 – banv – m.irr

Dans la barque, au ras des eaux, qui s’assoupit, — 1913 (1)

Edouard DujardinPoésies

Hommage à Mallarmé (Souvenir du voilier de Valvins)

Dans la barque, au ras des eaux, qui s’assoupit,
La voile large tendue parmi l’espace et blanche,
Tandis que le jour décroît, que le soir penche,
Le bon nocher vogue sur le fleuve indéfini.

A pleine voile, aussi, le soir, l’idée luit,
Au-dessus de la vie et du tourbillon et de l’avalanche,
Blanche en un encadrement de sombres branches,
Là-bas à l’horizon vague de l’esprit.

Maître,
Sur la rive d’où je vois votre voile apparaître,
Et dans mon âme que réconforte la clarté,

Je regarde et j’adore
Le rayonnement argenté
Qui dans le crépuscule semble une aurore.
1897

Q15 – T14 -banv –  m.irr