Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Vous sortiez de l’église et, d’un geste pieux, — 1893 (12)

José Maria de HerediaLes Trophées

Suivant Pétrarque

Vous sortiez de l’église et, d’un geste pieux,
Vos nobles mains faisaient l’aumône au populaire,
Et sous le porche obscur votre beauté si claire
Aux pauvres éblouis montrait tout l’or des cieux.

Et je vous saluai d’un salut gracieux,
Très humble, comme il sied à qui ne veut déplaire,
Quand, tirant votre mante et d’un air de colère
Vous détournant de moi, vous couvrites vos yeux.

Mais Amour qui commande au coeur le plus rebelle
Ne voulut pas souffrir que, moins tendre que belle,
La source de pitié me refusât merci;

Et vous fûtes si lente à ramener le voile,
Que vos cils ombrageux palpitèrent ainsi
Qu’un noir feuillage où filtre un long rayon d’étoile.

Q15 – T14 – banv

L’aube d’un jour sinistre a blanchi les hauteurs. — 1893 (11)

José Maria de HerediaLes Trophées

La Trebbia

L’aube d’un jour sinistre a blanchi les hauteurs.
Le camp s’éveille. En bas roule et gronde le fleuve
Où l’escadron léger des Numides s’abreuve.
Partout sonne l’appel clair des buccinateurs.

Car malgré Scipion, les augures menteurs,
La Trebbia débordée, et qu’il vente et qu’il pleuve,
Sempronius Consul, fier de sa gloire neuve,
A fait lever la hache et marcher les licteurs.

Rougissant le ciel noir de flamboiement lugubres,
A l’horizon, brûlaient les villages Insubres;
On entendait au loin barrir un éléphant.

Et là-bas, sous le pont, adossé contre une arche,
Hannibal écoutait, pensif et triomphant,
Le piétinement sourd des légions en marche.

Q15 – T14 – banv

Du Moêt, de la bisque, une caille et terrine — 1893 (8)

Romain Coolus in Revue Blanche

X
A la suite d’incidents de la plus haute gravité, le fol amant rompt avec sa maîtresse, mais il a appris sur elle des choses terribles et il ne craint pas de les lui jeter au visage. Après tout, ce n’est peut-être pas un homme très bien élevé. Cependant il a le sentiment des nuances. Car après avoir badiné et raillé en versiculets, il accuse et juvénalise en alexandrins des plus duodécipèdes. Il récapitule amèrement.

Du Moêt, de la bisque, une caille et terrine
De foie, en cabinet, après minuit, l’hiver,
Pendant que ton mari trafique à Vancouver,
Tel fut le rêve de ton âme adultérine.

Et très assidument tu devins pèlerine
De la maison Aurée où le second couvert
Tantôt par l’un tantôt par l’autre fut couvert;
Des ongles très sélects grattèrent ta poitrine.

D’une impudicité qu’envieraient les putains
Lorsqu’aux volets se subtilisaient les matins,
Sur les divans pulmonaires, en robe nue,

Creusée aux blancheurs sales du jour levant
Tout en offrant ton sexe en posture ingénue,
Tu rotais le champagne et le Moulin-à-vent.

Q15 – T14 – banv

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample, — 1893 (3)

Louis Le Cardonnel au Banquet de La Plume

A Stéphane Mallarmé

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample,
Le Poète, malgré la Terre et le Destin,
Se bâtit dans son coeur un asile hautain,
Et s’y donne, ébloui, des fêtes sans exemple.

Debout sur le passé lumineux, il contemple
L’Avenir, déroulant son mirage lointain,
Et dessine aux clartés d’un immortel matin,
Pour s’y diviniser, l’ordonnance d’un Temple.

Des visions qu’il crée il est l’auguste amant,
Et, par un juste orgueil, en elles s’acclamant,
Il regarde monter son âme à leurs visages.

Et ces vaines fureurs, dont l’homme a palpité,
N’éveillent pas de trouble en ses prunelles sages,
Qui sont des firmaments tout bleus d’Eternité.

Q15 – T14 – banv

Pèlerin magnifique en palmes de mémoire — 1893 (2)

Saint-Pol RouxLes reposoirs de la procession I

Pèlerin magnifique en palmes de mémoire
(O tes pieds nus sur le blasphème des rouliers!)
Néglige les crachats épars dans le grimoire
Injuste des crapauds qui te sont des souliers.

Enlinceulant ta rose horloge d’existence,
Evoque ton fantôme à la table des fols
Et partage son aigle aux ailes de distance
Afin d’apprivoiser la foi des tournesols.

Delà, miséricorde aux bons plis de chaumière
Avec un front de treille et la bouche trémière,
Adoptent les vieux loups qui bêlent par les champs

Et régénère leur prunelle douloureuse
Au diamant qui rit dans la houille des temps
Comme l’agate en fleurs d’une chatte amoureuse.
(Message au poète adolescent)

Q59 – T14

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante, — 1892 (11)

Jules Baudot in  L’année des poètes

L’art

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante,
Avec des mots très doux ainsi que des rumeurs,
D’une légère main, comme font les semeurs,
Sème dans notre esprit que la vie est méchante.

Dans le quatrain qui suit, exalte, prône, chante
La Femme altière et belle, en d’ardentes clameurs,
Et pour bien expliquer l’amour dont tu te meurs
Fais un portrait puissant de celle qui t’enchante.

Alors, en un tercet fort savamment rimé,
Exprime-nous que toi, qui fus pourtant l’Aimé,
Tu n’est plus maintenant qu’un étranger pour elle.

Puis, au tercet final, qu’il ne faut point gâter, –
L’Art serein n’aimant point les cris de tourterelle, –
Sonne un grand vers d’or pur, – pour ne point sangloter !

Q15  T14 – banv –  s sur s

Le givre: vivre libre en l’ire de l’hiver — 1892 (4)

André FontainasLes vergers illusoires

Le givre: vivre libre en l’ire de l’hiver
Rumeur qui se retrait au regard d’une vitre
Où, peut-être, frémit éphémère l’élytre
De tel vol ou d’un souffle épais de menu-vair.

Le ciel gris s’est, fanfare!, à soi-même entr’ouvert:
N’est-ce pas qu’y ruisselle au front morne une mitre?
Non! sénile noblesse où nul n’élude un titre
A se mentir moins vil que ne rampe le ver.

L’heure suit l’heure encor, aucune n’est la seule:
Pareille à soi, voici venir qui l’enlinceule
Pour brusque naître d’elle et pour mourir soudain.

Un chardon bleu, pas même, au suaire, ni lisse
Offrant, rêve chétif et dédain du jardin,
Ne fût-ce qu’une épine à s’en former un thyrse.

Q15 – T14 – banv

Le Sonnet, ce léger poème en miniature, — 1991 (32)

Emmanuel Gosselin in Revue de Paris et de Saint-Petersbourg

Le sonnet

Le Sonnet, ce léger poème en miniature,
De plus d’un lapidaire a tenté le ciseau.
Le cadre n’est pas grand, soit, mais qui donc mesure
Le talent de l’artiste à l’ampleur du tableau ?

La toile importe peu : tout est dans la peinture
Lorsqu’une main habile a tenu le pinceau.
Ne comptons pas les vers, voyons la ciselure
Pétrarque ou Meissonnier, l’idéal, c’est le beau !

Quand l’Art pur guide seul la plume ou la palette,
Il transforme en chef-d’oeuvre une simple bluette
Et loge le printemps dans un pli de gazon.

Dans un coin de falaise il met la mer profonde,
Nous montre l’infini dans un bout d’horizon,
Et dans l’étroit Sonnet fait tenir tout un monde.

Q8  T14  s sur s (Pétrarque= Meissonnier. On frémit)

Sous les calmes cyprès du jardin clérical, — 1991 (31)

Paul Valéry in La Conque

Le jeune prêtre

Sous les calmes cyprès du jardin clérical,
Va le jeune homme noir aux yeux lents et magiques.
Lassé de l’exégèse et des mots liturgiques
Il savoure le bleu repos Dominical.

L’air est plein de parfums et de cloches sonnantes ! ..
Mais le Séminariste évoque dans son cœur
Oublieux du latin murmuré dans le Chœur
Un Rêve de bataille et d’armes frissonnantes…

… Et, se dressent ses mains faites pour l’ostensoir
Cherchant un glaive lourd ! Car il lui semble voir
Au couchant ruisseler le sang doré des Anges !

Là haut ! Il veut nageant dans le Ciel clair et vert
Parmi les Séraphins bardés de feux étranges,
Sonnant du cor, choquer le fer contre l’Enfer !

Q63  T14

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes, — 1991 (28)

Ivanhoe Rambosson in Le Saint-Graal

Les Possédés
à Rémy  de Gourmont

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes,
En l’île de tristesse au fond des noirs jardins, –
Avec quel faste mortuaire nous allâmes
Vers la Tour de l’Aurore, où sont les paladins.

Quand on nous eut déclos l’huis d’or gardé de flammes,
Quand nous eûmes gravi les lumineux gradins,
Nous vîmes les guerrier du Christ et nous clamâmes :
Elus immaculés comme les séraphins,

Chevaliers, chevaliers, abolisseurs de sorts,
Belzébuth nous voudrait mener à mâle mort
Et nous vous conjurons en peur de nos folies

D’exorciser au nom du Verbe qui fut chair
Le succube égotant de nos mélancolies,
Qui nous pousse, perdus, vers le gouffre d’enfer !

Q8  T14  bi