Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Un corps noir tranchant un flamant au vol bas — 1969 (5)

Georges PerecLa disparition

d’un compagnon d’Oulipo

La disparition

Un corps noir tranchant un flamant au vol bas
un bruit fuit au sol (qu’avant son parcours lourd
dorait un son crissant au grain d’air) il court
portant son sang plus loin son charbon qui bat

Si nul n’allait briller sur lui pas à pas
dur cil aujour’d’hui plomb au fil du bras gourd
Si tombait nu grillon dans l’hors vu au sourd
mouvant bâillon du gris hasard sans compas

l’alpha signal inconstant du vrai diffus
qui saurait (saisissant (un doux soir confus
ainsi on croit voir un pont à son galop)

un non qu’à ton stylo tu donnas brûlant)
qu’ici on dit (par un trait manquant plus clos)
l’art toujours su du chant-combat (noir pour blanc)

Q15 – T14 – 11 s – Lipogramme en ‘e’

A noir (un blanc), I roux, U safran, O azur : — 1969 (3)

Georges PerecLa disparition

Trois sonnets lipogrammatiques en ‘e’; les deux premiers des traductions en ‘français sans ‘e’.


Vocalisations

A noir (un blanc), I roux, U safran, O azur :
Nous saurons un jour dit ta vocalisation:
A, noir carcan poilu d’un scintillant morpion
Qui bombinait autour d’un nidoral impur,

Caps obscurs; qui cristal du brouillard ou du taud,
Harpons du fjord hautain, rois blancs, frissons d’anis?
I, carmins, sang vomi, riant ainsi qu’un lis
Dans la punition d’un courroux, d’un sanglot;

U, vibrations, ronds divins du flot marin,
Paix du pâtis tissu d’animaux, paix du fin
Sillon qu’un fol savoir aux grands fronts imprima;

O, finitif Clairon aux accords d’aiguisoir,
Soupirs ahurissant Nadir ou Nirvana;
– O l’omicron, rayon violin de son Voir

Arthur Rimbaud.

Q63 – T14 lipogramme en ‘e’

Hors paradis terrestre, en fleur d’or animé, — 1964 (1)

Emile Roumer Rosaire (couronne de sonnets)

sonnet liminaire
Immaculée conception

Hors paradis terrestre, en fleur d’or animé,
Eve entre flore ingrat, caverne l’ours pour asile,
Flancs déchirés par enfantement main inhabile
A repousser la mort et serpent endiamé*

Lors Isaïe té dit, parole enflammé
Le Christ oun vierge t’a fe l’, cé fond même l’Evangile
De Pi à Jean XXIII – Min san t’a pi facile
Soti lan jardin clos ou lun tombeau fermé ?

La Genèse pas t’ manqué prédi gloire deuxième Eve
Et toute chrétiene connin la Vierge, à la relève
T’a crasé tête serpent pour trahison passé.

Lan salut genre humain Bon Dieu prend, bien suprême
Choisit ac dilection rameau tige a Jessé
Pour que fleur donnin fruit et rété fleur quand même !

Q15  T14  – banv – métrique irr.

Camarade Adamov, que nous avons changé — 1963 (8)

Henri Thomas Sous le lien du temps

L’heure nouvelle

Camarade Adamov, que nous avons changé
Depuis les jours et nuits de misère aux bordels,
Et les lueurs d’espoir, et ce matin glacé,
Noël ou Nouvel An, sur le pont Saint-Michel.

L’eau grise, les chalands immobiles, le gel,
Et cette brume familière à l’invité
De nulle part qui s’en retourne à son hôtel …
Rue Quincampoix les putains ont réveillonné.

Nous avons vu cela, du comptoir où s’assemblent
Les épaves très solitaires, bien qu’ensemble
Buvant le café noir de la vie inconnue.

Qu’est-ce que nous cherchions, quelle lettre de givre,
A déchiffrer sur le carreau désert des rues,
Quelle impossible et bouffonne raison de vivre?

Q11 – T14

Le liège, le titane et le sel aujourd’hui — 1962 (4)

Raymond Queneau – in Jacques Bens – OU LI PO (1960-1963)


Poème isovocalique

Le liège, le titane et le sel aujourd’hui
Vont-ils nous repiquer avec un bout d’aine ivre
Ce mac pur outillé que tente sous le givre
Le cancanant gravier des coqs qui n’ont pas fui

Un singe d’ocre loi me soutient que c’est lui
Satirique puis qui sans versoir se délivre
Pour n’avoir pas planté la lésion où vivre
Quand du puéril pivert a retenti l’ennui

Tout ce porc tatouera cette grande agonie
Par l’escale intimée au poireau qui le nie
Mais non l’odeur du corps où le cuivre est pris

Grand pôle qu’à ce pieu son dur ébat  assigne
Il cintre, o cytise, un bonze droit de mépris
Que met parmi le style obnubilé le Cygne.

Q15 – T14  tr. de Mallarmé

A chacune âme éprise et gentil cœur — 1962 (3)

Pierre-Jean JouveGénie

(Rêve de la Vita nova)

A chacune âme éprise et gentil cœur
En qui viendra la parole présente
Pour que me renvoie la sienne pensante
Salut en son seigneur qui est Amour

Déjà c’était presque la troisième heure
Du temps qui fait tous les astres brillants
Quand m’apparut Amour subitement
Essence qui fait peur à la mémoire

Joyeux me semblait l’Amour il tenait
Mon cœur en main, et dans ses bras avait
Ma dame en un drap voilée endormie

Puis il la réveillait, et de ce cœur brûlant
Il la paissait humblement attendrie:
Mais à la fin je le voyais partir pleurant

Q63 – T14 – 10s – tr

Ors et décors, simili marbre et chrysoprase, — 1960 (2)

Paul Morin Géronte et son miroir

Ciné

Ors et décors, simili marbre et chrysoprase,
Obligeant clair-obscur, contacts accommodants …
Assise près de moi, lourde de chair et d’ans,
La dame blonde bave en haletant d’extase.

Quand Némorin se plaint du désir qui l’embrase
Et qu’Estelle choit sur des gazons imprudents,
Le plaisir fait claquer ses aurifères dents
Et suinte de ses flancs comme l’huile d’un vase.

Elle hume le suc, mieux que fraise en avril,
De ce film inconcevablement puéril,
En hennissant, telle la jument de Xaintrailles ;

Et l’air chaud déplacé par ses lombes puissants
Evoque cette odeur de jasmin et d’entrailles
Des chambres où les morts sont gardés trop longtemps.

Q15 T14  y=x :e =b

J’ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd, — 1958 (19)

Guillevic sonnets : ed.1999

pour Jean TARDIEU

J’ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd,
Un assez gros caillou pour qu’on le nomme pierre,
Ramassé l’an dernier près d’une sablière,
Couleur de longue pluie ainsi qu’était ce jour.

Je veux savoir de lui si je suis son recours,
Mais il répond toujours de façon outrancière,
Comme s’il refusait le temps et la lumière,
Comme un qui voit le centre et boude l’alentour,

Qui n’aurait pas besoin de se trouver soi-même
Et de chercher plus loin qu’on l’accepte ou qu’on l’aime,
Qui n’aurait le besoin, plutôt, de rien chercher.

Nous toujours à l’affût, toujours sur le qui-vive,
Nous qui rêvons de vivre une heure de rocher,
Cherchons dans le caillou la paix des perspectives.

Q15 – T14 – banv

Nous avons en commun de la terre et du temps, — 1958 (18)

Guillevic sonnets : ed.1999

pour Jean FOLLAIN

Nous avons en commun de la terre et du temps,
Des sentiers et des prés debout près des villages,
Des caves, des greniers creusés dans d’autres âges,
Des insectes rêvant l’attaque en attendant.

Nous avons en commun la teneur du dedans
Des chambres, des coins d’ombre et des objets d’usage,
Une espèce de puits où sont les paysages
Et le besoin de retenir tous les partants.

Presqu’un même soleil, pas la même lumière,
Je te vois là, pleurant sur la mort coutumière,
Plus d’étrange dans ton pays que dans le mien.

Follain, mon vieil ami, même un peu mon complice,
En ce jour accompli, je te donne mon bien,
Le vol d’une alouette et son chant de délices.

Q15 – T14 – banv

Est-il vrai qu’en ces lieux l’enchanteur ait passé, — 1957 (6)

Léon Lafoscade & Louis-Ferdinand Flutre Fantaisie brugeoise

Le lac d’amour

Est-il vrai qu’en ces lieux l’enchanteur ait passé,
Que le roseau des bords dissimule une ondine
Capable de verser à celui qui chemine
Un charme sous lequel il demeure insensé ?

Quel couple cependant resterait enlacé
Quand le prestigieux mirage le fascine ?
La plus prompte à céder se fait soudain béguine
Le plus entreprenant s’arrête ambarrassé.

Car Sainte Elizabeth prend en sa sauvegarde
Quiconque sur la berge à ses pieds se hasarde.
Dans les reflets du ciel où tremble un long clocher,

Le cygne se balance en rythme liturgique ;
Vigne et saule pleureur s’affligent du péché,
Et tout amour devient communion mystique

Q15  T14 – banv