Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Un coq chante au lointain. Les bruyères en fleurs — 1910 (11)

Thomas Maisonneuve Aquarelles provençales

La lande

Un coq chante au lointain. Les bruyères en fleurs
Comme un velours brodé viennent draper leurs herbes,
Et la lande fleurit ses épineuses gerbes
Offrant son bouquet d’or aux matins enjôleurs.

Le granit pointe au ras du sol, où, tels des pleurs
Des lichens d’argent gris emmitouflent son faîte,
Et la lande paraît préparer une fête ;
Tout le charme du ciel avive ses couleurs.

Elle ondule, ainsi que des vagues aux marées
D’automne, quand la brise, aux grèves mordorées,
Hurle son chant d’oubli parmi les chardons bleus ;

Mais l’immobilité qu’elle a vous poigne l’âme,
Et le le vaste horizon, dont s’éteignent les feux,
L’étreint, comme un collier étreint un cou de femme.

Q45  T14 – banv

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte. — 1910 (10)

Edmond Rostand Didascalie de Chantecler

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte.
Portail croulant. Mur bas fleuri d’ombelles. Foin.
Fumier. Meule de paille. Et la campagne au loin.
Les détails vont se préciser au cours de l’acte.

Sur la maison, glycine en mauve cataracte.
La niche du vieux chien de garde, dans un coin.
Epars, tous les outils dont la terre a besoin.
Des poules vont, levant un pied qui se contracte.

Un merle dans sa cage. Une charrette. Un puits.
Canards. Soleil. Parfois une aile bat, et puis
Une plume, un instant, vole, toute petite.

Des poussins, pour un ver, se disputent entre eux.
Le dindon porte au bec sa rouge stalactite.
– Silence chaud, rempli de gloussements heureux.

Q15 – T14 – banv

Un sonnet qu’inscrirait ma voix sous toi, de Groux, — 1910 (9)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

A Henry de Groux

Un sonnet qu’inscrirait ma voix sous toi, de Groux,
Ne saurait sertir cri qu’houhou de loup-garou.
Suis-je autre, ainsi maudit, errant sans savoir où,
Dans le monde effrayé de m’ouïr, de ses trous

De vice, hurler honte au seuils dont les boutrous
Accroupis contre l’huis veillent le rogue écrou
Protecteur de valeur, d’honneur, de bonheur ou
D’heur seul d’être encor mieux repu sous les verroux?

Oui, peintre extravagant des tumultes épiques,
Bravo! J’aime ton œuvre où, verte au bout des piques,
Grimace la laideur du chef gras de Prudhomme.

Je l’aime avec ma haine. Et que, rouge, héroïque,
Fleuri par le fumier d’un hécatombe d’hommes,
Soit ton art salué comme un bienfait tragique!

Q15 – T14 – banv  – si les sonnets de Paterne Berrichon ont l’air de pastiches, c’est involontaire. En 9, intéressant jeu sur l’opposition singulier / pluriel dans les rimes

Sous l’exact jersey bleu qu’ample sa gorge crève, — 1910 (8)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

La belle femme

Sous l’exact jersey bleu qu’ample sa gorge crève,
Toute elle m’apparaît, avec sa majesté
Grasse, comme un royal fruit d’amour dont mon rêve
Morbide exprime et suce un sûr jus de santé;

Et comme un lac de chair, lorsque sur le lit, grève
De toile fleurant bon, s’épand le flot lacté
De ses molles lourdeurs qu’un vent de volupté
Gonfle et fait déferler ardemment et sans trêve!

Aussi quand près de moi, fiers et rythmant son pas,
Passent paradoxaux ses fluctuants appas,
Mon masque se rougit d’une pudeur intense,

Et, de la nuque aux pieds, m’érode le tourment
Sanguin d’un fol prurit qui noie en sa tentance
L’anémique Voulu de mon affinement.

Q9 – T14

J’ai voulu plonger jusqu’au fond dans ta chair, — 1910 (7)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

Vertige

J’ai voulu plonger jusqu’au fond dans ta chair,
Front bas, pieds joints, tout; et j’en suis revenu
Sans moi, rien qu’avec encor de derme cher
A soi trop assez pour s’aimer vil et nu

Sous l’âcre épreinte du jeu de ta chair nue,
O panthère aux plasmatures de vachère!
Pour s’aimer vers toi, bien haïe et connue
D’abord comme, et toujours ensuite, en enchère,

Si que, des baisers d’un bain de chair mieux cher
De retour, je voudrais plonger dans ta chair:
Le démon de Poe et qu’Eve avait connu,

Ce soir de sang, vêt de pourpre maraîchère
Ses replis d’appels senestre sur ta nue,
O vachère à redondances de bouchère!

Q11 – T14  -Qu1 masc Qu2 fem – 11s

La neige de sa fleur splendide — 1910 (6)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

Vierge slave

La neige de sa fleur splendide
N’est-ce que d’elle pur j’élus,
Mais bien ses regards résolus.
Je fus, un temps sous son égide.

Son front de sagesse candide
Gardant maint pli de livres lus,
Ce sans plus fut à quoi je plus.
Son cœur me demeura frigide.

Elle venait du Nord, d’un nord
Où, livides, les ours de mort
Tachent la blancheur des campagnes.

Ses vœux, steppes de chasteté,
Loin du potager des compagnes,
N’allaient qu’en abstraite bonté.

Q15 – T14 – banv – octo

Grand œuvre d’idéal et cordial monument, — 1910 (5)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

A Stéphane Mallarmé

Grand œuvre d’idéal et cordial monument,
Le POEME, au fini chanteur de son mystère,
Est un miracle où l’âme enfin se désaltère
De ses fluants reflets complus de diamant.

Sons et couleurs, parfums, formes, expressément
Confondus par un nombre envolé de chimère,
Sur le Verbe ainsi chair, du bas de l’heure amère
Projettent dans l’espace un reposoir clément.

Il conçut Dieu, qui créa l’homme; la nature
Toute fleurit l’essor de son architecture
Aux murs de strophe illuminés du mot-vitrail,

Et de son vers le bloc s’avivant de peintures,
Fut, d’un style, gravé par plus ardu travail
Que le carrare de triomphantes sculptures.

Q15 – T14 – banv

J’attends, ô Bien-Aimée! O vierge dont le front — 1910 (4)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet à la Mort

J’attends, ô Bien-Aimée! O vierge dont le front
Illumine le soir de pompe et d’allégresse,
Ton hymen aux blancheurs d’éternelle tendresse,
Car ton baiser d’amour est subtil et profond.

Notre lit sera plein de fleurs qui frémiront,
Et l’orgue clamera la nuptiale ivresse
Et le sanglot aigu pareil à la détresse,
Dans l’ombre où tu pâlis comme un lys infécond.

Et la paix des autels se remplira de flammes;
Les larmes, les parfums et les épithalames,
La prière et l’encens monteront jusqu’à nous.

Malgré le jour levé, nous dormirons encore
Du sommeil léthargique où gisent les époux,
Et notre longue nuit ne craindra plus l’aurore.

Q15 – T14 – banv

L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures, — 1910 (3)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet

L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures,
Mêlent l’éclat de l’art à ton charme pervers,
Et les gardénias qui parent les hivers
Se meurent dans tes mains aux caresses impures.

Ta bouche délicate aux fines ciselures,
Excelle à moduler l’artifice des vers:
Sous les flots de satin savamment entr’ouverts,
Ton sein s’épanouit en de pâles luxures.

Le reflet des saphirs assombrit tes yeux bleus,
Et l’incertain remous de ton corps onduleux
Fait un sillage d’or au milieu des lumières.

Quand tu passes, gardant un sourire ténu,
Blond pastel surchargé de parfums et de pierres,
Je songe à la splendeur de ton corps libre et  nu.

Q15 – T14

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes, — 1910 (2)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet féminin

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes,
L’anxiété des chants et des odes saphiques,
Et tu sais le secret d’accablantes musiques
Où pleure le soupir d’unions anciennes.

Les Aèdes fervents et les Musiciennes
T’enseignèrent l’ampleur des strophes érotiques
Et la gravité des lapidaires distiques.
Jadis tu contemplas les nudités païennes.

Tu sembles écouter l’écho des harmonies
Mortes; bleu de ce bleu des clartés infinies,
Tes yeux ont le reflet du Ciel de Mytilène.

Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses;
De ton corps monte, ainsi qu’une légère haleine,
La blanche volupté des vierges amoureuses.

Q15 – T14 – banv – Rimes féminines