Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Madame, vous avez une tête de mort. — 1883 (16)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Madrigal
Sonnet.

Madame, vous avez une tête de mort.
Votre front vaste et jaune et votre face glabre
Vos pommettes que l’âge ossifie et délabre
Vont me hanter la nuit, comme hante un remords.

Quand votre bouche rit, soupire chante ou mord,
Le triangle effrayé de votre nez se cabre,
Et le reflet vitreux d’une danse macabre
Tremble en vos yeux falots où sommeille la Mort.

Sur un ventre fumeux que ravinent les rides,
Vos seins pendants et longs comme deux gourdes vides
Balottent flasquement au moindre de vos pas;

Et Satan aurait peur de s’écorcher la langue
Si Vénus lui prêtait, pour y planter son cas
Le sourire tanné de votre vulve exsangue.

Q15 – T14 – banv

Non, non! l’accouplement que je voudrais connaître, — 1883 (15)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Voeu

Non, non! l’accouplement que je voudrais connaître,
Ce n’est point aujourd’hui le coït impuissant
Qui fouille un peu de chair et verse un peu de sang
Au bord d’une blessure où sa langueur pénètre.

Je veux, ô femme entrer tout entier dans ton être:
Il hurlera d’amour, ton ventre bondissant,
Comme hurle, trop pleine, une mère qui sent
L’effort intérieur d’un géant qui va naître.

C’est mon rêve: Je veux dans ton torse en débris,
Sentir mes os broyés et mes muscles meurtris
Sous les spasmes vengeurs de ta chair envahie.

Et dans le rut suprême et ses derniers élans,
Je veux pour féconder ta vie avec ma vie,
T’éjaculer mon âme et mourir dans tes flancs!

Q15 – T14 – banv

Reviens sur moi! Je sens ton amour qui se dresse; — 1883 (13)

Edmond Haraucourt La légende des sexes

Sonnet pointu

Reviens sur moi! Je sens ton amour qui se dresse;
Viens. J’ouvre mon désir au tien, mon jeune amant.
Là …. Tiens …. Doucement   va plus doucement …
Je sens tout au fond ta chair qui me presse.

Rythme   ton   ardente    caresse
Au gré de mon balancement.
O mon âme … Lentement
Prolongeons l’instant d’ivresse

Là … Vite! Plus longtemps!
Je fonds! Attends
Oui … Je t’adore

Va! Va! Va!
Encore!
Ha!

Q15 – T14 – banv –  bdn 12+12+10+10  +8+8+7+7  + 6+4+4  + 3+2+1 – Suivant la terminologie oulipienne, on dira qu’on a affaire à une boule de neige métrique fondante.

Quant à toi, Lucifer, astre tombé des cieux, — 1883 (8)

Stanislas de GuaitaLa muse noire

Les paroles d’un maudit, II

Quant à toi, Lucifer, astre tombé des cieux,
Splendeur intelligente aux ténèbres jetée,
Ange qui portes haut ta colère indomptée,
Et gonfle tous les seins de cris séditieux;

Par toi seul, j’ai connu le mépris oublieux
Du Seigneur et de sa puissance détestée.
J’ai ressenti – sceptique et railleur, presque athée –
Les plaisirs inouïs de l’amour radieux!

Tu m’ouvris l’océan des voluptés profondes
Dont nul n’a su tarir les délirantes ondes –
Tu m’appris à goûter le charme de l’Enfer.

On y souffre, il est vrai; l’on y jouit quand même,
Puisqu’on y peut baver sa bile – O Lucifer,
Mon bourreau de demain, je t’honore – je t’aime!

Q15 – T14 – banv

–  » Nous avons l’arme à feu, le rasoir très coupant,— 1883 (5)

Maurice RollinatLes Névroses

Le Magasin de suicides

–  » Nous avons l’arme à feu, le rasoir très coupant,
La foudre à bon marché, l’asphyxiant chimique
(Et l’on a, je vous jure, une étrange mimique
Quand on s’est mis au cou cette corde qui pend!),

 » Les poisons de la fleur, de l’herbe et du serpent,
Le curare indien, la mouche anatomique,
Le perfide nectar au suc de noix vomique
Qui fait qu’on se tortille et qu’on meurt en rampant.

« Tous les engins de mort et d’autres que je passe,
Nous les garantissons! Mais, dit-il à voix basse,
Bien qu’ils soient aujourd’hui d’un emploi consacré,

Il en est encore un, le meilleur et le pire
Que vous enseigneront pour un prix modéré,
Mademoiselle Pieuvre et Madame Vampire. »

Q15 – T14 – banv

Elle faisait songer aux très vieilles forêts. — 1883 (3)

Maurice RollinatLes Névroses

La Bibliothèque
A José Maria de Heredia

Elle faisait songer aux très vieilles forêts.
Treize lampes de fer, oblongues et spectrales,
Y versaient jour et nuit leurs clartés sépulcrales
Sur ses livres fanés, pleins d’ombre et de secrets.

Je frissonnais toujours lorsque j’y pénétrais:
Je m’y sentais, parmi des brumes et des râles,
Attiré par les bras des treize fauteuils pâles
Et scruté par les yeux des treize grands portraits.

Un soir, minuit tombait, par sa haute fenêtre
Je regardais au loin flotter et disparaître
Le farfadet qui danse au bord des casse-cous,

Quand ma raison trembla brusquement interdite:
La pendule venait de sonnet treize coups
Dans le silence affreux de la chambre maudite.

Q15 – T14 – banv

Elle est dans tout ; elle est dans nos folles chansons, — 1882 (17)

Edouard Doucet Une poignée de sonnets

La poésie
« Cela me fait du bien et me repose l’âme » (Théophile Gautier)

Elle est dans tout ; elle est dans nos folles chansons,
Dans le naïf aveu d’une enfant brune ou blonde,
Dans la brise du soir qui fait un pli sur l’onde,
Dans la fleurette éclose à l’ombre des buissons ;

Elle est dans le soleil qui dore nos moissons,
Dans le bruit imposant de l’océan qui gronde,
Et dans l’oiseau qui prend sa course vagabonde
Quand arrive l’hiver et ses cruels frissons.

La poésie enfin, c’est la fière maîtresse
Qui garde à notre cœur une éternelle ivresse
Et lui fait oublier ses plus rudes tourments ;

C’est le baume divin qui calme la souffrance,
C’est la main qui toujours vient essuyer nos pleurs,
C’est la secrète voix qui nous dit :Espérance !

Q15  T14 – banv

* (H.N.) sorte de piège pour les petits oiseaux

Autrefois elle était fière, la belle Ida, — 1882 (11)

Jean Richepin Les caresses

Sonnet romantique

Autrefois elle était fière, la belle Ida,
De sa gorge de lune et de son teint de rose,
Ce gongoriste fou, le marquis de Monrose,
Surnommait ses cheveux les jardins d’Armida.

Mais le corbeau du temps de son bec la rida.
N’importe ! Elle sourit à son miroir morose,
Appelant sa pâleur de morte une chlorose,
Et son cœur est plus chaud qu’une olla-podrida.

O folle, c’est en vain que tu comptes tes piastres,
Tes yeux sont des lampions et ne sont plus des astres.
Tu n’achèteras pas même un baiser de gueux.

Pourtant si ton désir frénétique se cabre,
S’il te faut à tout prix un cavalier fougueux,
Tu pourras le trouver à la danse macabre.

Q15  T14 – banv

L’anus profond de Dieu s’ouvre sur le néant — 1882 (5)

Le Chat Noir

Edmond Haraucourt

Philosophie
sonnet honteux

L’anus profond de Dieu s’ouvre sur le néant
Et, noir, s’épanouit sous la garde d’un ange.
Assis au bord des cieux qui chantent sa louange,
Dieu fait l’homme, excrément de son ventre géant.

Pleins d’espoir, nous roulons vers le sphincter béant
Notre bol primitif de lumière et de fange;
Et, las de triturer l’indigeste mélange,
Le Créateur pensif nous pousse en maugréant.

Un être naît: salut! Et l’homme fend l’espace
Dans la rapidité d’une chute qui passe:
Corps déjà disparu sitôt qu’il apparaît.

C’est la Vie: on s’y jette, éperdu, puis on tombe;
Et l’Orgue intestinal souffle un adieu distrait
Sur ce vase de nuit qu’on appelle la tombe.

Q15 – T14 – banv

Quoi ! vous voulez des vers de moi ! le vilain tour ! — 1881 (14)

Forgemol de Bostquénard Ghazels

Pour un autre album

Quoi ! vous voulez des vers de moi ! le vilain tour !
Vous voulez qu’emplissant le blanc de cette page
J’y fasse défiler, en galant équipage,
La rime au timbre d’or, les mots couleur de jour.

C’était ce qu’autrefois, toute seule en sa tour,
La dame demandait au savoir de son page,
Et les vers bien sonnants alternaient leur tapage
Avec les heurts de fer, bruissant à l’entour.

Mais la dame n’a plus de page au doux murmure.
Les porteurs de cithare et les porteurs d’armure
N’ont plus tant de bonheur, au champ de leurs tournois.

Pourtant, mauvais sonnet, ici, je veux t’écrire ;
Car nous aurons ainsi le prétexte sournois,
Vous, d’en sourire un peu, moi, de vous voir sourire.

Q15  T14 – banv –  s sur s Ce sonnet de Forgemol de Bostquénard se retrouve dans le volume publié en 1911 sous le titre (un alexandrin parfait) « Rimeurs du Luxembourg et du Palais-Bourbon » et contenant un choix de poèmes composés par des hommes politiques, ministres, sénateurs et députés (Forgemol l’était, alors, de Seine et Marne). Cet ouvrage m’a déçu. J’espérais joindre à ma collection quelque sonnet de Président de la République (Paul Deschanel), de président du Conseil ; de Combes, de Jaurès, de Jules Guesde, … en vain.