Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Mes aïeules ont cru pendant des mille années — 1881 (11)

Paul Marrot Le chemin du rire

Les paradis fantaisistes, I

Mes aïeules ont cru pendant des mille années
Que l’âme, étant divine, avait des destinées;
C’est pourquoi, dégoûté d’un monde bestial,
Parfois, j’ai des rappels vers un monde idéal.

Mes aïeux ont compris après des mille années
Qu’on les trompait par des chimères surannées,
Que les sermons étaient des farces; c’est pourquoi
J’ai senti l’ironie éclore et rire en moi.

La vieille illusion, en ma cervelle, alterne
Ses airs avec les airs de la raison moderne,
Et le tout s’entremêle en étrange opéra.

Le doute est ondoyant, et fait de poésie,
Dans les champs où le blé des forts un jour croîtra,
Je te cueille, herbe folle, ô fleur de fantaisie!

Q19 – T14 – aabb  aab’b’ ! sévèrement anormal: les six premiers vers, du point de vue des rimes, s’isolent.

L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable. — 1881 (3)

Paul VerlaineSagesse

L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelque trou.
Que ne t’endormais-tu le coude sur la table?

Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.

Midi sonne, De grâce éloignez-vous, madame.
Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.

Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah, quand refleuriront les roses de septembre!

Q63 – T14

Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme, — 1881 (2)

Paul VerlaineSagesse

Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ:
Une tentation des pires. Fuis l’infâme.

Ils ont lui tout le jour en long grêlons de flamme,
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la vallée, et ravageant
Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.

O pâlis, et va-t’en, lente et joignant les mains.
Si ces hiers allaient manger nos beaux demains?
Si la vieille folie était encore en route?

Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer?
Un assaut furieux, le suprême, sans doute!
O va prier contre l’orage, va prier.

Q15 – T14 – banv

Désireuse des champs, ô foule, tu te rues, — 1880 (26)

Jules Christophe in Revue indépendante

Quartier de la Sorbonne
Sonnet estrambote

Désireuse des champs, ô foule, tu te rues,
Les dimanches d’été, vers les chemins de fer ;
Mais, pour goûter le frais, loin de ce bruit d’enfer,
J’aime bien mieux vaguer parmi les vieilles rues.

Comme Montaigne, moi qui, jusqu’en ses verrues
Adore la « grand-ville », à l’ombre de mon fier
Panthéon je m’enfonce, et délecte mon flair
Aux odeurs des ruisseaux. Ainsi que Coxigrues

Le nez au vent je marche, observant quelque effet
De lumière, attentif, charmé, très satisfait.
Nul passant. parfois, seule, une jeune herboriste

En toilette élégante, assise sur le seuil
De sa boutique, rêve. Après, un liquoriste
Aux lourds et chauds parfums. Je contemple d’un œil
Scrutateur les détails du paysages triste,
Et, plein de souvenirs, de chansons et des cris,
Je sens frémir en moi l’âme du grand Paris.

Q15  T14  +dff

J’aime le son du cor le soir au fond des bois, — 1880 (25)

Jacques de Villebrune in L’Artiste

Le cor

J’aime le son du cor le soir au fond des bois,
Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Il a parfois l’accent douloureux du hautbois,
Il fait frémir ta main lorqu’à l’amour tu bois,
Il s’insinue en l’ombre, au cœur qui se recueille
Et se mêle au sanglot des roses qu’on effeuille.

Que de fois j’ai suivi, parmi nos grands châteaux,
Sa voix plaintive errant de coteaux en coteaux,
Et qui semble expirer tendre et mélancolique ;

S’il chante l’hallali sur le déclin des soirs,
Ma faible âme se meurt, et ce chant symbolique
Sonne à mon cœur perdu l’hymne des désespoirs.

Q1  T14  Le premier quatrain est un ‘emprunt’ non avoué à un poème connu de Vigny.

Devant l’ex-Napoléon-un — 1880 (23)

Cabriol in L’Hydropathe

Maurice Petit*

Devant l’ex-Napoléon-un
Il fait, le dimanche matin,
Ronfler, sous une dextre main,
Pour charmer maint, et maint et maint

Nez d’argent, que jadis la treille
Avait bourgeonné, mainte oreille,
Aux oreilles de sourd pareille,
L’orgue ! et pour cela j’appareille

Au plus haut mat de perroquet,
Le pavillon roux, bleu, blanc qu’est
Le pavillon du vrai courage.

A Maurice Petit je bois
Pour vouloir bien rajeunir d’âge
L’Invalide à la têt’ de bois.

* organiste aux Invalides

aaaa  bbbb T14  octo  on remarque la rime ‘un/ matin’

Lorsqu’il fallut dîner dans cette auberge atroce, — 1880 (20)

Charles Monselet Poésies complêtes

Marivaux à la barrière

Lorsqu’il fallut dîner dans cette auberge atroce,
Le front de mon ami se rembrunit soudain,
On mit notre couvert dans le fond du jardin
Près d’un jeu de tonneau débloqué. Quelle noce!

Le potage manqua totalement d’attrait:
Un lac d’une blondeur terne. – Rempli d’alarmes,
Mon ami s’écria: « Quel bouillon! Il faudrait,
Pour lui percer les yeux un fameux maître d’armes!

Je ne l’écoutais pas; mon caprice suivait
La fillette au jupon rayé qui nous servait;
Opulente beauté, – seize ans, et du corsage! –

Et j’allais, répétant: « vois donc quels yeux, mon cher!  »
Lui, tout à son idée, et d’un accent amer:
 » Que n’a-t-elle jeté ses yeux dans le potage! »

Q62 – T15

Tous les vieux bouquins dédaignés aux couvertures désolées — 1880 (17)

Narzale Jobert Klimax


XVI ter
Césure après la 8ème syllabe
Les livres parias

Tous les vieux bouquins dédaignés aux couvertures désolées
Avec des cornes, des frisons, où la poussière gîte en paix
Sont pour moi des amis touchants, et que je passe sur les quais.
Ma main les arrache à la pluie, au chaud soleil, aux giboulées.

Mon coeur soudain s’émeut devant leurs pantomimes accablées;
Je crois les entendre me dire: « o passant, vois, je n’ai pour dais
Que le firmament gris ou bleu, je n’ai point d’illustre palais;
Je t’en supplie, emporte-moi loin de ces cases maculées.

J’entends leurs voix, leurs cris plaintifs, je les reçois sous mon manteau,
Ainsi j’abrite dans le val contre l’autour le faible oiseau.
Et ces volumes inconnus, j’en dote ma bibliothèque.

Je vous préfère bien souvent aux plus vantés de nos écrits,
O mes pauvres auteurs obscurs! …lorsque mon esprit les dissèque,
Je trouve quelque fois en eux, une perle, un joyau de prix.

Q15 – T14 – 16s (8+8) (HN° frison : Nom d’un ancienne étoffe de laine

Jouez, chérubins, vos jours sont exempts de nuage! — 1880 (14)

Narzale Jobert Klimax

XIII
Césure après la 5ème syllabe
A des enfants

Jouez, chérubins, vos jours sont exempts de nuage!
J’aime à contempler vos yeux brillants, pleins de candeur,
Un Dieu vous bénit et vous dispense le bonheur,
Quand dans nos esprits tout soucieux gronde l’orage.

Oh! qui nous rendra les plaisirs naïfs du jeune âge?
Les espoirs dorés qui palpitent dans notre coeur,
Les baisers si doux de notre mère au front rêveur,
Pour nous composant un avenir au frais mirage?

Riez, chérubins; trop tôt le calice de fiel
Viendra remplacer dans vos mains la coupe de miel,
Que l’Illusion, charmante enchanteresse, habite.

On voit tous les ans la fleur au soleil rajeunir,
Verdoyer l’arbre où l’oiseau musicien médite,
Mais notre printemps à nous ne saurait revenir.

Q15 – T14 – 13s (5+8)