Archives de catégorie : T14 – ccd ede

Ami des malheureux, que le grand jour opprime, — 1842 (3)

Jules Le Fèvre-Deumier Oeuvres d’un  désoeuvré

L’énigme du secret

Ressemelage d’un vieux sonnet de Gombaud

Ami des malheureux, que le grand jour opprime,
Le silence et la nuit me rendent seuls parfait:
On m’accuse parfois de protéger le crime,
Et j’ôte, en m’éclairant, de l’éclat au bienfait.

Complice nuageux de leur plus doux méfait,
Les femmes n’ont pour moi qu’une assez mince estime.
Plus d’une cependant, quand mon poids l’étouffait,
N’a sauvé, que par moi, son honneur de l’abîme.

On prétend que je suis difficile à trouver:
Je le suis plus encor peut-être à conserver;
Mon nom, comme mon sort, me défend de paraître.

Les curieux me font à tout propos la cour;
Les fous! C’est me tuer, que vouloir me connaître:
Loin de vivre, je meurs, dès que je vois le jour.

Q11 – T14


Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant, — 1841 (9)

Frédéric Durand fils, épicier La Muse occitanique

Le Troubadour

Il chantait, le zéphir écoutant son doux chant,
Murmurait mollement dans la verte aubépine,
Les oiseaux se taisaient dans les buissons du champ,
Et les échos dormaient au fond de la colline.

Il chantait, les oiseaux oubliant leur penchant
Suspendaient le courant de leur onde argentine,
Et le jour indécis, aux bornes du couchant,
Trompait au rendez-vous l’amoureuse Delphine.

Et tout à coup du ciel la foudre s’abaissa,
Le chant finit ! bientôt quand l’amante passa,
Un luth ensanglanté frappa soudain sa vue.

Elle pleura log-temps ! depuis ce triste jour,
On entend là gémir quand la nuit est venue
Dans les cordes du luth l’âme du troubadour.

Q8  T14  rime incorrecte (vers 1 & 3)

Quand l’homme avec le fer sur le champ des aïeux — 1841 (7)

Antoine Tenant de La Tour Poésies complêtes

Le chemin de fer

Quand l’homme avec le fer sur le champ des aïeux
De ses nouveaux chemins aura tissu la trame,
Et pour mettre à ses pieds les deux ailes de l’âme,
Aura doué ses chars de magiques essieux,

En bas de ces côteaux où vous rêvez, madame,
Peut-être passera le sillon lumineux,
Et ce Paris aimé fera luire à vos yeux,
Dans sa blanche fumée, un éclair de sa flamme.

Alors si le matin m’offre une douce fleur,
Ou qu’un sonnet, le soir, s’envole de mon coeur,
Au souffle de la brise ou de la fantaisie;

J’irai vous le porter, pour qu’avant de mourir,
Les deux fleurs du printemps et de la poésie,
Entre vos belles mains achèvent de s’ouvrir.

Q16 – T14

La poésie du chemin de fer n’a pas tardé à naître, avec les premières locomotives. On se souvient de Vigny:  » Sur le taureau de fer qui fume, souffle et beugle, / L’homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor / Quels orages en lui porte ce rude aveugle, / Et le gai voyageur lui livre son trésor; /  »

(critique de la Revue de Paris) : « C’est au sonnet que M.de Latour a le plus souvent confié l’expression de sa pensée, et maintes fois avec bonheur. Le sonnet, qui, depuis quelques années, fait de bien grands efforts pour devenir populaire et reconquérir cette importance qu’on lui attribuait à l époque fortunée des fameuses querelles engagées entre les jobistes et les uranistes, le sonnet, il en faut convenir, est le mode de versification le plus apte à recevoir une impression fugitive qui gagne à se trouver condensée en une forme bizarre peut-être, mais dont les quatre pans, taillés à facettes, la font admirablement reluire, quand on l’y sait embrasser avec adresse. La réhabilitation de ce petit poème date de 1828. L’écrivain, qui s’adonnait alors à l’intéressante étude des poètes trop oubliés du xvième siècle, séduit par toutes les grâces coquettes des sonnets de Ronsard, de Desportes, de Dubellay et des autres membres de la Pléiade, ne put résister dès-lors à la fantaisie de cristalliser en sonnets quelques minces courans d’idée poétique, ce qui a fait dire de lui avec raison : « Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme. Pour n’avoir pas encore trouvé d’accueil bien décidément favorable auprès du public, cette tentative n’en a pas moins été très activement suivie par bien des poètes. Il est à remarquer toutefois, que ni M. de Lamartine, ni M.Hugo n’ont adopté le sonnet . Cette réserve s’explique, quant à M. de Lamartine, par la nature même de ses inspirations ; leurs grandes ailes se trouveraient à l’étroit et froissées dans cette enceinte anguleuse et fragile ; il leur faut une plus vaste atmosphère pour se déployer dans toute leur majesté d’allure ; mais M.Hugo, qui a tant élaboré de rhythmes divers, n’avait pas les mêmes motifs de s’abstenir, et l’on doit regretter qu’il l’ait fait. Toutefois, pour deux qui ne l’ont pas admis, bien d’autres sont venus disputer à son régénérateur contemporains la palme du sonnet. L’auteur des Iambes s’est efforcé de reproduire dans ce médaillon ciselé quelques physionomies de peintres italiens. M. Théophile Gautier , dans sa Comédie de la Mort, deux ou trois petites merveilles en ce genre. M. Antoine de Latour ne s’y est pas non plus exercé vainement. Beaucoup de ses sonnets ont une aisance, une souplesse de démarche, et sont découpés avec une si élégante symétrie, qu’il peut s’applaudir d’avoir choisi cette forme d’où la pensée, quand on l’y pousse savamment en relief, jaillit comme l’eau d’un tube étroit. »

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble, — 1840 (11)

Léon Magnier Fleurs des champs

Sonnet

Oui, je connais trois sœurs qui vont toujours ensemble,
Modestes, aux doux yeux, brûlantes de beauté ;
Qui savent consoler l’homme par leur bonté ;
Si vous les regardez, l’une aux autres ressemble.

Elles apaiseront le criminel qui tremble ;
Oh ! ce sont les présents de la divinité,
L’espérance des cieux, la foi, la charité ;
Que le plus noble but, le bien, toujours rassemble.

Elles sont des vertus les fidèles soutiens,
Respectez-les, amis, adorez-les, chrétiens !
Vous qui les possédez, conservez-les dans l’âme.

Leurs regards sont levés vers la voûte d’azur,
Elles offrent à Dieu une divine flamme :
Donnez-leur ici-bas votre amour le plus pur.

Q15  T14  banv

On sonnait un baptème au clocher du hameau, — 1840 (4)

Ferdinand DuguéLes gouttes de rosée


LXII

On sonnait un baptème au clocher du hameau,
La famille accourait à la fête chérie
Et le joyeux cortège à travers la prairie
Cheminait en chantant, car le ciel était beau:

Soudain les bras chargés du précieux fardeau
Le laissent échapper, on s’empresse, on s’écrie,
Mais couché sain et sauf parmi l’herbe fleurie
L’enfant sourit et dort comme dans un berceau.

Alors, en son effroi, la vierge belle et sage
Dont les pudiques mains portaient selon l’usage
Un vase plein de fleurs, d’eau de rose et de nard,

Laissa tous ces parfums ruisseler sur la tête
De l’heureux nouveau-né: c’est ainsi que Ronsard
Avant d’être chrétien fut baptisé poète.

Q15 – T14 – banv

A nos aieux, le pur honneur, — 1838 (13)

Théophile Lodin de Lalaire Les victimes

Le siècle

A nos aieux, le pur honneur,
La fleur de la galanterie
L’amour du roi, de la patrie
Et de Dieu ; partant, le bonheur.

Chez eux, point de plat suborneur
Qui livrât la foule ahurie
Au vil Moloch de l’industrie ;
Point de sophiste empoisonneur.

Mais c’est à l’or que je me pique
D’offrir mon encens romantique,
Et je jette le reste aux vents.

Pour l’or, comme un nègre je sue,
J’écris, je trahis, je me vends,
Je sers, je nuis, je meurs, je tue.

Q15  T14  – banv – octo

Allons, ange déçu, ferme ton aile rose: — 1838 (6)

Théophile Gautier La comédie de la mort


Adieu à la poésie

Allons, ange déçu, ferme ton aile rose:
Ote ta robe blanche et tes beaux rayons d’or;
Il faut, du haut des cieux où tendait ton essor,
Filer comme une étoile, et tomber dans la prose.

Il faut que sur le sol ton pied d’oiseau se pose.
Marche au lieu de voler: il n’est pas temps encor;
Renferme dans ton coeur l’harmonieux trésor;
Que ta harpe un moment se détende et repose.

O pauvre enfant du ciel, tu chanterais en vain,
Ils ne comprendraient pas ton langage divin;
A tes plus doux accents ton oreille est fermée!

Mais avant de partir, mon bel ange à l’oeil bleu,
Va trouver de ma part ma pâle bien-aimée,
Et pose sur son front un long baiser d’adieu!

Q15 – T14 – banv

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri, — 1835 (4)

Emile PehantSonnets

A mon recueil

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri,
De prendre ta volée enfin l’heure est venue;
L’air manque au nid étroit qui t’a servi d’abri,
Tandis qu’un large ciel rit à ta bienvenue.

Pars, duc, mais sois modeste, ô mon sonnet chéri;
Dieu, ne t’a pas créé pour affronter la nue;
Des efforts excessifs t’auraient bientôt flétri:
Ne monte pas qui veut à la sphère inconnue.

Reste près des gazons, effleure les ruisseaux,
Mêle ta voix légère à la voix des oiseaux,
Baigne ton aile au fleurs dont avril se parsème.

Pour être humble, ton sort n’en sera pas moins doux:
Le roitelet n’est guère admiré, mais on l’aime …
Heureux roitelet! l’aigle en est parfois jaloux.

Q8 – T14 – s sur s

mr Pehant a l’audace d’intituler son livre ‘sonnets’. Il est le premier, semble-t-il, au 19ème siècle, à en offrir plus d’une centaine (108). Il introduit l’hexasyllabe dans le champ (n°5) et ne manque pas de composer un ‘sonnet sur le sonnet’.

Pour t’aimer, ô mon Dieu, me faut-il l’espérance — 1834 (4)

Firmin Didot Poésies

A Jésus crucifié

Pour t’aimer, ô mon Dieu, me faut-il l’espérance
Du ciel que m’a promis ton immense bonté ?
Me faut-il de l’enfer l’avenir redouté,
Pour défendre à mon cœur de te faire une offense ?

Je ne vois rien que toi. C’est ta longue souffrance,
Ton corps, percé de clous, suspendu, tourmenté,
Ta croix, ce sang divin sortant de ton côté,
C’est là ce qui me touche, ô Dieu plein de clémence.

Le bonheur de t’aimer a pour moi tant d’appas,
Que je t’aurais aimé si le ciel n’était pas ;
S’il n’était pas d’enfer, je t’aurais craint de même,

Ce cœur qui te chérit ne veut rien en retour.
Dans ta grace, sans doute, est mon espoir suprême !
Mais, sans aucun espoir, j’aurais autant d’amour.

Q15  T14  – banv – tr (Sainte Thérèse – A Cristo Crucificado)